Entretien-Cyrielle Chatelain : «Sur la taxe Zucman, le bloc de gauche ne doit pas renier ses positions» (Reporterre-30/10/25)

Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste et social à l’Assemblée nationale, fin décembre 2022 à Paris. – © Mathieu Génon / Reporterre

Alors que la taxe Zucman sur les ultrariches pourrait être allégée par les socialistes, Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste et social à l’Assemblée, appelle la gauche à ne pas « renier ses positions ».

Par Fanny MARLIER.

Au motif que son adoption serait peu probable, les socialistes affaiblissent la taxe Zucman. Déposée en février par le groupe écologiste et social, celle-ci avait pourtant reçu le soutien du Nouveau Front populaire (NFP), tandis que la droite et les macronistes s’y opposaient et que le Rassemblement national (RN) s’était abstenu.

Le 26 octobre, le parti d’Olivier Faure a préparé un amendement visant à contourner les critiques faites sur la taxe Zucman. En résumé, cet « impôt minimum sur les hauts patrimoines » prévoit d’abaisser le plafond de 100 millions d’euros, dans la version de départ, à 10 millions d’euros de patrimoine, et de monter le taux de 2 à 3 %. Seulement voilà, les socialistes ont prévu plusieurs exemptions : les entreprises familiales et celles dites innovantes ne seraient pas visées par cet impôt.

Résultat : la mesure rapporterait entre 5 et 7 milliards d’euros. Bien loin donc des 20 milliards d’euros visés dans la proposition de loi initiale déposée par Éva Sas (Les Écologistes) et Clémentine Autain (L’Après).

Pour Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste et social à l’Assemblée nationale, « il ne faut pas réagir en fonction de ce qui est le moins pire, mais se demander plutôt qui faut-il mettre à contribution ».

Reporterre — Que pensez-vous de la proposition des socialistes de cette taxe Zucman version allégée ?

Cyrielle Chatelain — L’objectif de la taxe Zucman est de mettre à contribution les ultrariches à la hauteur de leur patrimoine. La proposition de loi a été adoptée en février dans la journée parlementaire des écologistes et elle était défendue par toute la gauche. Je suis convaincue que ce qui a d’ores et déjà été adopté doit continuer d’être défendu.

La version poussée par l’amendement déposé par les socialistes revient à créer des conditions et donc à faire des trous dans cette taxe : elle donne la possibilité à ces ultrariches de pouvoir réorganiser leur fortune pour continuer à faire de l’optimisation fiscale. À ce stade, notre crainte est que si l’on commence à introduire des exceptions, ces personnes qui savent très bien s’entourer d’avocats fiscalistes arrivent à organiser différemment leur fortune pour s’y soustraire.

Comment analysez-vous l’argument selon lequel cette version « allégée » vaudrait mieux que rien ? Comprenez-vous la stratégie des socialistes ?

Notre objectif est de remettre de la justice fiscale au cœur du budget, c’est pourquoi l’on défend la taxe Zucman. Dans le consentement à l’impôt, il faut que les citoyens aient la certitude de payer leur juste part, mais aussi, que chacun paie sa juste part. Si on accepte que des ultrariches échappent à certains impôts, alors ce consentement ne tient plus.

Dans son budget, il faut des financements et donc des recettes. Or le bilan des deux quinquennats d’Emmanuel Macron est marqué par 60 milliards d’euros de recettes en moins par an liés à des baisses d’impôts, notamment pour les grands groupes et les personnes les plus aisées. Il est grand temps d’aller retrouver les recettes de manière juste en imposant mieux celles et ceux qui contribuent moins que la moyenne des Français.

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En réalité, la taxe Zucman est d’ores et déjà une solution de compromis puisqu’elle ne rattrape pas ces 60 milliards en moins, mais rapporterait environ 20 milliards d’euros. Cet argent-là est indispensable pour financer la transition écologique.

Le budget sur les questions environnementales va encore être diminué : en 2026, le Fonds vert, qui permet de financer des projets d’adaptation au changement climatique (isolation des bâtiments publics, pistes cyclables…) risque d’être diminué de moitié passant de 1,5 milliard à 650 millions d’euros. C’est pour cela qu’à ce stade, il ne faut pas réagir en fonction de ce qui est le moins pire, mais se demander plutôt qui faut-il mettre à contribution.

Il y a eu des échanges ce weekend entre le bloc central et la gauche ainsi que les écologistes. Quelle sera la stratégie de votre groupe sur le budget ?

À ce stade, le gouvernement s’est engagé à ne pas utiliser le 49.3, nous pouvons donc au moins avoir des débats de qualité à l’Assemblée nationale. La réunion qui s’est tenue ce weekend entre les socialistes, les communistes, les groupes macronistes et les écologistes a permis de clarifier les positions de chacun. Elle a d’ailleurs révélé à quel point les différents groupes macronistes ne sont en réalité pas tout à fait d’accord entre eux, mais ils attendent de voir la position que tiendra le Premier ministre.

« C’est important que le bloc de gauche ne renie pas ses positions »

Dans sa première lecture, le budget doit être discuté en 40 jours, mais si les débats durent trop dans le temps, le gouvernement a la capacité de les arrêter et contourner le vote de l’Assemblée nationale en utilisant finalement le 49.3, ou en passant en force avec des ordonnances. Le débat parlementaire reste en réalité très contraint par le gouvernement et on sent bien que les macronistes en ont conscience. Ils ont l’assurance de ceux qui, à la fin, disposent d’une corde de rappel pour refuser en attendant de bouger leurs lignes.

Dans ces conditions, c’est important que le bloc de gauche ne renie pas ses positions. Le bloc central ne veut pas accepter la réalité, celle d’une politique menée durant deux quinquennats qui leur ont donné tort et dans laquelle la théorie du ruissellement n’a pas fonctionné et a contribué à faire exploser le déficit.

Cette mesure allégée, qui ne semble pas emporter l’adhésion du blog central, illustre les fractures à gauche. À ce stade, l’union de la gauche ne semble-t-elle pas déjà un lointain souvenir ?

Qu’il y ait des différences stratégiques à gauche, ce n’est pas nouveau. En février, en étant tous alignés sur la taxe Zucman, nous avons eu un poids important, y compris dans le débat médiatique d’ailleurs. Le fait d’aller sur une proposition moindre, pour l’instant, ne semble en effet pas faire bouger le bloc central. À l’Assemblée nationale, la gauche est forte lorsqu’elle est unie. Cette unité va être d’autant plus importante dans les combats à venir. Face au bloc radical de droite et d’extrême droite qui se dessine, nous avons besoin d’un bloc écologiste de gauche, progressiste, humaniste qui arrive à faire contrepoids, et cela ne fonctionne que si nous sommes ensemble.

Aux élections législatives de 2024, le NFP enregistrait de bons scores, mais certaines circonscriptions classées à gauche ont basculé à l’extrême droite, notamment dans des territoires ruraux. Comment la gauche peut-elle contrer cela ?

Je suis originaire d’un territoire rural [Vesoul, en Haute-Saône] et je constate l’incompréhension de nos propositions régulièrement caricaturées par les habitants de ces territoires. Nous devons déjà saluer le travail de tous les militants et des élus sur ces territoires. Si certaines personnes ne nous font plus confiance, c’est sans doute qu’il y a des choses que nous devons faire autrement. Je pense notamment que nous ne devons pas dépasser le discours, largement alimenté par l’extrême droite, visant à opposer les habitants des villes et ceux des campagnes.

Il n’existe pas une seule ruralité, mais des ruralités avec des réalités extrêmement différentes. Le livre écrit par Julia Cagé et Thomas Piketty Une histoire du conflit politique, Élections et inégalités sociales en France, 1789-2022 (éd. Seuil) démontre qu’il y a en réalité davantage de points communs ou de difficultés communes entre des habitants de classes populaires de banlieues et des habitants de communes rurales, qu’entre ceux qui vivent dans des communes rurales très riches et ceux issus des communes rurales très pauvres.

Dans un contexte d’effritement des services publics, l’enjeu réside dans la répartition des richesses qui va conditionner l’accès aux soins, à l’éducation, aux transports en commun ou à la rénovation thermique des logements.

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Source: https://reporterre.net/Cyrielle-Chatelain-Sur-la-taxe-Zucman-le-bloc-de-gauche-ne-doit-pas-renier-ses-positions

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