« Mediator, un crime chimiquement pur » est disponible en librairie depuis ce mercredi 4 janvier 2023. Pour nous, Irène Frachon revient sur ses années de combat contre les laboratoires Servier.
C’est l’affaire d’une vie… Celle d’une jeune interne en pneumologie de 27 ans témoin des effets destructeurs d’un médicament, l’Isoméride, puis son engagement contre un autre produit du même laboratoire Servier : le Mediator, un coupe-faim vendu comme antidiabétique.
À 59 ans, Irène Frachon ne lâche pas l’affaire. Elle sera présente le 9 janvier à l’ouverture du procès en appel dans l’affaire du Mediator et publie, ce mercredi 4 janvier, une BD aux éditions Delcourt, intitulée Mediator, un crime chimiquement pur.
Un pavé dans la mare coécrit avec l’ex-journaliste et écrivain Éric Giacometti (scénariste de Largo Winch) et dessiné par François Duprat. Nous en publions ici quatre pages en exclusivité.
L’expression lanceur d’alerte a été popularisée avec votre combat contre le Mediator. Vous vous êtes battue de toutes vos forces et vous ne lâchez toujours rien…
Je suis toujours sur le ring ! Parce que, chaque semaine, je reçois des courriers de victimes qui espèrent être indemnisées et, surtout, voir le mal que leur a fait le Mediator reconnu et puni. J’entends des fils, des filles et des conjoints parler de leur douleur après la mort d’une mère ou d’une épouse. Ils me parlent de vies brisées et de désarroi. Tout cela m’oblige.
La BD, coécrite avec Éric Giacometti, fait 200 pages ! Elle revient sur toute l’affaire en détail mais elle se lit véritablement comme un polar.
C’est un thriller absolument palpitant. Le drame, c’est que tout est vrai, et notamment les milliers de morts… On pourrait presque se dire que le scénariste a grossi le trait tellement cette histoire est folle. Mais non. Nous avons affaire à un laboratoire qui a mis sur le marché une molécule dont il a dissimulé la dangerosité, avec laquelle il s’est enrichi, et qui a déclenché des morts et des invalidités épouvantables. Et ce jusqu’au retrait du Mediator, en 2009.
Pour vous, c’est l’affaire d’une vie ?
De ma vie de médecin, oui. Cela a commencé quand j’étais jeune interne. À ce moment-là, je n’imaginais pas que j’allais passer ma vie à soigner des victimes de Servier, à me battre pour faire reconnaître ce poison et à continuer à le faire pour que les victimes soient indemnisées. Je ne voyais clairement pas ma vie de médecin comme cela…
Et cela a impacté votre vie de famille ?
Forcément… Mais je dois dire que mon mari a été exemplaire. Jamais il ne m’a empêché de continuer ce que j’avais commencé. Sans sa compréhension et celle de mes enfants, je n’aurais pas pu aller jusqu’au bout.
Aujourd’hui, Servier a toujours pignon sur rue
Jusqu’au bout, c’était notamment le procès pénal qui s’est ouvert en 2019 ?
C’était une étape cruciale mais j’estime que la justice a rendu une décision très frileuse. Malgré l’éclatement du scandale et son retentissement national, la condamnation des délinquants en col blanc reste très compliquée.
Les faits de tromperies ont été reconnus mais pas ceux d’escroquerie, vous attendez quoi du procès en appel qui va s’ouvrir le 9 janvier ?
Alors (elle lève les yeux au ciel)… Je vais rester optimiste. Croire en la démocratie, c’est croire en la solidité de nos institutions et notamment de la justice. J’espère donc que la décision rendue sera, cette fois, exemplaire. C’est aux juges de fixer les limites. C’est à eux de faire comprendre aux laboratoires qu’on ne joue pas avec la santé des gens. Or, aujourd’hui, Servier a toujours pignon sur rue, reçoit des subventions gouvernementales. Ne pas le condamner pour escroquerie est, pour moi, une aberration. Le Mediator a été vendu de façon frauduleuse comme antidiabétique pour bénéficier du remboursement de la Sécurité sociale ! C’est le casse du siècle.
Vous n’en avez pas marre de vous battre sans cesse ? Vous n’avez pas envie de lâcher l’affaire, de laisser la justice trancher et de prendre du temps pour vous ?
Je vais en prendre car je vais travailler un peu moins. J’ai bientôt 60 ans, donc je vais lever le pied à l’hôpital et ainsi m’occuper plus de ma famille. Mais l’affaire du Mediator ne dépend pas que de moi et tant que je pourrai être utile aux victimes, je resterai. J’ai des connaissances, des compétences et des preuves qui me permettent d’agir, alors je ne peux pas abandonner. Savoir qu’une personne va être indemnisée, qu’elle va retrouver un peu plus de sa dignité et un confort de vie plus acceptable, est un combat très gratifiant pour moi.
Dans une période où l’on critique beaucoup les médias, vous, vous dites : « Sans leur travail, l’affaire n’aurait sans doute pas éclaté. »
C’est assez douloureux pour moi mais, dans cette affaire, je n’ai pas pu beaucoup compter sur la communauté médicale. Heureusement, certains ont été de solides alliés mais, globalement, cette affaire n’a pas été appréciée parce qu’elle remettait en cause des organisations, qu’elle faisait le jour sur la question des conflits d’intérêts dans le milieu médical… Finalement, c’est l’alliance et la collaboration exigeante avec les médias de tous bords qui a permis d’aller plus loin. J’ai vu des journalistes d’investigation travailler et faire avancer ce dossier au moment où nombre de médecins me critiquaient et où la justice censurait mon livre…
Mediator, un crime chimiquement pur. Irène Frachon, Éric Giacometti, François Duprat. Delcourt. 200 pages, 23,95 €.
Auteur : Philippe LEMOINE.