
Le 10 septembre, au soir du mouvement « Bloquons tout », des policiers ont débarqué dans l’enseigne « Chez Papa » dans le 19e arrondissement de Paris. Six personnes témoignent de la violence de leur intervention, où des coups de taser ont été donnés.
Par Lisa NOYAL.
« On était dans un bar, c’est ça qui était choquant : le fait d’avoir l’impression d’être dans un endroit sécurisé et d’être confronté à un tel déferlement de violence. » Comme les cinq autres témoins interrogés par StreetPress, Dimitri, 34 ans, est encore choqué des événements vécus par les clients du restaurant « Chez Papa », situé dans le 19e arrondissement de Paris. À la fin de la journée « Bloquons tout », le 10 septembre, des agents de la Brav ont débarqué dans cette enseigne de la chaîne de cuisine du Sud-Ouest et ont frappé de nombreuses personnes.
L’intervention aurait duré quelques minutes. « C’était rapide, mais très intense… », retrace Maxime, 37 ans, alors installé sur la terrasse. Sur des vidéos que StreetPress a pu consulter, on y voit des agents donner un coup de matraque, plusieurs coups de pied et de genoux sur une personne au sol, d’autres se font violemment repousser… Un des policiers utilise même un taser à plusieurs reprises sur un homme, déjà à terre, encerclé par plusieurs agents. Contactée, la préfecture de police confirme à StreetPress l’usage du taser « à plusieurs reprises en mode contact » pour un homme « particulièrement virulent », selon l’institution. Une description qui ne correspond pas aux vidéos et aux témoignages récoltés par StreetPress. Cinq interpellations ont été effectuées au total selon la préfecture (1).
Des violences qui rejoignent la cinquantaine de situations comptabilisées par StreetPress lors de cette journée de mobilisation. Des violences policières ont également été filmées le 18 septembre, deuxième journée de mobilisation. Les six personnes — avec qui StreetPress a échangé — qualifient ces violences de disproportionnées et injustifiées face au calme du bar. « On était tous choqués, j’étais tremblant en rentrant chez moi », dit Maxime. StreetPress revient sur la soirée.
Déferlement de violences
Autour de la place des Fêtes, dans le 19e arrondissement de Paris, vers 20 h 30, quelques feux brûlent encore en cette journée de blocages, commencée très tôt. Après plusieurs charges, les manifestants s’éparpillent et les forces de l’ordre font des allers-retours dans les rues adjacentes. Maxime raconte :
« À un moment, des CRS s’arrêtent devant le bar et interpellent un homme. »
La terrasse s’insurge et crie : « La honte ! » Après cet événement, lorsque des forces de l’ordre passent devant les clients, des slogans sont lancés. Plus tard, c’est au tour de la Brav-M de s’arrêter devant. « Il y avait des gens debout près du bar qui chantaient face à eux : “Tout le monde déteste la police“ », ajoute Maxime. Quand les forces de l’ordre descendent de leurs motos, le groupe entre se réfugier dans le restaurant. Très vite, les agents de la Brav-M se ruent à l’intérieur. Une version confirmée par la préfecture de police, qui indique également qu’un des manifestants aurait « jeté des verres vers les policiers » et un autre se serait « opposé physiquement à leur action » (1).
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Charlotte, 37 ans, a à peine eu le temps de boire la moitié de sa pinte de bière au comptoir, avec ses amis, qu’elle voit les policiers débouler. Elle se réfugie derrière le bar, tandis qu’un de ses amis fonce aux toilettes. « Ça m’a pris aux tripes, je me suis dit c’est quoi ces comportements. » Elle se met à crier en demandant pourquoi ils agissent ainsi. « C’est pas normal », indique-t-elle. Un policier l’attrape alors par le cou, la serre, puis en la relâchant, lui aurait lancé :
« Ta gueule, sale pute. »
« J’en ai fait des manifestations, mais des affrontements dans un bar et un contact comme ça… Je n’avais jamais eu », pose-t-elle. Dès le début de l’intervention, Jules (2), 21 ans, s’est lui caché au fond du restaurant avec deux amis, dont un « en crise de panique ». Il fait partie des quelques manifestants entrés pour se protéger. « Tout le monde était en confiance parce qu’on se disait qu’ils n’allaient pas venir à l’intérieur. » Il décrit les policiers en train de faire le tour du bar. « C’était en mode Gestapo, ça frappait à gauche et à droite des gens, aléatoirement », s’insurge Jules.
Déjà présent dans le bar, un homme — qui semble n’avoir aucun lien avec les manifestants — est mis à terre et tasé à plusieurs reprises. Sur plusieurs vidéos consultées par StreetPress, des femmes demandent, à plusieurs reprises, aux policiers « d’arrêter ». « Vous allez le tuer », lance l’une d’entre elles, alors que les agents de la Brav-M continuent à user du taser. Sur la même vidéo, l’homme crie : « Qu’est-ce que j’ai fait ? », avant de se faire embarquer. Anthelme a filmé l’intervention et déclare avoir vu une femme se faire matraquer :
« C’était une vague de panique, de chaos et de confusion, les gens ne comprenaient pas ce qui se passait. »
Choc et incompréhension
À la fin de l’intervention, le bar se vide et les clients se dispersent très vite. Certains restent quelques minutes pour aider à ranger et pour échanger avec les personnes sur place. Laura (2) repense : « On était tous en état de choc et d’incompréhension. »
Elle prend le temps d’accompagner les personnes traumatisées par l’intervention, les rassurer et les conseiller sur les démarches à suivre — pour ceux ayant un proche interpellé.
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« On s’est tous dit : on vient nous violenter pour notre idéologie politique et parce qu’ils ont le droit de le faire en toute impunité », dit Laura. Son ami Anthelme, qui a l’habitude de manifester, ajoute : « Il n’y avait absolument aucune justification apparente pour une telle intervention. Ça paraissait disproportionné. »
(1) La préfecture de police, contactée bien en amont de cet article, n’a pas répondu avant la publication de celui-ci. Elle a ensuite fait parvenir à StreetPress une réponse écrite plusieurs heures après la mise en ligne. Nous avons mis à jour avec leur version.
(2) Le prénom a été modifié.
Contactée, le Sicop nous a renvoyés vers la préfecture de police.
Sur place, le gérant du restaurant « Chez Papa » en question n’a pas souhaité s’exprimer à ce sujet.
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