10 septembre : « Ce mouvement appelle à des actions qui débordent le répertoire syndical habituel » (H.fr-20/08/25)

Les appels à bloquer le pays le 10 septembre commencent à infuser dans la sphère politique. Va-t-on connaître un nouvel épisode de mobilisations type « gilets jaunes » ? © Diego Radames / SOPA Images/ZUMA/REA

Dans l’attente d’un calendrier d’actions construit par les syndicats, l’appel à bloquer la France le 10 septembre s’impose dans le débat politique. Pour Baptiste Giraud, maître de conférences en science politique, les confédérations devront parvenir à une large unité pour parvenir à une mobilisation sociale d’ampleur.

Entretien réalisé par Naïm SAKHI.

D’un côté, l’intersyndicale (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, FSU Solidaires) qui doit déterminer les suites à donner à leurs oppositions au budget 2026 de François Bayrou, lors d’une réunion, le 1er septembre. De l’autre, des appels à bloquer le pays le 10 septembre lancé dès la mi-juillet sur les réseaux sociaux, et qui se structurent depuis au travers des boucles Telegram.

LFI, le PCF, EELV et, dans une moindre mesure le PS ont annoncé soutenir, dans la semaine, cette mobilisation. Alors que la colère est palpable contre les 43,8 milliards de coupes budgétaires prévues par l’exécutif, la rentrée sociale devrait être bouillante.

« Il faut des mobilisations, elles seront nombreuses comme celle du 10 septembre, et il y en aura d’autres » prévient Thomas Vacheron, secrétaire confédéral CGT. La centrale décidera de ses modes d’action à la rentrée lors d’un Comité confédéral national (CCN), les 26 et 27 août. Pour Baptiste Giraud, maître de conférences en science politique, l’appel du 10 septembre « a d’ores et déjà eu un impact médiatique et politique important »

La France peut-elle être bloquée le 10 septembre ?

Je reste pour l’instant très perplexe sur la matérialisation de ce mouvement. À l’heure actuelle, même si des militants syndicaux commencent à appeler à la mobilisation le 10, nous n’avons pas la certitude que ce mouvement va prendre dans les agendas militants des syndicalistes d’entreprise. C’est-à-dire celles et ceux qui sont concrètement en situation d’impulser et d’organiser la mobilisation d’ampleur.

L’appel du 10 septembre peut être l’amorce d’un processus de mobilisation de plus grande, mais il est trop tôt pour le savoir. Cependant, cet appel a d’ores et déjà eu un impact médiatique et politique important, en ce qu’il s’impose de toute évidence comme l’évènement autour duquel tend à s’ordonner la rentrée sociale et politique, là où on aurait pu s’attendre que ce soit plutôt autour d’un appel à la mobilisation de l’intersyndicale.

Les partis de gauche appuient la mobilisation du 10 septembre. Quels intérêts ont-ils ?

Pour les formations politiques, le 10 septembre est une opportunité à saisir dans leurs agendas de rentrée contre le gouvernement. Pour ces forces de gauche, cet appel est une opportunité pour renforcer et légitimer leur propre stratégie d’opposition au gouvernement Bayrou, en tentant de l’articuler à une mobilisation sociale et de donner un sens politique de gauche à cette dernière, là où le RN affiche au contraire sa réticence à soutenir cette mobilisation.

Les partisans du 10 septembre s’organisent via la messagerie Telegram. Quel forme peut prendre cette mobilisation ?

Pour l’heure, le mouvement prévoit des modes d’action très variés : boycott, confinement, blocage des flux… autant de modalités d’action qui débordent le répertoire syndical habituel. On peut voir les comme des tentatives de recherche d’alternatives à des grèves plus difficiles à organiser pour bloquer l’économie. Mais cette diversité de perspectives d’actions témoigne aussi du caractère très composite de cet appel et de son déficit d’organisation et de structuration. J’ajoute que la mise en œuvre de telles modalités d’action reste sans doute encore plus complexe que pour des grèves…

Le mouvement de 2023 n’a pas débouché sur le retrait de la réforme des retraites, mais a permis de redonner un cadre à la contestation sociale. Quelles leçons peut-on tirer de la mobilisation de l’intersyndicale dans cette séquence qui s’annonce ?

Et l’échec de cette précédente mobilisation est sans doute l’un des principaux freins que les organisations syndicales vont devoir réussir à lever dans l’esprit de leurs militants et des salariés pour les convaincre de se remobiliser. La perspective d’une France à l’arrêt à la faveur d’un seul appel a de quoi laisser perplexe. Pour mémoire, le 7 mars 2023, au plus fort du mouvement contre la réforme des retraites, l’intersyndicale avait échoué, car les grèves n’ont pas été suffisamment suivies. J’ai donc du mal à imaginer qu’un mouvement initié par un appel en dehors des syndicats suffise à créer les conditions pour faire cesser le travail et bloquer l’économie, là où l’ensemble des organisations syndicales ont échoué.

Les syndicats restent-ils clefs pour la réussite d’une mobilisation sociale ?

L’un des grands enseignements de l’histoire et de la sociologie des mouvements sociaux est que le développement de mobilisations collectives reste très dépendant de la mise en mouvement d’organisations dotées des ressources et des savoir-faire militants nécessaires pour impulser, coordonner, la mobilisation sur la durée. Cependant, l’affaiblissement du syndicalisme explique aussi que l’implication des syndicats dans la lutte n’est certainement pas la garantie d’un plus grand succès de la mobilisation, comme en 2023.

L’intersyndicale se réunit le 1er septembre, une large mobilisation des centrales à la rentrée est sur la table. Une convergence peut-elle se produire ?

Force est de constater qu’il coexiste deux logiques de rassemblement. D’un côté celle des confédérations : La CGT met tout en œuvre pour embarquer l’ensemble des organisations syndicales dans un mouvement social offensif, à la rentrée, contre le budget Bayrou. De l’autre, cet appel à la mobilisation lancé en dehors des syndicats, sur des bases politiques manifestement très hétérogènes, et dont s’emparent aujourd’hui toute une série de militants marqués à l’extrême gauche, dans l’espoir d’impulser à l’occasion du 10 septembre une mobilisation plus radicale et de mise en convergence des colères sociales. Il est clair que cette tentative se nourrit de la position encore incertaine de l’intersyndicale, et de l’absence de perspective de mobilisation concrète qu’elle donne à cette heure aux militants les plus déterminés à s’opposer au projet de budget du gouvernement Bayrou.

Pourquoi les confédérations privilégient-elles l’option du syndicalisme rassemblé ?

La mobilisation de 2023 a fait la démonstration que l’unité syndicale est de nature à créer les conditions plus favorables pour élargir la mobilisation, non seulement parce qu’elle permet d’enrôler plus de militants dans l’action, mais aussi parce qu’elle renforce la légitimité de la mobilisation et la perception de sa possible réussite. Le risque bien sûr, c’est que la recherche de l’unité syndicale dans la lutte se fasse au prix d’une modération des revendications et des modalités d’action, et qu’elle ne suffise pas dès lors à faire reculer le gouvernement.

Si une partie des confédérations s’aligne sur le 10, des centrales syndicales plus réservées pourront être rebutées à s’engager dans un mouvement social. C’est une ligne de fracture. Le réinvestissement de l’appel du 10 septembre par des organisations et des militants marqués à l’extrême gauche contribue à lui donner une tonalité qui est peut-être de nature à freiner l’engagement de certaines centrales.

L’échec du « conclave » et la violence des attaques contenus dans le budget de François Bayrou peuvent-ils pousser les confédérations les plus modérées à se mobiliser ?

Ce serait très préoccupant si les divergences idéologiques et stratégiques entre syndicats les empêchaient de s’entendre sur un appel commun à la mobilisation. Les organisations syndicales n’ont sans doute jamais autant été remises en cause dans leur rôle d’interlocuteur du pouvoir politique, et leurs revendications à ce point ignorées par ce dernier. François Bayrou a cherché à entretenir l’illusion qu’il aspirait à renouer avec une pratique du pouvoir plus attentive aux « partenaires sociaux ».

L’échec du si mal nommé conclave sur les retraites à déboucher sur un quelconque compromis, même très minimal, entre syndicats et patronat montre en réalité toutes les limites du « dialogue social » que le gouvernement Bayrou est prêt à consentir. Il ne suffit pas cependant de constater la marginalisation politique du rôle des syndicats et les limites du fonctionnement des dispositifs du dialogue social. Encore faut-il que les syndicats soient en mesure de les subvertir par leur capacité à mobiliser les salariés. Or sur ce plan, ils ont beaucoup perdu de leur pouvoir, et c’est aussi ce qui explique la tentation de plus en plus forte des gouvernements de ne pas chercher de compromis, même avec les plus modérés.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/cgt/10-septembre-ce-mouvement-appelle-a-des-actions-qui-debordent-le-repertoire-syndical-habituel

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