
Depuis plus d’un an, le personnel éducatif du lycée Marcelin-Berthelot à Pantin (93) alerte sur l’état de leur établissement. Les professeurs, parents d’élèves et lycéens ont le sentiment d’être abandonnés.
Par Lisa NOYAL.
Lycée Marcelin-Berthelot à Pantin (93), le 2 octobre — À la récréation de 15 heures, Yanis (1), élève en terminale, discute avec ses amis sous le hall. Un bruit éclate. Des tirs de mortiers d’artifice partent dans sa direction. L’un d’eux frôle l’oreille de son ami. « Je me suis dit : “Il va se le prendre en pleine tête”. » Le lendemain, de nouveaux tirs s’enchaînent dans le hall de l’établissement.
En une semaine, les toilettes sont cassées, des fumigènes sont lancés, un départ de feu est arrêté à temps. L’odeur de brûlé colle aux murs. « J’ai fait une crise d’asthme avec la fumée, ça faisait mal à la tête », se souvient Alexandre (1), l’un de ses camarades. Pour Chloé (1), lycéenne en seconde, c’est évident : « Les élèves se révoltent parce que ce lycée, c’est n’importe quoi. » Depuis plus d’un an, élèves et professeurs dénoncent leurs conditions de travail et d’apprentissage. Bâti vieillissant, lézardes sur les murs, plafonds couverts de champignons, fenêtres cassées, prolifération de nuisibles… Un élève s’indigne :
« Si on était un lycée dans Paris, tout le monde se serait déjà intéressé à nous. »
Les locaux de l’établissement pantinois — situé en Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de l’Hexagone — datant de 1976 sont situés au carrefour de plusieurs villes — Aubervilliers, Bondy, Bobigny, Drancy, Noisy-le-Sec, Saint-Denis — et accueillent donc les élèves des bahuts franciliens surchargés. Environ 900 lycéens s’entassent dans la structure. Lors de l’annonce du plan d’embellissement des lycées de 2024, Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, s’était rendue sur place. Mais un an plus tard et malgré quelques travaux jugés insuffisants, Vincent, parent d’élève, désespère : « Ils ont pris en compte qu’il fallait agir, mais rien en proportion de ce qu’il faut faire. »
Le site n’a plus de pôle médico-social depuis plus d’un an. À dater de la rentrée scolaire 2024, les professeurs ont exercé leur droit de retrait pour « danger grave et imminent » à deux reprises. La région Île-de-France et la Direction de services départementaux de l’Éducation nationale (DSDEN) du 93, via le rectorat de Créteil, assurent être mobilisées pour améliorer ces conditions. Le maire socialiste de la ville, Bertrand Kern, s’est rendu au lycée et une délégation a été reçue à la DSDEN.
Le 30 septembre, quatre jours après le droit de retrait, une désinsectisation des locaux aurait été réalisée mais la hiérarchie de l’établissement aurait considéré leur action comme étant illégitime — menant au retrait d’un trentième de leur salaire. Contacté à ce sujet, le rectorat n’a pas répondu à StreetPress. « Les profs sont super impliqués et on leur dit que leur droit de retrait est abusif, c’est méprisant », lâche, abasourdi, Vincent, le père d’un élève en terminale.
Plafond avec de la moisissure, rats et cafards
Cinq jours après le premier tir de mortier, le 7 octobre, une fenêtre tombe sur une agente de restauration, alors en train de faire la plonge. En essayant de l’ouvrir, elle finit aux urgences. Une procédure de droit d’alerte est enclenchée. Le personnel aurait reçu l’instruction de ne plus ouvrir les fenêtres jusqu’à ce qu’un diagnostic complet soit réalisé le 15 novembre. Elie (1), professeur dans l’établissement, raille :
« Peut-être qu’ils vont annoncer des mesures assez lourdes… comme changer les fenêtres, par exemple. »
La vitre de la cuisine n’est toujours pas remplacée une semaine plus tard, laissant ainsi un espace vide. « La ventilation ne marchait plus, au moins le problème est réglé maintenant, ça aère », ironise Thomas (1), un autre enseignant. Les autres, dans les salles de cours notamment, ne sont pas en meilleur état. Certaines ne s’ouvrent pas ou ont un volet cassé qui reste fermé. Les cours se font sans lumière, ce qui n’empêche pas les élèves d’apercevoir des cafards grouiller sous leurs pieds. « Quand on est en cours et qu’il y en a un, j’attends qu’un valeureux élève se désigne pour aller l’écraser », relate Elie, désabusé.
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Au-dessus de leur tête, le plafond est parfois recouvert de moisi. Dans les couloirs, le réfectoire ou la cour, les souris et les rats se faufilent parfois entre leurs jambes. La région y répond fermement : ce n’est pas de leur responsabilité. Elle a diffusé, en 2024, un « guide de la maintenance » aux chefs d’établissement qui sont garants de la gestion des « nuisibles ». Les mulots n’ont qu’à bien se tenir.
Des travaux d’aménagement ont débuté cet été — et s’étaleront jusqu’en 2026 — pour un montant de 2,8 millions d’euros. Ce budget est jugé faible par les professeurs, comparé à ceux alloués aux autres établissements du département. En attendant qu’un foyer et des salles de classes soient terminés, quelques élèves travaillent dans des préfabriqués sans fenêtre pouvant s’ouvrir. La salle de permanence serait prête à l’emploi si on juge non nécessaire d’attendre le mobilier. Gabrielle (1), prof, résume fatiguée :
« Tout est toujours modulaire, on rajoute des bâtiments provisoires puis on les remplace. »
De nombreuses alertes
En plus des alertes faites au rectorat, le personnel éducatif et les représentants des parents d’élèves ont aussi contacté le ministère de l’Éducation nationale, des élus locaux, des députés ou l’opposition de la région. Contacté par StreetPress, le rectorat assure que « la situation est connue et suivie de près » et précise que la DSDEN du 93 est « pleinement mobilisée pour apporter des réponses concrètes et durables aux difficultés rencontrées ».
De son côté, la Région confirme être en contact régulier avec la direction de l’établissement et se dit aussi « pleinement mobilisée pour améliorer les conditions d’accueil et d’étude ». Elle affirme que « les interventions engagées […] ont déjà permis de traiter la quasi-totalité des espaces du lycée », jugés insalubres par le corps enseignant et pédagogique. Ce « plan embellissement » ne comprend pas les toilettes. « Fréquemment dégradées », il faudra attendre « début 2026 » pour une « réhabilitation importante ».
Angèle (1), professeure, quitte tous les matins son domicile en se demandant : qu’est-ce qui ne va pas aller aujourd’hui ? Est-ce que les ordinateurs vont s’allumer ? Est-ce qu’Internet va fonctionner ? « C’est éreintant », souffle-t-elle. Elle décrit une salle de classe avec des fils électriques pendants, à moitié retenus par des bouts de scotch. Une autre enseignante raconte : « On m’a dit qu’il y avait un risque d’électrocution, alors, je fais attention quand je passe dessous. »
Quand Chloé apprend son affectation au lycée Marcelin-Berthelot, elle fond en larmes. Depuis le collège, ses profs et ses camarades lui dépeignent le tableau peu réjouissant.
« On dirait qu’on est dans des caves, ça ne ressemble à rien… Ça ne me donne pas envie de travailler. »
« Les élèves souffrent et subissent aussi les conditions dans lesquelles ils sont accueillis », décrit Charlie (1), un autre prof. Le réfectoire trop petit impose de manger en quelques minutes ou à l’extérieur, les cours étalés sur six jours avec de nombreuses heures de pause, pas de gymnase, des professeurs absents pas toujours remplacés… Après presque deux mois de cours, elle conclut : « Les professeurs sont vraiment bien, c’est le reste qui ne va pas. »
Un sentiment d’abandon
Pour la cinquième rentrée consécutive, le lycée se retrouve sans assistante sociale. Confrontés régulièrement à des situations sociales extrêmes ou à des problèmes intrafamiliaux graves, les professeurs racontent se sentir dépassés. « On n’est pas formés pour ce genre de travail », souligne Thomas, estimant qu’ils font au mieux. Accompagnés par la Vie scolaire, ils participent au fonctionnement d’une friperie et d’une collecte alimentaire au sein du lycée pour permettre aux plus précaires de manger et de s’habiller.
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La DSDEN et le rectorat font savoir qu’une assistante sociale devrait arriver en novembre. « C’est nous qui l’avons trouvé », fait remarquer le prof. C’est aussi la deuxième rentrée sans infirmière, faute de candidatures selon les organismes. En cas de problèmes médicaux, les professeurs sont contraints d’appeler le SAMU. « À force d’appeler le 15 toutes les semaines, on a peur qu’ils ne se déplacent plus », déplore l’un d’eux.
En 2024, les personnels du département demandaient la mise en place d’un plan d’urgence pour l’éducation dans le 93. À StreetPress, la région de Valérie Pécresse vante ses travaux de rénovation effectués au sein des lycées du département « pour que tous les lycéens franciliens bénéficient des mêmes conditions d’étude et des mêmes chances ». Pas de quoi combler le désespoir de Claire (1). La professeure, là depuis plus de trois ans, lâche :
« On est qu’à dix minutes de Paris, mais on a que dalle. On a l’impression d’être abandonnés par l’État. »
(1) Les prénoms ont été modifiés et les matières d’enseignement n’ont pas été précisées pour respecter l’anonymat.
Le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche nous a redirigés vers le rectorat de Créteil et la Région. Le proviseur du lycée nous a également renvoyés vers le rectorat de Créteil.
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