Europe-Russie : Qui pratique l’escalade ? (Investig’Action – 29/10/25)

Par Julie Jauffrineau

Ces dernières semaines, les paroles bellicistes des dirigeants européens contre la Russie se multiplient. Elles laissent même entendre qu’une confrontation directe de l’Europe avec la Russie se prépare. On se souvient de l’appel aux hôpitaux français à se tenir prêts à recevoir des soldats blessés d’ici mars 2026. Depuis, tout vient confirmer ce discours.

En septembre, la Première ministre danoise plaidait pour « une réponse très forte » de l’Europe. De son côté, la Présidente de la Commission européenne, alors qu’elle annonçait le 19ème train de sanctions à l’encontre de la Russie, accusait Poutine de « pratiquer l’escalade ». Et début octobre, le Président français expliquait que « Outre le terrorisme, la Russie est la plus grande menace structurelle pour les Européens ».

Comment expliquer le déploiement d’une telle dynamique belliciste ? Pourquoi l’Europe fonce-t-elle vers la guerre ?

Outre les terribles nouvelles du champ de bataille, trois événements récents et concomitants ont, de nouveau, fait basculer l’Europe dans la peur et l’agressivité contre la Russie : le brouillage GPS qu’aurait eu l’avion de Von der Leyen, l’utilisation d’un ensemble de navires pétroliers utilisés clandestinement par la Russie et les curieuses incursions de drones dans l’espace européen. Trois événements d’importance et ultra-médiatisés. Ils seraient la preuve que les Russes pratiquent l’escalade des tensions, selon Von der Leyen.

A tort, à raison ? L’analyse du traitement médiatique et politique de ces trois événements récents apportent un éclairage pour saisir qui de la Russie ou de l’Europe pratique l’escalade. 

1. Le brouillage GPS, quelle réalité ?

Les 1er et 2 septembre, les problèmes GPS rencontrés par l’avion d’Ursula von der Leyen, en Bulgarie, faisaient les gros titres. Les médias y voyaient une arme d’intimidation russe. « « Une ingérence flagrante de la Russie » : c’est quoi le brouillage GPS dont l’avion d’Ursula von der Leyen a été la cible », titrait Le Parisien. Dans le journal La Croix, on lisait « Brouillage de GPS : l’Europe centrale visée par une guerre électronique conduite par la Russie ». On a même commencé à dire que cette technologie pourrait être, à l’avenir, utilisée sur des avions civils. Le message était clair, la Russie représente un danger pour notre sécurité.

Mais avant de précipiter les accusations envers la Russie, l’événement lui-même aurait dû faire l’objet de vérifications par les journalistes. Tel n’a pas été le cas.

Certains éléments auraient pourtant dû susciter le doute :

  • Alors que l’on entendait que le brouillage GPS avait duré une heure, il s’avère que l’avion de Von der Leyen n’avait que 10 minutes de retard.
  • La Commission européenne a affirmé avoir reçu l’avis du brouillage GPS du gouvernement Bulgare lui-même. Or, quelques jours plus tard, le Premier ministre bulgare dément l’information : « il n’y a aucune preuve d’une interférence prolongée ou d’un brouillage ».
  • La Commission européenne vient d’avouer : l’avion d’Ursula von der Leyen « n’a pas vu son GPS être brouillé » et « il n’y a pas eu d’ingérence russe ». Mais cette information n’a quasiment pas été relayée.

Il s’agissait donc d’un tissu de mensonges grossièrement brodé, une fausse information surmédiatisée dans le but de diaboliser la Russie et de créer un climat de peur en Europe.

Dès lors, on peut considérer cet événement comme une tentative européenne d’escalade des tensions. Mais allons voir plus loin. Deux autres événements sont encore à analyser.

2. La flotte fantôme, une menace pour l’Europe ?

La flotte fantôme russe permettrait à la Russie de contourner les sanctions et de vendre son pétrole brut. L’argent, que rapporteraient ces ventes, financerait son effort de guerre dans la guerre par procuration de l’Otan conte la Russie, à travers l’Ukraine. C’est pourquoi, l’ensemble de ces pétroliers font l’objet d’une surveillance accrue. Problème : ces pétroliers sont fantômes donc difficile à identifier. D’ailleurs, existent-ils ?

La question se pose : les sanctions contre la Russie ont été décidées par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne, unilatéralement. Nombre de pays du Sud global ont refusé de sanctionner la Russie. Ainsi, la Russie n’a ni besoin de l’assentiment des pays occidentaux pour commercer avec d’autres pays, ni besoin de déployer une flotte fantôme pour acheminer son pétrole à l’étranger. A moins que l’appellation « flotte fantôme » n’ait pour but de contrarier le transport naval de pays en faveur de la multipolarité. Après tout, le terme « flotte fantôme » n’a été utilisé que pour parler de pétroliers russes, iraniens ou vénézuéliens.

Le terme « flotte fantôme », étrangement, n’a jamais servi à dénoncer l’assistance militaire à un état qui commet des violations graves du droit international humanitaire et donc condamné par le droit international. En effet, en respect de la Convention sur le génocide, si une « flotte fantôme » était à condamner, ne serait-elle pas israélienne ? Mais le régime colonial reçoit tout le soutien de nos dirigeants afin de convoyer l’aide militaire, nécessaire au génocide, au régime d’apartheid, par voie maritime comme aérienne.

Dès lors, une fois de plus, on ne peut assurer que la Russie pratique l’escalade. En revanche, le deux poids deux mesures européen entre les « flottes fantômes » israéliennes et russes, dévoile une volonté européenne de pratiquer l’escalade avec la Russie. Une escalade confirmée par Boris Johnson qui, de retour sur la scène politique, a invité à « couler les pétroliers russes ». Une mesure écocide et flirtant avec les pratiques terroristes.

3. Des drones non-identifiés mais russes ?

L’épisode des drones semble plus sérieux : il laisserait planer une menace russe sur les territoires européens. L’ensemble des pays européens seraient attaqués, de la Pologne au Danemark en passant par la Roumanie et la France. Aucun pays n’y échappe, les yeux russes sont partout. « Poutine monte d’un cran », et cette guerre hybride se présente plus menaçante que jamais. Mais sommes-nous certains de la présence de ces drones, avons-nous des preuves ? Le doute subsiste.

Par ailleurs, si ces engins ont vraiment survolé le ciel européen, connaissons-nous leur origine ? Hélas, les drones n’ont pas été identifiés faute d’avoir été interceptés. S’ils sont réels, rien ne permet à ce jour d’affirmer qu’ils soient russes. C’est pourquoi ces drones ne font qu’éveiller les soupçons sur la Russie. « Drones mystérieux : l’Europe entre doute et psychose », titrait Ouest-France, à juste titre.

Certes, ces drones pourraient avoir permis à la Russie de tester les défenses de l’Otan en Europe, tout en envoyant un message d’intimidation aux gouvernements européens. Les gains stratégiques seraient pourtant dérisoires face au risque de déclencher l’article 5 du traité de l’Otan. Cet article prévoit une réponse collective en cas d’agression d’un des pays signataires. Ce qui signifie que l’ensemble des pays de l’Otan, dont les États-Unis, entreraient en confrontation directe avec la Russie. Est-ce dans l’intérêt de la Russie ? Cela semble peu probable.

En revanche, en Europe, faire croire à l’existence de drones, qui plus est russes, permettrait de pousser l’opinion publique à souhaiter la confrontation directe avec la Russie et convaincrait de la nécessité de se serrer la ceinture afin de financer l’Otan à hauteur de 5% du PIB, entre autres. Les avantages tirés d’un tel mensonge pourraient conduire à empêcher des négociations avant même qu’il n’y ait à s’assoir à la table des négociations. D’ailleurs, alors que les dirigeants européens s’offusquaient à l’idée que le Président russe se rende à Budapest, les États-Unis annulaient les négociations en Hongrie. 

Dès lors, qui pratique l’escalade ? L’Europe qui panique ou la Russie qui en rit ? La moquerie serait-elle désormais facteur d’escalade ?

Finalement, ces trois événements mettent en avant la volonté européenne de pousser à l’escalade du conflit. Lorsque Ursula von der Leyen accuse, sans preuve tangible, la Russie de « pratiquer l’escalade », elle pratique elle-même l’escalade qu’elle dénonce. En attendant :

  • Le 19ème train de sanctions européen contre la Russie a été lancé, en parallèle aux sanctions des États-Unis, et le 20ème est en cours de préparation, selon Jean-Noël Barrot.
  • Le chef d’état-major de l’Armée française a affirmé que la France devait se tenir « prête à un choc dans trois, quatre ans » avec la Russie qui « peut être tentée de poursuivre la guerre sur notre continent ». En réaction, l’Ambassade de Russie en France s’est empressée de répondre dans un communiqué : « La Russie n’a jamais eu, et n’a toujours pas, l’intention d’attaquer la France ou quelque autre pays de l’Union européenne, ni aujourd’hui, ni dans trois ou quatre ans, ni à l’avenir. »

Sans donner raison à la Russie, ne perdons pas de vue que l’Union européenne tient une lourde part de responsabilité dans l’escalade des tensions. Dans une logique de propagande de guerre, politiciens et médias masquent la vérité, la transforment, voire fabriquent des mensonges pour diaboliser la Russie et pousser les citoyens sur le champ de bataille. C’est pourquoi j’adresserai ces derniers mots à la Présidente de la Commission :

« S’il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Madame la Présidente »

Source : https://investigaction.net/europe-russie-qui-pratique-lescalade/

URL de cet article : https://lherminerouge.fr/europe-russie-qui-pratique-lescalade-investigaction-29-10-25/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *