
La Métropole de Lyon a inauguré officiellement sa ferme urbaine cet automne. L’exploitation agricole assure l’approvisionnement en légumes bio des cantines de 38 collèges métropolitains, avec des variétés anciennes et locales.
Par Oriane MOLLARET et Antoins BOUREAU (photographies)
Chassieu (Rhône), reportage
Sans transition, à la sortie du tramway, les champs grignotent le bitume. À deux pas de l’aéroport de Lyon-Bron, des légumes anciens du coin retrouvent une nouvelle jeunesse tandis que d’autres affrontent vaillamment les rayons du soleil. Début octobre, ça sent encore l’été dans ce coin de banlieue lyonnaise. Les tomates sont cramoisies, l’air saturé de basilic. Bienvenue à la ferme métropolitaine de Chassieu.
Unique en France par sa taille de 4 hectares, l’exploitation s’inscrit dans la stratégie engagée par la Métropole de Lyon dès l’arrivée au pouvoir des écologistes, en 2020 : la création d’une délégation dédiée à l’agriculture et l’alimentation, le soutien de projets agricoles pour assurer la relève sur le territoire et la sanctuarisation de terres pour limiter la bétonisation.

« Il ne manquait plus qu’on devienne nous-mêmes paysans et qu’on produise nos propres légumes, sourit Jérémy Camus, vice-président en charge de l’agriculture et de l’alimentation. Le rêve, c’est que demain, à la cantine, les collégiens puissent déguster des poireaux bleus de Solaise [une variété ancienne de la commune éponyme du sud lyonnais]. »
2,3 millions d’euros d’investissements
Germa alors l’idée d’une ferme métropolitaine qui pourrait approvisionner les collèges du Grand Lyon en fruits et légumes bio et locaux. Un investissement de 2,3 millions d’euros de la Métropole de Lyon, dont 355 000 euros de la Compagnie nationale du Rhône, auxquels s’ajoutent des dépenses de fonctionnement estimées à 80 000 euros par an.

Environ 15 tonnes de légumes ont déjà été récoltées depuis les débuts de la ferme, au printemps 2024. Actuellement, les deux maraîchers, Mewan Melguen et Éloïse Amini, livrent chaque semaine 38 collèges publics, soit environ 10 000 assiettes.
Le premier, ingénieur en sûreté nucléaire de formation, était maraîcher à son compte à Saint-Romain-de-Popey, après un passage dans l’agroalimentaire avant d’être recruté en janvier 2024. Sa collègue, arrivée il y a un an, était avocate. Un boulot difficile à concilier avec son militantisme écologiste, qui a fini par prendre le dessus à l’arrivée du Covid-19.
« J’ai toujours le même salaire à la fin du mois »
La trentenaire s’est alors formée à l’arboriculture. C’est elle qui est chargée du futur verger maraîcher de la ferme. Embauchés pour trois ans, tous deux sont salariés de la Métropole, en 35 heures hebdomadaires. Une sécurité de l’emploi et un niveau de vie « impensables » à son compte, assure Mewan Melguen : « Ici, quand je teste une nouvelle variété, si ça fonctionne tant mieux, sinon tant pis, je n’ai rien perdu. J’ai toujours le même salaire à la fin du mois. »

Car la ferme métropolitaine de Chassieu a aussi été pensée comme un espace d’expérimentation pour réintroduire des fruits et légumes endémiques. Les semences viennent majoritairement du potager conservatoire de la Métropole de Lyon, à Lacroix-Laval, qui estime que « plus de 80 % des variétés cultivées il y a cinquante ans n’existent plus ».
Elles sont ensuite massifiées par la ferme semencière métropolitaine de Charly, gérée par le Centre de ressources de botanique appliquée. Ces vieux légumes semblent retrouver une nouvelle jeunesse à Chassieu. En ce début octobre, les poireaux bleus de Solaise dressent fièrement leurs feuilles bleutées caractéristiques à quelques mètres du boulevard. Cet hiver, Éloïse Amini compte planter des pruniers Reine-Claude d’Oullins, une autre variété ancienne du coin.

Pour atterrir dans les assiettes des collégiens, ces fruits et légumes doivent être bons au goût, bio et résistants au changement climatique. C’est souvent là que le bât blesse, explique Mewan Melguen : « Les variétés locales sont adaptées au climat d’hier, c’est difficile d’en trouver qui survivent aux sécheresses actuelles. »
Aubergines, tomates et haricots viande
Des aubergines, par exemple, il ne reste plus qu’une rangée de feuilles anémiques. Tant pis. Les tomates, elles, ont survécu et donnent encore. Le haricot viande, une légumineuse robuste redécouverte il y a une dizaine d’années en Chartreuse, pourrait être le candidat idéal.

Dernier point, essentiel : les légumes doivent se cuisiner facilement dans les cantines. Le calibre n’est pas laissé au hasard. Les pommes sont préférées petites, pour être données entières, tandis que les courges et les patates les plus grosses demanderont moins de temps d’épluchage. Les cuisiniers des 38 collèges du Grand Lyon sont « hyper contents » des légumes, rapporte Mewan Melguen, presque déçu que ces derniers ne soient pas plus exigeants.
L’année prochaine, les maraîchers, optimistes, estiment pouvoir récolter 40 tonnes de fruits et légumes. Des parterres de fleurs ont été plantés pour attirer davantage de pollinisateurs. Le seul inconvénient de la proximité avec la ville, d’après les maraîchers.

À deux, la charge de travail est conséquente — « On finit à 17 heures, il ne faut pas traîner ! » rigole Mewan Melguen en enjambant ses plants de basilic, satisfait de voir qu’ils ont résisté aux canicules. Les maraîchers sont épaulés par des saisonniers l’été, et par une douzaine de machines agricoles dernier cri : planteuses, désherbeur thermique, semoirs, tracteurs…
Concentrée, Éloïse Amini manœuvre la dernière arrivée, une arracheuse flambant neuve qu’elle compte tester sur les carottes. Chacune de ces machines coûte en moyenne 10 000 euros. Des investissements impensables pour un agriculteur à son compte. La création d’une coopérative d’utilisation de matériel agricole est dans les tuyaux pour tisser des liens avec le monde agricole local.

Mewan Melguen espère que les expérimentations menées à Chassieu essaimeront ailleurs. « On ouvre des portes pour les agriculteurs. On aimerait leur transmettre notre modèle pour améliorer leurs conditions de travail. » Les moutons de l’exploitant voisin, en conventionnel, l’écoutent d’un air distrait. « Avant qu’on l’explique, notre démarche était perçue comme de la concurrence déloyale », grimace Mewan Melguen.
« La ferme permet d’éviter des dépenses d’achat »
Pour éviter cet écueil, la ferme fournit uniquement les 38 collèges du Grand Lyon dont les cantines sont gérées par la collectivité, précise Jérémy Camus, soit environ la moitié des établissements. Les légumes livrés gratuitement sont déduits du budget des établissements. « La ferme permet d’éviter des dépenses d’achat », dit l’élu. Et de rappeler l’objectif de passer toutes les cantines en 100 % bio. Pas de place, donc, pour le marché conventionnel.

Ces derniers mois, Jérémy Camus dit être « assailli » de coups de téléphone de collectivités de grande taille intéressées par le concept. Des villes de gauche ou écologistes comme Grenoble, Strasbourg, Montpellier, Nantes… « La ferme a l’air de porter ses fruits ! » se réjouit l’élu qui imagine déjà un réseau de fermes métropolitaines.
« Ces modèles sont possibles, poursuit-il, ce n’est pas juste un truc de Lyonnais ! » Il prévoit aussi un « retour à la terre » des écoliers. D’ici un ou deux ans, des visites pédagogiques pourront être organisées à la ferme urbaine, dont l’emplacement a aussi été choisi pour sa proximité avec le tramway. De quoi, peut-être, susciter quelques vocations à l’heure où la relève agricole manque cruellement.
En attendant, Mewan Melguen et Éloïse Amini se sont lancés un nouveau défi, et de taille : remettre au goût du jour le salsifis… « Frais, ça n’a pas le même goût », assure le maraîcher en caressant amoureusement les plants en cours de test. Le verdict tombera d’ici quelques semaines dans les cantines du Grand Lyon.
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Source: https://reporterre.net/A-Lyon-cette-ferme-urbaine-nourrit-10-000-collegiens-de-legumes-bio
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