636 postes supprimés chez ArcelorMittal mais des centaines de millions de bénéfices et de dividendes (H.fr-23/04/25)

Arcelor annonce supprimer plus de 600 postes en France, dont 177 à Dunkerque.© Franck CRUSIAUX/REA

La multinationale, pourtant prospère, poursuit son désengagement de l’Hexagone. Elle annonce la suppression de 636 postes dans les sites français du groupe, selon un comité social et économique qui s’est tenu ce mercredi 23 avril.

Par Cyprien BOGANDA & Lea DARNAY .

La direction aura joué avec leurs nerfs durant toute la journée. Ce mercredi 23 avril matin, un CSE exceptionnel débute au siège d’ArcelorMittal France, à Saint-Denis (93) : les rumeurs de casse sociale bruissent dans les couloirs depuis des jours et les salariés ont hâte de connaître le verdict. Mais plutôt que d’annoncer la couleur d’entrée de jeu, la direction préfère distiller les informations au compte-goutte, égrenant les suppressions de postes par dizaines.

Dans le local syndical du site de Mardyck (Nord), où les élus syndicaux des entreprises du Nord sont réunis depuis 10 heures, l’atmosphère devient irrespirable. Les travailleurs reçoivent le décompte transmis par SMS par leurs collègues présents au CSE central. 16 heures, le chiffre total tombe : 636 postes vont être supprimés (sur environ 15 000), sur fond de délocalisations en Pologne et Inde. « La direction dit qu’elle veut sauver la sidérurgie française, mais ils vont la tuer », réagit Gaëtan Lecoq, secrétaire général CGT, entre deux coups de téléphone.

« On met en danger nos installations mais aussi le territoire Dunkerquois »

177 postes sont supprimés à Dunkerque sur l’ensemble des unités de la petite ville sidérurgique, 100 postes sur les 300 existants du côté de Basse-Indre (Loire-Atlantique) et 39 à Florange (Moselle). « En supprimant un des deux fours de laminage à Florange, ils signent son arrêt de mort », assène Ludovic Putter, élu CGT du site de Mardyck.

« On supprime des postes alors qu’on n’arrive pas à recruter, peste Gaëtan Lecoq. On est déjà en sous-effectif depuis des mois. Je rappelle qu’on est sur un site classé Seveso ! On va mettre en danger nos installations mais aussi le territoire Dunkerquois. La sûreté de la population est en danger, les politiques doivent se bouger ! »

Ces nouvelles suppressions d’emplois s’ajoutent à la casse sociale déjà annoncée il y a plusieurs mois et s’inscrivent dans un plan de désinvestissement massif en France et en Europe. En novembre dernier, le sidérurgiste confirmait déjà la fermeture de deux sites dans l’Hexagone, près de Reims (Marne) et à Denain (Nord), avec, à la clé, la suppression de 135 emplois.

« La sidérurgie en Europe est en crise »

Auditionné par les députés en janvier dernier, le patron d’ArcelorMittal France, Alain Le Grix de la Salle, avait préparé les esprits au pire, en brossant un tableau apocalyptique de l’état du secteur. « La sidérurgie en Europe est en crise, lançait-il en guise de préambule. (…) Je ne peux pas aujourd’hui prendre le moindre engagement, les sites quels qu’ils soient sont tous à risque (de fermeture – N.D.L.R.) en Europe et donc en France aussi. »

Et le patron de détailler, en pointant du doigt la responsabilité de la Chine : « Pour ne parler que de la Chine, elle a exporté 100 à 120 millions de tonnes (d’acier) l’année dernière. C’est l’équivalent de toute la consommation européenne. Les États-Unis protègent leur industrie. Reste l’Europe. L’acier voyage. Nous ne sommes pas contre les importations. Nous demandons qu’elles soient limitées et qu’elles n’aient pas un effet dévastateur sur nos industries comme actuellement. »

Le Petit Poucet ArcelorMittal, menacé d’asphyxie par l’ogre chinois ? La ficelle est un peu grosse. Il est exact de dire que la sidérurgie européenne est confrontée à une crise, mais la Chine a bon dos. Les difficultés du secteur sont liées à l’explosion (conjoncturelle) des coûts de l’énergie, mais aussi aux effets (bien plus structurels) de la longue désindustrialisation européenne, qui a asséché la demande en acier.

« Les usines européennes d’acier tournaient en 2024 à 67 % de leurs capacités, nous explique Marcel Genet, président de Laplace Conseil, cabinet spécialisé dans la sidérurgie et les activités métallurgiques. Pourquoi ? Parce que nous avons désindustrialisé nos économies, notamment en Angleterre et en France. Quand vous délocalisez une usine automobile, par exemple, vous délocalisez aussi la production d’acier correspondante ! »

Arcelor Mittal réduit au minimum ses investissements en Europe

Quant à la Chine, qui fabrique aujourd’hui plus de la moitié de la production mondiale d’acier, elle exporte, en effet, mais très peu en Europe. « Leurs exportations sont principalement tournées vers l’Asie du Sud-Est, reprend l’expert. Si nous sommes également touchés en Europe, c’est uniquement par ricochet : quand la Chine vend ses voitures chez nous, ce sont autant de voitures européennes en moins et donc cela réduit la demande d’acier. »

En attendant, ArcelorMittal semble bien décidé à réduire la voilure en Europe, où il considère que ses marges ne sont plus suffisantes, au profit d’autres territoires jugés plus profitables (États-Unis, Brésil, Inde). En cela, sa stratégie ne se distingue pas d’autres multinationales du secteur, qui ont d’ailleurs annoncé des restructurations bien plus sanglantes au cours des derniers mois : Tata Steel a décidé d’éteindre son dernier haut-fourneau au pays de Galles (Royaume-Uni), menaçant près de 3 000 emplois dans une région sinistrée, tandis que l’allemand Thyssenkrupp Steel annonçait 11 000 suppressions de postes d’ici à 2030.

Dans ce contexte, la tactique d’ArcelorMittal consiste à réduire au strict minimum ses investissements sur le sol européen, tout en pressant les gouvernements de l’aider à maintenir son appareil productif à grands coups de subventions, s’ils ne veulent pas voir fermer les usines. En la matière, l’État français ne s’est pas signalé par sa pingrerie, qui a accordé des centaines de millions d’euros au groupe au cours des dernières années.

Peu d’illusion sur l’avenir du groupe

Le gouvernement serait donc fondé à réagir aux annonces de casse sociale, au nom de la défense d’une industrie stratégique (l’acier est essentiel à l’industrie automobile, aux infrastructures énergétiques ou aux transports) mais aussi des deniers publics mis sur la table sans contrepartie.

Au sein du groupe, les syndicalistes nourrissent cependant assez peu d’illusions. « On imagine mal le gouvernement de François Bayrou montrer les muscles face à ArcelorMittal, soupire un représentant du personnel. Au contraire, le ministre de l’Industrie, Marc Ferracci, a souvent relayé la communication de la direction sur ses difficultés. En oubliant que nous ne sommes pas au bord de la faillite, loin de là. »

C’est même le moins qu’on puisse dire. En 2024, ArcelorMittal a réalisé plus de 1,3 milliard de dollars de bénéfices et distribué la bagatelle de 1,7 milliard de dollars à ses actionnaires, dont 1,3 milliard sous forme de rachats d’actions. En trois ans, lesdits actionnaires (et notamment la famille Mittal, propriétaire de 40 % du capital) ont empoché plus de 6,5 milliards de dollars… De quoi relativiser, décidément, la fable du Petit Poucet.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/arcelormittal/636-postes-supprimes-chez-arcelormittal-lacier-francais-senfonce-dans-la-crise

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/636-postes-supprimes-chez-arcelormittal-mais-des-centaines-de-millions-de-benefices-et-de-dividendes-h-fr-23-04-25/

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