
Léon Landini est décédé le 21 septembre dernier alors qu’il avait 99 ans. Fondateur du PRCF, il était le dernier membre encore en vie des francs-tireurs et partisans de la main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI), un réseau de résistants étrangers, communistes pour la plupart, qui se sont engagés en France occupée dans la lutte armée contre l’Allemagne nazie et le régime de Vichy. Adolescent saboteur dans la Résistance, torturé par Klaus Barbie, militant communiste jusqu’à son dernier souffle, Léon Landini incarnait ce fil rouge reliant l’antifascisme d’hier aux combats d’aujourd’hui. À travers sa disparition, c’est une certaine idée de la France — celle des révoltés, des réfugiés, des opprimés — qui s’efface un peu plus. Et pourtant, ses mots, son courage et sa lucidité continuent de résonner comme un avertissement : le fascisme n’appartient pas au passé, il renaît partout où l’injustice prospère.
Par Pierre BERNARD
La trajectoire d’un résistant communiste
Léon Landini naît en 1926 au Muy, près de Saint-Raphaël, dans le Var. Il est le fils d’immigrés italiens ayant fui le fascisme pour se réfugier en France en 1921, après que les soldats de Mussolini ont massacré 11 personnes dans la commune de Roccastrada en Toscane, où son père était élu communiste. Dès son enfance, ce récit sème en lui les graines d’un futur résistant, comme il le racontait dans le dernier entretien qu’il a livré au journal L’Humanité : « Ma mère, des années plus tard, pleurait encore en parlant des voisins touchés. En la voyant pleurer, je n’avais pas besoin de formation : j’étais formé à l’antifascisme. »
Dès 1939, son père et son frère s’engagent volontairement dans l’armée pour défendre leur pays d’accueil. Mais en 1940, la France subit une débâcle face à l’armée allemande, qui occupe alors le nord du pays. Le reste du territoire est sous l’autorité du régime de Vichy, qui collabore avec le régime nazi. Alors qu’il n’a que 14 ans, Léon colle des étiquettes « Pétain tu as trahi la France » sur les boîtes aux lettres et sur la gendarmerie. Puis, son engagement prend un tournant en octobre 1942 lorsqu’il participe au sabotage de la voie ferrée entre Saint-Raphaël et Cannes, qui provoque le déraillement d’un train de marchandises allemand. Faisant désormais partie des FTP-MOI, il prend part au dynamitage d’une mine de bauxite à Brignoles quelques mois plus tard, en février 1943. Face à ces attaques, l’OVRA – la police politique italienne, qui occupe la région – réagit. En mai, Léon Landini part rejoindre le maquis des FTP dans la Creuse après que son père et son frère ont été arrêtés, torturés, puis déportés. Ils parviennent cependant à s’enfuir à Dijon, grâce à la complicité des cheminots, puis retrouvent Léon dans la Creuse.
Début 1944, son frère part à Lyon pour rejoindre la guérilla urbaine menée par le groupe local des FTP-MOI et Léon le suit quelques mois plus tard. Dès son arrivée, il est prévenu : « Ici, ce n’est pas le maquis. L’espérance de vie est de trois mois ! Si tu ne veux pas rester, tu peux partir. » Léon Landini choisit de rester. Il participe une nouvelle fois à des déraillements, mais aussi à des assassinats de soldats allemands. Il résume l’état d’esprit qui le traverse avec ses camarades à l’époque : « Nous avions peur vingt-six heures sur vingt-quatre parce que, certaines heures, la peur compte double. » À partir de juin, les affrontements deviennent quotidiens entre la police de Vichy, les Allemands et les résistants. Les nazis et les collaborateurs commencent à avoir peur et intensifient la répression. Le 25 juillet 1944, Léon Landini tombe dans une nasse. Il est alors arrêté, puis torturé par les miliciens et par Klaus Barbie, surnommé le « boucher de Lyon ». Avant de s’éteindre, le résistant témoignait auprès du journal L’Humanité :
« Là, ça a été l’horreur : à coups de pied ils m’ont cassé le nez, écrasé les testicules, défoncé la boîte crânienne. Je n’ai pas dit un mot. Puis j’ai été transféré à la prison du fort Montluc : 950 personnes étaient entassées là dans des cellules microscopiques, à huit ou neuf. J’y suis resté un mois, dans des conditions épouvantables. Au maquis, les camarades me croyaient mort et avaient prononcé une oraison funèbre. »
Dans un entretien vidéo pour le média Blast, il ajoutait :
« Quand ils ont commencé à me frapper, j’ai dit “pourvu que je tienne le coup”. “Pourvu que je ne parle pas”. Puis au bout d’un moment qu’ils me frappaient, […] je disais “c’est bon ils ont perdu, maintenant je ne parlerai plus jamais”. Et, surtout, l’idéal pour lequel je me bats mérite que tu ne parles pas. »
Le 24 août 1944, alors que l’insurrection éclate à Villeurbanne contre l’occupation allemande, il profite du chaos pour s’évader de la prison de Montluc. Retrouvant ses camarades, qui le croyaient mort, il reprend aussitôt le combat à la tête d’une compagnie de 180 résistants. Quelques jours plus tard, l’arrivée des Alliés permet la libération de Lyon.
Après la Libération, Léon Landini poursuit ses combats communistes et antifascistes, notamment contre la guerre d’Algérie. En 2004, il cofonde le Pôle de renaissance communiste en France (PRCF) face au tournant réformiste pris par le PCF depuis les années 1990. Fidèle à ses idéaux et à sa trajectoire de résistant, il déclare : « Je ne quitte pas mon parti, c’est mon parti qui m’a quitté. »
Effacements et récupérations : la Résistance confisquée
Léon Landini était donc le dernier des FTP-MOI encore en vie. Les Francs-tireurs et partisans sont un mouvement de résistance créé en 1941 par le Parti communiste français. Dans ce mouvement, de nombreux résistants d’origine étrangère luttent au sein des unités « Main d’œuvre immigrée ». Ils font partie des groupes de résistance les plus actifs et déterminés, menant une lutte armée et une guérilla urbaine face à l’occupant nazi. L’un des membres les plus éminents était Missak Manouchian, né en Arménie et à la tête du groupe parisien des FTP-MOI à partir de 1943. Le 21 février 1944, lui et 22 autres résistants communistes de la main d’œuvre immigrée sont fusillés au mont Valérien. Les nazis ont voulu faire d’eux un exemple de leur répression en stigmatisant leurs origines. Tout de suite après leur exécution, 15 000 exemplaires de la fameuse « affiche rouge » sont placardés en France. Sur le tract qui accompagne les affiches, on peut y lire :
« Si des Français pillent, volent, sabotent et tuent… Ce sont toujours des étrangers qui les commandent. Ce sont toujours des chômeurs et des criminels professionnels qui exécutent. Ce sont toujours des Juifs qui les inspirent. »

82 ans après son exécution, Missak Manouchian et son épouse ont fait leur entrée au Panthéon, le 21 février 2024. Léon Landini était présent à la cérémonie, accompagné du drapeau du bataillon Carmagnole-Liberté, le groupe FTP-MOI lyonnais auquel il appartenait. Mais quand le président français Emmanuel Macron lui a demandé s’il était content d’être là, voici sa réponse :
« J’ai dit “oui et non”. Il m’a dit “Comment, oui et non ?” “Oui, je suis content d’être là, mais je ne suis pas du tout content d’être là avec les Le Pen alors que je combattais ceux qui ont créé ce mouvement. Avec le fusil, je les ai combattus !” Bah y’en a qui ont été des officiers dans la Gestapo. Y’en a un qui est resté je sais pas combien d’années trésorier du FN et il venait de la pègre. »
Rappelons en effet que le Front National, lorsqu’il est créé en 1972, réunit des collaborationnistes, d’anciens SS et des criminels de guerre. Il compte notamment parmi ses fondateurs Pierre Bousquet, qui avait intégré la division Charlemagne de la Waffen-SS en 1943 et qui devient secrétaire du FN jusqu’en 1980. Comme le résumait Léon Landini : « Les fondateurs du FN, c’étaient des fascistes, on ne peut pas employer d’autres mots. »

L’invitation du Rassemblement national à la panthéonisation de Manouchian soulève ainsi plusieurs questions et nous renseigne sur deux erreurs que l’on commet lorsque l’on évoque la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. La première de ces erreurs est de vouloir à tout prix former une mémoire consensuelle dépolitisée de cette période. Cela a commencé après la guerre avec le mythe résistancialiste, consistant à dire que la nation toute entière avait résisté et que Vichy n’était qu’une parenthèse illégitime. Dans les années 1970, le mythe s’est effondré, notamment grâce au film Le Chagrin et la Pitié et aux travaux de l’historien Robert Paxton qui ont montré la collaboration de l’Etat et d’une partie de la population. Puis, dans les années 1990, la collaboration de l’État français avec l’Allemagne nazie a été officiellement reconnue. Ce moment aurait pu permettre un véritable travail de mémoire. Mais, en cherchant à apaiser la société, on a surtout neutralisé la portée politique de cette histoire. On a fini par croire qu’une mémoire commune, partagée par tous, suffisait à solder le passé. Or, les propos négationnistes de Jean-Marie Le Pen et l’identité des fondateurs du Front national prouvent qu’il n’en est rien.
Aujourd’hui, tout le monde se réclame de la Résistance : chaque parti politique revendique un héritage gaulliste, et chacun affirme qu’il aurait pris les armes face à l’occupant nazi. Le Rassemblement national, autrefois marginal, est désormais omniprésent dans le débat public et atteint systématiquement le second tour des présidentielles. En somme, nous serions tous devenus résistants et ce critère n’est plus une ligne de fragmentation politique. Mais cette unanimité est trompeuse : la Résistance a été vidée de son contenu politique pour devenir un symbole consensuel et inoffensif.

Pourtant, résister n’a jamais été consensuel. Il suffit de voir comment sont traités celles et ceux qui s’opposent aujourd’hui à l’ordre établi : à Sainte-Soline, ou dans les mobilisations contre le génocide palestinien, les manifestants sont qualifiés de « terroristes », comme l’étaient autrefois Léon Landini et ses camarades. Et beaucoup de ceux qui se disent « héritiers » de la Résistance défendent en réalité les mêmes logiques d’exclusion et de haine que ceux qu’elle combattait.
Le Rassemblement national en est l’exemple le plus criant. Fondé par des collaborationnistes et d’anciens SS, il prétend aujourd’hui honorer la mémoire de la Résistance. Pourtant, la veille de la panthéonisation de Manouchian, Marine Le Pen et Jordan Bardella partageaient un dîner avec Alice Weidel, dirigeante de l’AfD, un parti d’extrême droite allemand dont certains membres ont récemment élaboré un plan pour déporter plusieurs millions d’Allemands d’origine étrangère. Voilà le paradoxe et le danger : ceux qui flirtent avec les héritiers du nazisme se permettent aujourd’hui de célébrer ceux qui l’ont combattu.
L’histoire trébuche : oppression, racisme, guerre et autoritarisme dans le capitalisme du XXIe siècle
Les paroles de Léon Landini et la panthéonisation de Manouchian nous renseignent sur une deuxième erreur, celle consistant à croire que la connaissance de l’histoire nous empêcherait nécessairement de « commettre à nouveau les erreurs du passé » comme on l’entend souvent. Là encore, il s’agit d’un mythe rassurant, qui simplifie la réalité et vide de sa substance la réflexion historique. En réalité, il ne suffit pas seulement de connaître l’histoire. Il faut aussi être capable d’en voir les résurgences, de voir les signaux morbides lorsqu’ils apparaissent, même lorsque l’on a l’impression d’être à contre-courant. Justement, c’est précisément cela que veut dire « résister ». Léon Landini, lui, a continué à résister jusqu’à sa mort. Jusqu’à son dernier souffle, il est resté à contre-courant. Même si cela peut choquer, il n’hésitait pas à comparer la situation présente avec les années 1930 : « Alors oui, la période actuelle me rappelle l’avant-guerre. C’est revenu. Parce qu’on sent bien que la situation est dangereuse, qu’on est sur la dernière marche. Et ça, il faut le dire, il faut le répéter, il faut le combattre. Jusqu’au bout. »
Se souvenir n’est donc pas une fin, mais un moyen. Connaître l’histoire nous permet d’analyser le présent avec plus de recul, de voir que le contexte est très différent de celui des années 1930, mais que certaines tendances lourdes et particulièrement dangereuses sont belles et bien comparables. Les dépenses mondiales dans l’armement ont par exemple atteint 2718 milliards d’euros en 2024, connaissant leur plus grande augmentation annuelle depuis la fin de la Guerre Froide. Les extrêmes droites néo-fascistes sont revenues au pouvoir dans énormément de pays, y compris en Europe. Même si elles peinent à installer des dictatures – comme en témoigne l’échec des coups d’État de Trump ou de Bolsonaro –, elles installent progressivement des régimes autoritaires. Les manifestations sont violemment réprimées, les mouvements antifascistes sont progressivement interdits, les personnes immigrées sont raflées et déportées. On l’a vu récemment aux États-Unis avec une mise en scène particulièrement obscène, mais aussi en France lorsque Bruno Retailleau, alors ministre de l’Intérieur, a ordonné des rafles contre les sans-papiers dans les gares de tout le pays.
En tant qu’immigré, Léon Landini sait bien que c’est sur eux que le pouvoir fasciste s’exerce en premier lieu. Dans les derniers entretiens qu’il a donnés, il n’a cessé d’alerter sur la montée du racisme en France et en particulier sur l’islamophobie nauséabonde qui s’est emparée du pays. Sur les six premiers mois de 2025, Mediapart a recensé une hausse de 75% des actes islamophobes par rapport à la même période l’année passée. Dans la liste que dresse le journal, on compte notamment un assassinat, une mosquée brûlée et de nombreuses insultes ou agressions ciblant directement des Musulmans. Le résistant des FTP-MOI ne mâchait pas ses mots sur ce sujet :
« Qu’ils viennent me dire du mal des Arabes devant moi. Même à mon âge, je me tourne et [leur met] un revers dans la figure. Si tu laisses passer, ils se croiront tout permis. Il faut qu’ils sachent qu’en France, il y a quand même une partie de la population qui n’accepte pas le racisme, sous quelque forme qu’il soit. En France, les racistes, ils n’ont pas le droit d’y rester. On est un pays de la liberté et du respect de l’être humain. Alors, qu’ils s’en aillent si ça ne leur plaît pas. »
En définitive, croire que la connaissance du passé suffit à nous en protéger relève donc d’une illusion : ce n’est pas la mémoire seule qui empêche la répétition, mais la lucidité et le courage de voir, dans le présent, les signes de ce que l’histoire nous a déjà montré.
« Si tu ne résistes pas à l’oppression, et bien elle se développera encore plus »
Face à cette double impasse – celle d’une mémoire consensuelle dépolitisée et celle d’un apprentissage passif de l’histoire -, Léon Landini laisse derrière lui un chemin à suivre : celui de la résistance active et continue face à toutes les oppressions. « Être militant, c’était un état permanent : avant, pendant, après », résumait-il. Il invite à ne pas se contenter d’honorer les morts, mais à par-dessus tout se mettre en action pour protéger les vivants.
« Si tu ne résistes pas à l’oppression, et bien elle se développera encore plus. J’espère que les Français seront sensibles et qu’ils ne laisseront pas faire des choses épouvantables. »Léon Landini chez Blast, février 2024
Enfin, il rappelle qu’il ne faut pas seulement se battre contre un système d’oppression, mais surtout pour ses idéaux. Il ne faut pas oublier que la fin de la Seconde Guerre mondiale en France n’a pas seulement mis un terme à l’occupation nazie, elle a aussi permis l’application du programme du Conseil national de la Résistance, un texte contenant de très fortes mesures sociales directement impulsées par des résistants communistes. Le programme baptisé Les jours heureux a permis par exemple la naissance de la sécurité sociale et de la retraite par répartition.

Et encore aujourd’hui, « il faut qu’on se batte et qu’on obtienne un monde où il ferait bon vivre pour tous. Il n’y a pas de raison qu’il y en ait qui vivent dans une richesse faramineuse et que d’autres crèvent de faim. Alors il faut que ce monde change », déclarait Léon Landini dans l’entretien pour Blast. Et pour cause, actuellement en France, 10% de la population détient 54% du patrimoine, un niveau d’inégalités rappelant celui du XIXe siècle. Et la tendance s’accélère puisque le patrimoine des 500 plus grandes fortunes de France est passé de 80 milliards d’euros en 1996 à 570 milliards en 2017, avant de bondir à 1130 milliards aujourd’hui, sous l’influence des politiques macronistes. En parallèle, le nombre de personnes sans domicile à doublé sur les 10 dernières années, jusqu’à atteindre 330 000 personnes. Rapporté à la population totale, la France a le taux le plus élevé de l’Union européenne.
En résumé, la résistance ne peut donc pas être seulement antifasciste selon Léon Landini. Elle doit aussi être anticapitaliste car : « Le fascisme, c’est toujours la même logique, et le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage. »
Pour conclure, on peut rajouter une dernière leçon que nous laisse Léon Landini en héritage : la résistance au capitalisme et au fascisme ne peut pas se faire sans se battre. « C’est tout un monde qu’il faut changer. Et ça ne pourra pas se changer dans la gentillesse. Ceux qui possèdent ne lâcheront jamais », résumait-il. Le résistant communiste concluait ainsi : « Le travail à faire, c’est d’émanciper les gens. De faire comprendre aux gens que si on veut quelque chose, il faut le prendre. Pas le voler. Il faut l’obtenir. »
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Source: https://frustrationmagazine.fr/leon-landini
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