
Le 20e anniversaire de la victoire du vote Non au traité constitutionnel européen au référendum du 29 mai 2005 donne lieu à un certain nombre de commentaires. Nombre d’entre eux passent à côté de l’essentiel.
Par Jean-Marc SCHIAPPA.
Certes, le vote non majoritaire a été une défaite cuisante des partisans de l’ordre capitaliste alors qu’il n’avait pas été organisé dans ce but. Certes, et cela est encore plus important, ce vote majoritaire a été écarté, grâce aux institutions antidémocratiques de la Ve République défendues par les socialistes, la droite et divers libéraux. C’est incontestable.
Mais s’arrêter à ces constats vingt ans après est terriblement pauvre. Rien ne se serait-il passé depuis ? Si tel était le cas, ce serait une version abominablement routinière du « c’était bien mieux avant », commun à tous les nostalgiques et réactionnaires (c’est souvent la même chose).
Or, les militants et les militantes s’intéressent au passé parce qu’il peut avoir des répercussions pour leur action présente.
Revenons brièvement en 2005. Le 29 mai 2005, la majorité du peuple français à 54,68 % rejette le traité constitutionnel européen (TCE), adopté par les chefs d’État et de gouvernement des vingt-cinq pays de l’Union européenne un an auparavant.
Une alliance Chirac-PS
Le but essentiel de ce traité était d’aboutir à la disparition de toute souveraineté nationale et, à partir de là, entériner définitivement toutes les mesures rétrogrades.
La manœuvre politique spécifique au référendum même était assez simple, le président Jacques Chirac, en grande difficulté, espère reprendre la main avec le Parti socialiste, censé apporter la victoire du oui. Une alliance Chirac-PS, sur la base d’une victoire du oui au référendum, avait pour objectif d’assujettir les organisations syndicales.
Et le PS fait officiellement campagne en faveur de la ratification du traité sous la direction de François Hollande, son Premier secrétaire.
Tout avait été fait pour que le résultat soit positif (fausses informations, matraquages médiatiques, sondages truqués, etc.).
Mais, une des bases de la politique, consignée dans le programme de la Quatrième Internationale est que « les lois de l’histoire sont plus fortes que les appareils » (même si les appareils bourgeois sont, justement, faits pour entraver ces lois).
Et la majorité populaire a tranché.
Il serait présomptueux d’expliquer la révolte des militantes et des militants par la seule action du journal Informations ouvrières et des militants autour de lui mais, incontestablement, par les explications et l’argumentation contre le TCE – avant même que le référendum ne soit annoncé – nous avons pesé. Pas plus mais pas moins.
Âpres débats dans la CGT
Cette révolte allant jusqu’aux cadres syndicaux importants va éclater lors du comité confédéral national de la CGT en février qui se prononce pour le rejet du traité constitutionnel par 77 pour, 37 contre et 5 abstentions.
Le secrétaire général Bernard Thibault, relayant les positions de la Confédération européenne des syndicats (CES), faisait tout pour regarder ailleurs et donc faire passer le traité. Il est désavoué de manière cinglante. La tutelle des appareils est singulièrement secouée.
D’un autre côté, les débats font rage à l’intérieur du Parti socialiste, et celui-ci éclate en deux camps irréconciliables. Pour le non,
Laurent Fabius, Henri Emmanuelli et Jean-Luc Mélenchon. Le reste de l’état-major mène campagne pour le oui et, les participants du oui en 2005 (à l’exception de Ségolène Royal) ont rejoint, peu ou prou, la macronie. Curieux parti dans lequel deux opinions totalement opposées peuvent coexister…
D’importantes initiatives en faveur du non ont lieu ; on peut citer la tenue de meetings avec Jean-Luc Mélenchon, Marie-George Buffet (PCF) et Olivier Besancenot.
La tentative de donner consistance à ce front commun n’a pas abouti, pour diverses raisons. C’était une forme de tâtonnement, peut-être évitable, mais il ne sert pas à grand-chose de pleurer sur le lait renversé.
Telle était la situation au lendemain du référendum. Et depuis ?
Les forces sociales et politiques ont continué à se déplacer, logiquement, on pourrait dire telluriquement, dépassant très largement le cas de la situation individuelle des protagonistes.
Laurent Fabius a appelé à voter non, c’est ce qu’il est convenu d’appeler une erreur de casting. Il s’en repentira très vite et présidera le Conseil constitutionnel. C’est un chassé-croisé relativement fréquent dans les positionnements stratégiques des individus, le cas similaire – mais dans l’autre sens – étant Ségolène Royal. Au-delà des individus, ce qui compte, ce sont les forces sociales.
Un PS sur le chemin de la « macronisation »
Certes, les doctrinaires sont restés doctrinaires et c’est ce qui pouvait leur arriver de mieux. Heureusement, ils ne constituent qu’une infime fraction du paysage politique et, ne comptant pas dans celui-ci, on peut les laisser à leur sort. De toute façon, ils ne changeront pas.
Les forces contraires, pour un temps (peut-être un peu trop long, par ailleurs) contenues dans le jeu complexe et épuisant des rapports au sein du PS, se sont libérées dans un sens comme dans un autre.
L’écrasante majorité de l’appareil PS s’est ralliée au macronisme, fournissant hommes et femmes en masse (Gérard Collomb, Sibeth Ndiaye, Didier Migaud et quelques autres ; on pourrait ajouter Manuel Valls, mais la discussion est sérieuse).
Totalement Macron-compatibles, on recense les Cazeneuve, Hollande, Moscovici, Cambadélis, Dray, Guedj etc. En fait, la formule « l’appareil du PS s’est rallié à la macronie » est, quelque part, erronée : la macronie est sortie du Parti socialiste, Macron étant un de ces fonctionnaires-ministres du gouvernement Hollande.
L’essentiel aujourd’hui : l’existence de LFI
À l’autre bout, Jean-Luc Mélenchon rompt avec le Parti socialiste en janvier 2008, avant un congrès d’apparat, et, peu à peu, avec un certain nombre d’autres responsables, il entre dans le processus qui va aboutir, en agrégeant bien d’autres éléments, à la France insoumise, l’élément neuf et majeur de la période.
D’un certain point de vue, c’est le produit de la victoire du non et du kidnapping de cette victoire. Il fallait s’extraire du jeu conventionnel. Les forces contenues se sont libérées. Quelques-uns, effrayés par leur audace, ont esquissé un mouvement de retour vers le giron familial des appareils. Dans la Bible, on fête le retour de l’enfant prodigue en tuant le veau gras pour le festin.
Dans la France actuelle, l’enfant prodigue doit se contenter de passer à la télé Bolloré. C’est moins mythique mais plus rentable…
Le PCF, après avoir longuement hésité et, pour quelques dirigeantes et dirigeants sincèrement, hésité, est revenu à son premier intérêt. Pierre Lambert avait une formule forte à propos de ces apparatchiks : « Vendus, hier à Moscou, aujourd’hui à Washington ».
Les appareils syndicaux ont alors commencé à prendre une place de plus en plus grande dans le maintien de l’ordre, non sans zigzags, non sans contradictions, non sans heurts. Mais il ne faut pas confondre le zig (unité syndicale contre la réforme des retraites en 2023) et le zag, qui est la tendance générale. Ce qui rend ces zigzags encore plus brutaux et incohérents en apparence.
Pourquoi ? Les appareils politiques se sont effondrés, sous le poids de leurs propres contradictions, allant de plus en plus loin dans leur soutien à l’ordre en général et à Macron en particulier. Ils ne peuvent plus « faire le job » qui est le leur : contenir la protestation populaire.
Leur score électoral aux dernières présidentielles est ridicule ; leurs contorsions sont improbables. Ils sont démonétisés. Les appareils syndicaux prennent le relais. Il faut constituer une autre digue pour protéger la Ve République, incluant les « conclaves » où on entre et d’où on sort, comme si c’était un tourniquet et non le sort des salariées et salariés de ce pays qui est en jeu.
Mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel n’est plus (l’a-t-il été, d’ailleurs ?) dans les manœuvres de ces appareils, politiques et syndicaux.
L’essentiel, en 2025, est l’existence de LFI, de ces centaines de groupes d’action, qui portent bien leur nom, de ces dizaines de milliers d’insoumises et d’insoumis qui veulent en découdre et qui sont l’expression organisée de la volonté de millions.
En 2005, il manquait une perspective politique. Sortir de la Ve République. En un mot, il manquait la rupture qu’incarne actuellement LFI. Parler de la victoire du vote non en 2005 sans parler de l’existence, en 2025, de LFI est, au sens propre du terme, réactionnaire.
C’est vouloir revenir en 2005 et effacer l’acquis politique considérable, historique, que constitue ce mouvement de masse construit sur une base claire de « rupture ».
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Source: https://infos-ouvrieres.fr/2025/05/29/20-ans-apres-la-victoire-du-non-au-referendum-de-2005/
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