1996 –2025 EN FRANCE LA LUTTE DES SANS PAPIERS POUR LA REGULARISATION A 29 ANS, par Diagne Fodé Roland.

Veuillez recevoir cette contribution analytique sur les 29 ans de lutte des sans papiers pour la régularisation en France. Contribution dédiée à nos regrettés défunts qui ont animé avec l’auteur de l’article le combat pluri-décennal des sans papiers : le Béninois Romain Binazon, la Sénégalaise Madjiguéne Cissé et le Sénégalais Assane Samb.


Par Diagne Fodé Roland, ex-dirigeant de la Coordination nationale des Sans Papiers/France (CNSP), ex-porte-parole du CSP59/France, du Collectif Afrique(CA ) et responsable national de l’Union des Travailleurs Sénégalais de France/Action Revendicative (UTSF/AR)

Il y a 29 ans le 18 mars 1996, 314 sans papiers occupaient l’église Saint Ambroise à Paris, capitale de la France, en revendiquant les papiers pour tous et donc une existence légale. Cette sortie de l’ombre allait exploser aux yeux de l’opinion publique française et mondiale le 23 août de la même année lors de l’évacuation musclée à coups de hache et de gaz lacrymogènes de l’église Saint Bernard par les forces de répression.

Dans le sillage des 314 sans papiers, des pères, des mères, des familles avec enfants et nourrissons de 48 villes de France vont sortir à leur tour de la clandestinité imposée en fondant des collectifs de sans papiers.

Se sont ainsi succédé depuis lors la matraque de droite, puis celle de « gauche » du Parti Socialiste courant tous derrière le parti fasciste, le Front National/RN, dont les scores électoraux n’ont cessé de grandir dans cette ex-puissance colonialiste qui avait fait sa révolution bourgeoise en 1789/93 en s’auto-définissant comme « berceau des droits de l’homme ».

Dans toute l’Union Européenne (UE), y compris en France le processus de montée électorale des partis fascistes est ininterrompu comme le montre leurs scores électoraux et leurs nombres de députés toujours en hausse. Le même processus de fascisation s’opère aux USA dont les principales manifestations sont cette série de tueries à bout portant de jeunes Noirs et les agressions guerrières de l’OTAN, de la françafrique, de l’eurafrique, de l’usafrique et d’Israël sioniste contre les peuples de l’Afghanistan, la Yougoslavie, l’Irak, la Côte d’Ivoire, la Libye, la Syrie, l’Ukraine, la Palestine, etc.

LA FASCISATION DE LA DEMOCRATIE BOURGEOISE EN CRISE

Certains refusent de voir son lien avec la criminalisation de l’immigration, des sans papiers. Certains continuent de fermer les yeux sur le racisme d’État rampant qui s’empare de « l’Europe » forteresse du grand capital qui tisse sa toile d’araignée faite de régression sociale et anti-démocratique pour tous les travailleurs et les peuples.

La lutte des sans papiers est de ce point de vue l’expression d’une résistance contre la fascisation de la société. Les sans papiers n’ont cessé de dire durant ces décennies de lutte « Camarade, ouvre les yeux, car si le combat de classe des sans papiers est écrasé, ce sera inévitablement tout tour ! Alors, il est encore temps pour que tous ensemble nous entrions en résistance! ». De la criminalisation des sans papiers en lutte à l’islamophobie, la rromophobie et la négrophobie et à l’actuelle criminalisation de la solidarité anti-génocidaire avec le peuple martyr de Palestine, la fascisation du capitalisme euro-atlantique suit son cours abominable. Beaucoup refusent de voir cette réalité tant à l’intérieur des pays impérialistes concernés qu’à l’extérieur chez nous dans nos néo-colonies. A la manière de l’autruche, les têtes sont plongées dans le sable pour ne pas voir cet insupportable réalité : le stade suprême du capitalisme engendre inévitablement fascisme et guerre.

N’est-il pas encore temps de comprendre le sens et la signification de classe de cette « nouvelle » lutte sociale des plus précaires parmi les précaires sans papiers que fabrique le capitalisme en crise ? N’est-il pas encore temps de voir le lien indissoluble entre le racisme d’État anti-sans papiers, anti-immigré, anti-musulman et le pillage des néo-colonies dont proviennent les sans papiers par les Firmes Multinationales du capital financier international?

Même si aujourd’hui leur visibilité de lutte s’est amoindrie, les sans papiers qui sont sortis de l’ombre pour la régularisation globale à partir du 18 mars 1996 à aujourd’hui ont marqué durablement la scène politico-sociale de la France en revendiquant la « légalisation » des irréguliers. Leur formidable mouvement citoyen s’est caractérisé par l’action tendant à organiser la visibilité collective des sans papiers, à sensibiliser l’opinion publique démocratique et à faire toucher du doigt les enjeux de classe de la lepénisation de la société à travers la fascisation rampante puis de plus en plus ouverte de l’État et de la classe politique gouvernante de France.

Ce mouvement de la fraction la plus précaire de l’immigration et du monde du travail en général a révélé l’état de faiblesse du mouvement démocratique antiraciste et antifasciste, le recul des positions antiracistes et antifascistes dans les syndicats des travailleurs, mais aussi du mouvement associatif immigré(e). La lutte des sans papiers résulte d’un processus de régression sociale et anti-démocratique né de l’approfondissement de la crise économique qui s’est accélérée suite à la défaite de l’URSS et du camp socialiste d’Europe.

C’est contre cette fascisation en France, en Europe et aux USA de la démocratie bourgeoisie en crise que les forces politiques, les syndicats, les associations progressistes, démocratiques, anti-libérales, anti-fascistes, anti-racistes et anti-capitalistes doivent maintenant lutter et que se poursuit encore la lutte des sans papiers.

UN SURSAUT SOCIAL, DÉMOCRATIQUE ET INTERNATIONALISTE !

Depuis l’admirable acte citoyen de sortie de l’ombre des sans papiers, se sont multipliés les Collectifs à travers l’hexagone. En juillet 1996, après l’appel de Lille, s’est constituée la Coordination Nationale des Sans Papiers (CNSP) sur la base de l’objectif fondamental de la régularisation globale. Le mouvement s’était doté de deux instances:- l’Assemblée Générale des représentants des Collectifs qui élaborent les grandes décisions et un Secrétariat Exécutif. Les Collectifs regroupent des sans papiers auto-organisés qui sont sortis de l’ombre, souvent structurés avec des démocrates français et/ou des militants issus de l’immigration.

La visibilité de la Coordination Nationale (CNSP) s’est faite à travers les manifestations nationales, les marches nationales de popularisation, les occupations collectives de lieux publics et la grève de la faim, etc. Ces formes ont été déterminantes pour donner au mouvement un impact national et international dès lors que la répression est devenue la réponse gouvernementale. Les occupations et les grèves de la faim sont des actions qui ont permis de sensibiliser, persuader, convaincre et gagner à la cause des sans papiers des milliers et centaines de milliers de démocrates et d’autres prolétaires. Cela fait 29 ans de lutte courageuse et de détermination à toute épreuve durant lesquels les sans papiers ont tout subi : répressions, désinformations, calomnies, provocations.

Objectivement, la ténacité des sans papiers a contribué, à l’instar des grèves et mobilisations des travailleurs de novembre/décembre 1995, au rejet de la politique répressive et méprisante de la droite. Ce rejet s’est exprimé clairement par la défaite électorale de la droite lors de l’élection législative anticipée en 1997. Après les coups de hache de Saint Bernard, l’évacuation policière des grévistes de la faim de Lille, mais aussi l’élection du Front national à Vitrolles et l’adoption sans opposition par l’Assemblée Nationale de la loi xénophobe Debré, la lutte des sans papiers et la prise en charge par le Collectif des Sans Papiers 59 de l’affaire Jacqueline Deltombe accusée par la police de délit de solidarité avaient été l’occasion d’un sursaut démocratique salutaire qui avait donné la majorité législative à la gauche.

Le mouvement des sans papiers est devenue ainsi peu à peu la nouvelle « affaire Dreyfus » dont se sont emparés progressivement les chômeurs, les syndicalistes, les artistes, les cinéastes, les écrivains, l’intelligentsia, etc. La pétition « Sans Papiers, Régularisez! » qu’ils avaient lancé fut un pas important dans le réveil de la conscience démocratique anti-raciste en sommeil. En effet, faut-il se rappeler que lors du débat parlementaire sur la loi Debré, fin 1996, faute d’opposition tant dans l’hémicycle que dans la rue, mis à part les sans papiers, cette loi raciste et liberticide passait comme une lettre à la poste. Mieux que tout discours, cet épisode révélait l’état de décrépitude dans lequel étaient tombés le mouvement immigré(e)s et le mouvement démocratique, progressiste et antiraciste en France.

Minés par deux décennies de recul, les associations issues de l’immigration et le mouvement démocratique et progressiste se sont retrouvés dépassés par les évènements. Englués dans des habitudes de « négociations citoyennes » qui ne s’appuient pas sur la construction d’un rapport de force mobilisateur, subjugués par la division entre « bons et mauvais » immigrés, entre « première et seconde génération » d’immigrés, paralysés par le mensonge selon lequel « combattre l’immigration clandestine, c’est intégrer les autres », aveuglés par les thèses assimilationnistes vantant « la mission civilisatrice du pays berceau des droits de l’homme », les antiracistes et les militants associatifs immigré(e)s ne sont pas encore à la hauteur des exigences d’une mobilisation populaire majoritaire de masse. Parfois, c’est tout simplement la corruption qui explique la passivité, le désintérêt et la trahison de certaines composantes du mouvement antiraciste et de l’immigration légale financées à coups de francs français ou d’euros par le Fond d’Action Sociale (FAS) chargé de redistribuer sous forme de subventions la différence entre les allocations familiales perçues en France et dans les pays d’origine des migrants.

Devenir participatif soi-même pour sa propre cause, se prendre en charge collectivement, c’est la nouvelle donne née de ce mouvement des sans papiers. Le rapport entre le combat des sans papiers et le mouvement de solidarité est que le minimum pour les premiers en terme revendicatif est le maximum pour les seconds. Mais ce rapport n’est pas statique, il bouge: on se souvient qu’au moment du débat sur la loi Debré, pas grand monde ne se mobilisait. Il n’était pas encore question de « régularisation de tous les sans papiers ». Objectivement, un chemin important avait été parcouru, d’abord avec la mobilisation de plus de 100.000 personnes contre l’article 1er de la loi Debré, puis contre toute la loi elle-même et la pétition « Sans papiers, Régularisez »! L’avènement du gouvernement dit de « gauche » Jospin/Chevènement avait fait refluer cette mobilisation montante dont le point culminant avait été la défaite électorale de la droite.

Toutefois, même affaiblis à ce moment, nous avions observé les contradictions existantes entre les partisans du reniement des promesses électorales et ceux, encore peu nombreux à s’exprimer et agir qui refusaient cela. En outre, la succession des lois restrictives de statut spécial, y compris la loi Chevènement, laissait apparaître de plus en plus clairement que c’est la carte de séjour de 10 ans qui est directement menacée. La déstabilisation de l’immigration toute entière avec en prime la précarisation de l’ensemble du monde du travail est le véritable projet caché des politiques de gestion anti-immigrée et anti-populaire de la crise du capitalisme.

C’était là une base concrète de jonction entre les sans papiers et l’immigration régulière. Avec la circulaire Chevènement, le pouvoir avait organisé la plus grande opération de fichage policier jamais réalisée en France. 160.000 sans papiers étaient ainsi sortis de l’ombre donnant adresses, employeurs, amis, logeurs aux autorités. Ces sans papiers vont constituer la base de la seconde phase de lutte pour la régularisation globale que les grévistes de la faim du CSP59 avaient entamé le 17 novembre 1997. La première phase du combat des sans papiers allant du 18 mars 1997 à l’avènement du pouvoir PS/PCF/Verts, était marquée par l’affirmation de l’existence et de la reconnaissance du mouvement en tant que tel. La réponse répressive d’une brutalité inouïe, dont une des caractéristiques a été l’arrestation et la condamnation à des « interdictions du territoire français », a favorisé la mobilisation de l’opinion publique.

Le fossé creusé par des décennies de militantisme réformiste, corporatiste, délégataire, culturaliste et alimentaire du mouvement associatif immigré et du mouvement syndicaliste, démocratique et progressiste s’est révélé un gouffre que l’activité militante des sans papiers en direction de l’immigration légale et des autres couches populaires et démocratiques avait tenté de combler. C’est dans cette perspective qu’il faut situer le projet de campagne du CSP59: « École, Université, Entreprise, Usine, Foyers de jeunes travailleurs ou immigrés et Quartiers antiracistes, antifascistes et pour la Régularisation des sans papiers ». Jonction et convergence, tant au plan local que national, entre la lutte des sans papiers et le mouvement syndical, démocratique et progressiste et celui de l’immigration légale. Unité de lutte entre les sans papiers, les sans domicile Fixe, les sans emploi, les sans ressources et les autres secteurs du monde du travail. C’est dans cet esprit qu’il faut placer la décision de syndicalisation des sans papiers réalisée à Lille dès septembre/Octobre 1996 après la proclamation officielle de naissance du CSP59, le 23 août 1996. A toutes grèves ou manifestations des autres Sans…, des travailleurs, des syndicats et des organisations antiracistes, les sans papiers se sont joints apportant leur solidarité. C’est cela la voie sûr de construction d’un mouvement national pour la régularisation des sans papiers. C’est la voie incontournable pour construire un rapport des forces favorable aux sans papiers, basé sur la solidarité de classe, la fraternité de classe et les intérêts communs.

Le recul des positions du mouvement social, démocratique, anti-raciste et antifasciste est renforcé par les défaites du mouvement ouvrier et des positions internationalistes fondements de l’unité et de la fraternité de classe des travailleurs toutes nationalités confondues. Mais à la base de la faiblesse des positions démocratiques, internationalistes, anti-racistes et antifascistes, il y a ce que Karl Marx observait fort justement concernant l’Angleterre et les États-Unis: « L’Angleterre a maintenant une classe ouvrière scindée en deux camps ennemis: prolétaires anglais et prolétaires irlandais. L’ouvrier anglais ordinaire déteste l’ouvrier irlandais comme un concurrent qui abaisse son niveau de vie. il se sent à son égard membre d’une nation dominatrice, devient, de ce fait, un instrument de ses aristocrates et capitalistes contre l’Irlande et consolide ainsi leur pouvoir sur lui même. Des préjugés religieux, sociaux et nationaux le dressent contre l’ouvrier irlandais. Il se conduit envers lui à peu près comme les « blancs pauvres » envers les noirs dans les anciens Etats esclavagistes de l’Union Américaine. L’Irlandais lui rend la pareille largement. Il voit en lui à la fois le complice et l’instrument aveugle de la domination anglaise en Irlande. Cet antagonisme est entretenu artificiellement et attisé par la presse, les sermons, les revues humoristiques, bref par touts les moyens dont disposent les classes au pouvoir. Cet antagonisme constitue le secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise, en dépit de sa bonne organisation. C’est aussi le secret de la puissance persistante de la classe capitaliste, qui s’en rend parfaitement compte » (Marx à S. Meyer et A. Vogt-in Marx-Engels, Correspondances). Cette analyse pertinente est parfaitement applicable à la France dans ses rapports avec les minorités nationales immigrées issues de l’empire semi-colonial français d’Afrique. Il suffit de changer « anglais » et « blancs pauvres » par « français » et « irlandais » et « noirs » par « immigrés maghrébins ou noirs » pour mettre le doigt sur le dilemme et le mal terribles qui frappent de plus en plus les rapports entre les travailleurs de France de toutes nationalités, de toutes races et de toutes religions. La montée du fascisme Lepéniste, la capitulation de plus en plus visible de pans entiers des partis politiques parlementaires et la division à partir des critères raciaux et nationaux sont « les secrets de l’impuissance de la classe ouvrière », des mouvements démocratiques anti-racistes et sont « les secrets de la puissance persistante de la classe des capitalistes » et des forces fascistes.

LE CAPITALISME IMPÉRIALISTE EN CRISE DÉTRUIT LES CONQUÊTES SOCIALES

Le système capitaliste mondial connaît une crise structurelle de surproduction et de sur-accumulation. Les Multinationales se livrent à une guerre économique et commerciale sans merci pour accaparer des marchés, les matières premières et les débouchés. Cette longue crise a entraîné des restructurations pour maintenir et développer le profit maximum sur la base des innovations scientifiques et technologiques. Les conditions sont à réunir pour prétendre préserver ces positions dans cet affrontement planétaire des Transnationales :

Investir dans les nouvelles technologies, dans les robots pour économiser les rémunérations,

Déréguler en augmentant les cadences de travail, c’est-à-dire dégrader à l’extrême les conditions de travail des salariés,

Massifier le chômage pour avoir une armée de réserve pour faire pression sur les salariés,

Réduire les salaires, c’est-à-dire le coût de la force de travail, donc délocaliser vers les bas salaires

Fabriquer par les lois racistes des sans papiers pour alimenter l’économie souterraine

Ces facteurs permettent aux actionnaires patrons du capital financier d’organiser un marché du travail de la concurrence entre travailleurs et d’une société de l’individualisme forcené du chacun pour soi.

La recherche de coûts de production toujours plus bas, donc de profits toujours plus élevés, est à la base des délocalisations vers les zones de la planète où les salaires sont non concurrentiels à qualifications professionnelles égales. Étant entendu que ce processus ne remet pas en cause la concentration dans les grands pays impérialistes des activités productives industrielles et tertiaires de pointe, à très haute composition organique du capital.

A l’époque de l’expansion économique, entre 1945 et 1970, l’immigration avait été utilisée en France, comme main d’œuvre taillable et corvéable à merci. Elle a été une aubaine pour le patronat qui avait besoin d’une main d’œuvre pas ou peu qualifiée en plus de la surexploitation des peuples et des richesses des colonies puis des néo-colonies pour assurer le profit maximum, base de la « société de consommation » à crédit. Une période durant laquelle le patronat français pouvait sans investir dans les technologies nouvelles s’assurer une marge satisfaisante de profits grâce à cette main d’œuvre à bas salaires ainsi que les « métiers » dits « féminins ».

Avec la crise du système capitaliste mondial, un nouveau processus de concentration du capital à l’échelle de la planète se déroule sous nos yeux. Par des fusions, des phagocytoses, des rachats, des liquidations, des faillites, etc, de nouveaux Monopoles transnationaux à dimension planétaire surgissent des entrailles du capitalisme en crise. L’Union Européenne en construction à travers les accords de Shengen, de Maastricht puis de Lisbonne en est un des reflets politico-économiques.

Même si l’émergence des BRICS est en train de changer la donne, la « mondialisation » a été l’expansion à la terre entière de l’hégémonie séculaire des USA, de l’UE, du Japon, bref du G7 et leur guerre économique et commerciale au nom de la « compétitivité ». Ce facteur détermine les politiques de gestion de la crise économique par des attaques en règle contre les conquêtes sociales de la génération précédente de salariés tout comme les attaques contre les pays du Sud. Les conséquences directes en sont : le blocage des salaires, les coupes sombres dans les budgets sociaux, de la santé, de l’éducation, de la retraite, des allocations familiales, mais aussi les licenciements, le chômage massif et endémique, l’augmentation des cadences, la paupérisation, la précarité à travers le développement des CDD, du travail à temps partiel ou chômage à temps partiel, des intérims, l’ubérisation, l’informalisation, etc.

L’extension et la massification du « travail clandestin » est dans cette logique une aubaine pour le patronat. C’est là un moyen de pression terrible contre les acquis sociaux de l’ensemble des travailleurs. Sur le marché du travail, la concurrence entre sans papiers et travailleurs immigré(e)s réguliers ou français sert à baisser le coût de la force de travail, c’est-à-dire à déstabiliser l’emploi stable, les acquis sociaux, les salaires etc. Des secteurs entiers, tels le bâtiment, la restauration, l’agriculture, le gardiennage, la sous-traitance pour les Maisons de Haute Couture et la confection dépendent quasiment du « travail au noir ». Ainsi, les « grands travaux de la république » sous Mitterrand, les infrastructures des jeux olympiques, le tunnel sous la Manche ou le grand stade pour la coupe du monde de 1998 ont tous employé des sans papiers victimes de cette forme moderne d’esclavage. Les patrons négriers tirent du travail non déclaré des milliards de profits. On trouve là, le fondement économique des lois racistes successives depuis plus de 1986, lesquelles fabriquent les sans papiers, criminalisent la solidarité et légalisent la délation.

L’expulsion de sans papiers, au delà du drame humain que cela constitue, est en réalité l’arbre qui cache la forêt de la mise à la disposition des patrons négriers de travailleurs illégaux sous payés. Objectivement, la lutte des sans papiers est un combat des victimes contre le « travail clandestin », c’est-à-dire le travail non déclaré par le patronat.

C’est dans ce contexte de gestion patronale de la crise qu’il faut placer les politiques racistes répressives contre l’immigration et son corollaire la montée du fascisme en France. D’où le refus des sans papiers d’être les variables d’ajustement du marché du travail de la concurrence de tous contre tous aux bénéfices des profits capitalistes.

L’INFLUENCE FASCISTE SUR LE RACISME D’ÉTAT EN FRANCE

C’est J.M. Le Pen lui-même, chef historique du parti fasciste français,qui mieux que quiconque décrit ce qui arrive : « C’est ça la politique, peser sur son temps, sur les décisions du pouvoir, sur la pensée politique. Je pèse en m’exprimant, j’oblige toute la politique française à se droitiser et à se déterminer par rapport à moi. C’est démocratique parce que ce que je pense, c’est ce que pense le pays » (Le Monde du 21/11/84). On peut se rendre compte aujourd’hui que ce n’est point là les fantasmes d’un narcisse qui se croît tout permis. C’est la satisfaction d’un fasciste devant le fait que tout dans la politique du pays se fait par rapport à lui. C’est en clair ce qui se passe sous les yeux de quiconque veut observer la réalité objective. Le Pen a très vite perçu l’intérêt politique de faire de l’immigration un enjeu électoraliste. Parallèlement, Mitterrand utilisa le Front National pour affaiblir la droite et pérenniser son pouvoir. Le parti fasciste s’engouffra dans le boulevard médiatique qui lui était ainsi ouvert pour « travailler » une société malade du chômage, de la misère, de la précarité et de l’exclusion.

Les fascistes s’y sont donnés à cœur de joie disant que « les africains…c’est l’invasion », que les hôpitaux parisiens sont « occupés aux trois quarts par des étrangers, laissant aux parisiens, et donc à tous les français, le seul droit d’aller consulter les sorciers de Ouagadougou »(Le Pen cité par Le Monde du 21/07/85), qu’il faut des « tribunaux spéciaux pour les étrangers », Le Figaro Magazine prétendait même révéler « pour la première fois les chiffres secrets (!?) qui dans les trente années à venir mettront en péril les identités nationales et détermineront le sort de notre civilisation »; « serons-nous encore français dans trente ans? » se demandait-il. Ils ont aussi propagé sans cesse que « les immigrés volent le travail, les femmes, le pain, les allocations des français », « l’immigration, c’est la délinquance, l’insécurité, la toxicomanie, le terrorisme », « l’immigration, c’est la cinquième colonne en cas de guerre ». En plus de la propagande, les fascistes n’hésitaient pas à recouvrir « d’inscriptions injurieuses pour leur propre parti (le Front National) le siège de ce dernier à Valence ainsi qu’une douzaine de façades de commerce. Les inculpés ont reconnu avoir écrit « A mort les Français, Vive les Arabes » sur la façade d’un « fast-food » tenu par le candidat du Front National aux dernières élections cantonales »(La Voix du Nord du 25 mai 85). Les fascistes utilisent, en plus de la provocation, le terrorisme et l’assassinat. Des exemples de terrorismes jalonnent ces décennies de montée du FN: on se souvient qu’en mars 1985, le leader du Front National à Béziers, un certain Serge Lopez, était inculpé pour avoir fait sauter à l’explosif la maison des pieds noirs; en juillet de la même année, c’était Jean Châtelain, membre du FN et trois complices qui étaient arrêtés pour avoir attaqué à l’explosif un café d’Annemasse; en août 1986, quatre terroristes fascistes sautaient avec 5kg de plastic au moment où ils s’apprêtaient à accomplir leur forfait dans un quartier à forte composition immigrée. Leurs tracts portaient des slogans du genre « La France, c’est nous, pas eux », « Pour nous, les potes, c’est la France. Tu ne pourras plus y toucher ». Ils opéraient sous le couvert d’une association loi 1901 qui s’assignait comme but de « défendre les intérêts des citoyens français » et de « poursuivre en justice tous ceux qui auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur qualité de citoyen français ». Ce harakiri involontaire est la preuve que les forces fascistes utilisent tous les moyens, légaux et illégaux, pacifiques et terroristes, pour arriver à leur fin: la conquête du pouvoir politique. Le dosage est déterminé par le rapport des forces du moment. La démocratie parlementaire est inconséquente, hypocrite et mensongère. Le principe de Saint Just, « pas de liberté pour les ennemis de la liberté », est nié par « l’état de droit républicain » tant vanté. Tout ceci n’est pas nouveau, car les fascistes imitent leurs aînés des années 20 et 30 qui ont échoué en France lors de leur tentative de coup d’état en 34 grâce à l’intervention du mouvement ouvrier, populaire et démocratique.

Il en est de même de la fascisation actuelle en France. En 1921, le « Salut Public » de Lyon pleurnichait tout comme ses émules d’aujourd’hui: « une autre conséquence grave de notre stérilité: c’est l’invasion croissante des étrangers. Tout naturellement, en effet, les vides qui se créent tendent à se combler sous la poussée des populations plus denses vivant à la périphérie de notre pays: il y a là une sorte d’application démographique du principe des vases communicants. Le résultat en est une altération progressive du sang français par des éléments hétérogènes qui ne cessent d’affluer de tous les points de l’horizon. (…) Le nombre des étrangers depuis 1850 marque un progrès exactement proportionnel à la marche de notre natalité, à mesure que celle-ci s’abaisse leur chiffre grandit. (…) Depuis un demi-siècle, une évolution très nette ressort des chiffres: la France est de plus en plus envahie par les peuples méridionaux. (…) Toutes les protestations n’y feront rien; dans vingt ans les pays de la Garonne dévastée par la dépopulation seront en voie très avancée d’hispanisation, et les courses de taureaux y fleuriront comme à Séville ou Saint Sébastien, sans autre recours, pour les âmes sensibles, que le regret de la douce France »(cité par Le Monde Diplomatique, août 1986). On peut voir les conséquences de la dérive fascisante à l’époque dans le Nouvelliste du 30 avril 1935: « Avis aux étrangers: Dans l’intérêt de l’ordre public, le Préfet du Rhône rappelle que tout étranger surpris à manifester sur la voie publique se verra immédiatement appréhendé et reconduit à la frontière, quelle que puisse être sa situation personnelle tant au regard des autorités françaises qu’au regard des autorités de son pays d’origine. Cette mesure trouvera son application particulièrement rigoureuse dans les jours qui vont venir, spécialement le 1er mai et pendant la période électorale où les étrangers n’ont rien à voir ». Vingt ans pour que la France soit « défigurée par la présence d’hispaniques », c’est à dire vers 1941. Aujourd’hui, les fascistes dans leur délire sur la supposée « invasion » n’ont fait que remplacer les « hispaniques » par les « musulmans, les arabes et les noirs ».

Le thème récurrent partagé par les fascistes de tous les pays et de toutes les époques en Occident est celui de « l’invasion des étrangers » et « de la pureté de la race ». Ce que démasque ces propos d’il y a 104 ans, c’est qu’il n’y a vraiment rien de neuf sous le soleil. Le Pen et sa bande n’ont fait que dépoussiérer les discours de leurs aînés pour les mettre au goût du jour. Avant de lancer la formule haineuse de Gobineau sur « l’inégalité des races », le 2 avril 1987 au Zénith, Le Pen s’égosillait devant ses supporters robotisés dans des propos qui sont de plus en plus largement partagés par certains gouvernants qui prétendaient le combattre : « A deux mille ans de distance, ce sont pratiquement les mêmes peuples qui nous font courir les mêmes dangers. N’est-il pas vrai que les moudjahidins iraniens sont les descendants de ces perses qui furent vaincus à Marathon, que le monde islamique, qui vient battre les frontières de l’Europe et la pénètre lentement, est composé des fils de ces turcs qui vinrent jusqu’à Vienne et de ces arabes que Martel vainquit à Poitiers? (…) Nous sommes, je le répète, ni racistes, ni xénophobes (…), mais nous ne nous croyons pas obligés de devenir le carrefour du mondialisme, ni l’auberge de la misère mondiale ». Deux ans plus tard, c’était au tour de Michel Roccard du PS de lancer sa formule devenue tristement célèbre « la France ne peut accueillir toute la misère du monde ». La droite a été largement contaminée. A gauche, on entend de plus en plus des sons de cloche ressemblants. La lepennisation d’une partie de la classe politique, enclenchée il y a plus de deux décennies, suit son bonhomme de chemin et se reflète dans une législation de statut spécial de plus en plus répressif vis à vis des immigré(e)s, des Musulmans, des Noirs.

Voilà ce à quoi est arrivé le pays prétendument « berceau des droits de l’homme » depuis que s’est emparé du pays le fantasme «de l’arrêt de l’immigration ou immigration zéro ». C’est au nom de la soi-disante « lutte contre l’immigration clandestine » que les gouvernants successifs ont fait 32 révisions xénophobes de l’ordonnance de 1945 sur « l’entrée et le séjour des étrangers ». Jamais de mémoire, une loi n’a été autant revue et corrigée dans un sens toujours plus raciste et répressif contre une partie de la population. Cet acharnement contre la partie la plus fragile du monde du travail s’effectue dans un contexte d’émergence et de développement du parti fasciste, qui fait son fond de commerce du thème banalisé: « l’immigration responsables des maux de la société française ». La pénétration insidieuse de la propagande fasciste par tous les pores de la classe politique libérale a été progressive.

Face à l’ascension électorale du Front National, la dégénérescence progressive vers les thèses lepénistes s’est accélérée : « Le Pen pose de vrais problèmes » (Fabius L), « la France ne peut accueillir toute la misère du monde » (Roccard M), « les odeurs, la culture, les mœurs, les coutumes sont incompatibles avec la république» (Chirac J), « ce sont des réfugiés économiques » (OFPRA), « l’expulsion des clandestins, c’est pour mieux intégrer les réguliers »(Pasqua, Debré, E. Cresson, Chevènement), etc.

Cette dérive racialiste xénophobe, présentée comme le remède miracle pour faire reculer le fascisme est en réalité un facteur de promotion électorale pour les forces fascistes. Les électeurs, victimes du chômage, de l’exclusion, de la misère, mais aussi intoxiqués par les campagnes médiatiques, les politiques et les lois xénophobes et racistes présentant l’immigration comme bouc émissaire des difficultés sociales et économiques, tombent dans l’escarcelle électorale du Front National/RN préférant manifestement « l’original à la copie ».

LA RÉSISTANCE ANTI-RACISTE DES SANS PAPIERS ANTIDOTE DE LA FASCISATION

Coup de hache à Saint Bernard, multiples « évacuations sanitaires et médicales » de 13 grèves de la faim à Lille, les centaines d’occupations de bâtiments publics ou patronaux, d’églises, de places publiques, les marches inter-villes en France et transfrontalières européennes, les grèves de sans papiers dans les entreprises, les manifestations de solidarité avec les usines en grève, etc.,

Le combat social et démocratique des sans papiers est un prolongement direct du formidable mouvement gréviste de novembre/décembre 1995. La lutte des Sans Papiers indique aussi la voie de la lutte pour tous les autres exclus et précaires que sont les sans emploi, les sans ressources, les sans domicile fixe. Malgré les hauts et bas qui jalonnent une lutte aussi longue, deux danger guettent notre mouvement dans son évolution: d’une part, le danger de droite de la capitulation, des compromissions et de la trahison de la revendication de régularisation globale qui liquide la lutte. D’autre part, le danger de l’isolement sectaire gauchiste qui isole les sans papiers des autres travailleurs, des autres forces démocratiques, y compris de l’immigration régulière. Construire un mouvement national véritable pour la régularisation des sans papiers, c’est éviter ces deux déviations pour garder le cap de la mobilisation populaire de masse condition sine qua non de la satisfaction de nos légitimes revendications. C’est un travail difficile, complexe qui influe sur le choix des actions du mouvement. Mais c’est la voie incontournable au vu de la régression des positions démocratiques, internationalistes, anti-racistes et antifascistes.

Nous traversons une période réactionnaire sur fond de crise du système capitaliste. La défaite de l’URSS, du socialisme d’Europe décuple à un niveau jamais égalé jusqu’ici l’arrogance des classes dominantes et forces politiques rétrogrades de droite et de gauche. Les travailleurs et les forces démocratiques subissent de plein fouet une agression sociale, économique, culturelle et politique sans précédent. Le totalitarisme du libéralisme lamine tous les acquis sociaux et démocratiques des générations précédentes de travailleurs et des peuples. La fascisation de la droite et de la gauche libérale en France fait le lit du fascisme.

Dans cette attaque des classes exploiteuses et des forces politiques à leur service, l’arme du chauvinisme, du tribalisme, de l’intégrisme religieux catholique ou islamique, de l’ethnicisme et du sexisme sert la division des travailleurs et des forces sociales, démocratiques et les affaiblis. Le poison de « l’immigration bouc émissaire », ressassé à chaque problème de banlieue, de toxicomanie, de délinquance, d’insécurité, de licenciement, de terrorisme aboutit à casser l’unité du tissu social au sein des classes exploitées, pour les conduire ensuite les uns après les autres à l’abattoir des intérêts prédateurs du patronat exploiteur.

Karl Marx disait à juste titre: « les ouvriers blancs ne peuvent s’émanciper là où les ouvriers à la peau noire sont marqués au fer rouge » (Le Capital). Les forces sociales et démocratiques en France ont intérêt à faire le bilan de ce qu’a apporté plus de deux décennies de lois racistes répressives contre l’immigration, à faire le point sur ce qu’elles ont gagné après plus de deux décennies de politiques présentant les minorités nationales immigrées comme les bouc émissaires des malheurs sociaux provenant de la crise du capitalisme, de politiques anti-immigré(e)s basées sur la « préférence nationale » et les expulsions.

La lutte des sans papiers a fait objectivement progresser les positions démocratiques, anti-racistes et antifascistes mieux que 20 ans de palabres « humanistes, républicaines assimilationnistes et paternalistes ». Certes, il y a encore beaucoup de chemin à faire; mais la tâche de construction d’un mouvement national pour la régularisation globale des sans papiers ferme sur ses revendications et capable de mobiliser des forces sociales et démocratiques de plus en plus nombreuses, tout en prenant toute sa place dans les luttes d’ensemble des travailleurs et du peuple de France est encore celle de l’heure.

Mars 2025

PS : Ce texte est dédié à nos camarades animateurs avec l’auteur de cette longue marche anti-raciste et antifasciste des sans papiers en France : feus Romain Binazon, Madjiguéne Cissé, Assane Samb.

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