
M. Macron a lancé en 2022 un plan sur les décharges littorales pour s’attaquer à cette « menace environnementale majeure ». Bilan : la moitié du budget a été versée. Une enquête Investigate Europe et Watershed Investigate pour Reporterre.
Par Leïla MINANO avec Juliet FERQUSON (Investigate Europe) et Leana HOSEA (Watershed Investigations)
La Baule (Loire-Atlantique), reportage
Entre les ronces, Rémy Gautron plonge sa main dans le sable mouillé. L’instituteur à la retraite, militant de l’ONG Guérande environnement, en ressort avec un vieux tuyau à perfusion sanguine. Puis une bouteille brisée de médicaments, une ancienne poche de sang, un étui à seringue…
De vieux déchets médicaux en état de décomposition plus ou moins avancé s’alignent sur le sol. Déposés là par les camionnettes de l’ancienne polyclinique de la Forêt à La Baule, ils côtoient les milliers de mètres cubes d’ordures ménagères et agricoles, dans ce qui fut la décharge municipale des Floralies.
En France, on compterait entre 1 000 et 2 000 décharges littorales, soit 1 à 2 par commune. Des mégadépôts qui s’éventrent au gré des aléas climatiques et polluent plages et cours d’eau. Face à ce fléau, Emmanuel Macron a annoncé en 2022 un plan en grande pompe. Las, seuls 52,5 millions d’euros ont été versés sur les 120 promis, selon des chiffres obtenus par Investigate Europe, Reporterre et Watershed Investigations. Pas même la moitié de la manne annoncée.
Lire aussi : Décharges oubliées : des milliers de bombes toxiques sur tout le territoire
À La Baule, le désastre écologique et sanitaire détonne avec le paysage de carte postale alentour. À moins de 5 mètres, derrière une petite digue, s’étend l’une des réserves d’eau des marais salants de Guérande. Chaque année, des touristes du monde entier viennent admirer ces dizaines de petits carrés – les « œillets » – qui retiennent le sel du golfe de Gascogne.

L’effet des crues, pluies et érosion
« Pas sûr qu’ils poussent la visite jusque-là », dit Rémy, grinçant, en désignant le tas d’ordures. Depuis les années 1990, lui et ses camarades réclament en vain la dépollution du site. Le lixiviat — ce jus toxique issu de la détérioration des déchets — pourrait, d’après lui, polluer les eaux superficielles, souterraines, les marais salants et jusqu’à l’océan Atlantique.
Fermées pour la plupart avant 2005, les décharges littorales existaient à une époque où ni déchetteries ni installations de stockage et de traitement adaptées n’étaient disponibles. La plupart du temps simplement recouvertes d’une couche de sable, abandonnées dans des grottes ou dans le creux des falaises, elles ont disparu des radars pendant des décennies. Jusqu’à ce que, partout en France, le réchauffement climatique et ses tempêtes, crues, précipitations extrêmes, érosion du trait de côte fassent « débourrer » certains de ces mégadépôts. Au Havre, par exemple, l’ancienne décharge de Dollemard a largué plus de 450 000 m² de déchets et gravats dans la Manche.

À Saint-Brévin-Les-Pins (Loire-Atlantique), c’est un tronçon du sentier de la Loire à vélo qui s’est effondré, laissant entrevoir les tonnes de déchets décrochant vers l’estuaire, direction l’Atlantique. Ces scènes cataclysmiques, ressassées depuis des années par la presse régionale, n’ont pourtant jamais mobilisé les gouvernements successifs.
Emmanuel Macron veut « du concret »
En février 2022, ONG, scientifiques et élus locaux croyaient pourtant entrevoir la lumière au bout du tunnel. Lors du sommet One Planet pour les Océans, Emmanuel Macron lui-même s’est lancé dans la bataille contre ces poubelles des mers : « Je veux que le gouvernement ait réglé la totalité du problème des décharges littorales dans la décennie ! »
Costume bleu marine, sur fond d’écrans géants projetant des images de vagues, le président de la République a promis, devant la centaine de responsables politiques français et étrangers venus à Brest pour le grand raout, de s’attaquer aux décharges qui dégorgent sur les plages de France. Le chef de l’État a joint le chéquier à la parole et s’est engagé à consacrer au programme 30 millions d’euros par an jusqu’en 2032.
Le Cerema, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement du territoire, est chargé d’accompagner les réhabilitations. Quant à l’Ademe, la puissante agence de la transition écologique, elle gère les fonds et les redistribue aux municipalités sélectionnées.

Restrictions budgétaires obligent, seules les décharges brutes historiques — ouvertes avant 1992 et fermées avant 2005 — se situant à 100 mètres ou moins des rivages et particulièrement vulnérables aux aléas marins (inondations, érosion…) sont éligibles au plan Macron. Exit les centaines de décharges fluviales qui polluent les cours d’eau depuis des décennies.
Les fonds consacrés à l’écologie ne cessent d’être sabrés
« Il faut bien commencer quelque part. Et nous militons pour l’inclusion des autres », réagit Marie-Amélie Néollier, chargée du programme pour le Cerema. Trois après son lancement, le programme n’en est encore qu’aux prémices, dénoncent ses détracteurs : seuls quatre sites ont été dépollués.
« À la fin 2025, 130 décharges auront intégré le programme », défend la fonctionnaire dont le travail est salué par experts et ONG. Les réhabilitations sont longues et « plus de 90 % des sites que nous avons analysés contenaient de l’amiante, ce qui rallonge les délais », ajoute-t-elle. De nombreux maires hésitent aussi à se lancer dans un chantier technique et chronophage.
« En même temps, si toutes les mairies concernées avaient demandé à bénéficier du programme, nous n’aurions pas pu financer tout le monde », dit en coulisse une source étatique. Car le gouvernement n’a jamais versé les 30 millions annuels promis. En 2022, seuls 5 millions d’euros ont été décaissés par l’État, 18 en 2023, 24 en 2024, et en 2025, seulement 5,5 millions.
Et l’avenir est sombre : « Le budget du ministère de la Transition écologique fond », dit le fonctionnaire, tout comme celui des agences environnementales chargées de ce programme. Une objection que veut balayer le ministère de la Transition écologique en proposant une autre manière d’évaluer le plan : « La mesure de l’atteinte de l’objectif ne se mesure pas au nombre de crédits dépensés par an, mais bien au nombre de décharges qui auront été réhabilitées à la fin du processus. »
« Plus de 90 % des sites analysés contenaient de l’amiante »
Sous le feu des critiques de la droite et de l’extrême droite, le budget incitatif de l’Ademe a été grevé de 39 % au total en 2024. Quant au Cerema, il pourrait être en cessation de paiement dès 2027 avec une nouvelle baisse de budget de 5,9 millions d’euros en 2026. Et le fonctionnaire d’ironiser : « Qui sait ce qu’il adviendra du programme décharges littorales après les élections de 2027 ? »
Pour le moment, le ministère de la Transition écologique se montre rassurant : « La poursuite de la démarche dépendra des crédits accordés à l’Ademe, et ceux-ci sont en baisse très nette depuis deux ans. Pour autant, le ministère de la Transition écologique maintient le niveau de crédits à la hauteur des demandes du Cerema et de l’Ademe compte tenu de l’état d’avancement des chantiers. »
Déchets toxiques et marées noires
En attendant le couperet budgétaire, les déchets continuent de s’échapper sur les rivages métropolitains et ultramarins avec des conséquences désastreuses pour la santé humaine et les océans. « Les milieux sont pollués par les microplastiques issus de la détérioration des déchets, décrit Olivia Gerigny, océanographe à l’Ifremer. Les millions de sacs plastiques qui s’échappent des décharges à ciel ouvert peuvent provoquer l’étranglement des espèces et la contamination par les polymères peut avoir un impact sur la croissance des individus. »
Marie-Amélie Néollier, qui a accompagné plusieurs études et sondages sur les décharges, assure retrouver des microplastiques, des phtalates, du bisphénol A, des métaux lourds et des polluants chimiques issus de la dégradation des ordures ménagères.
Il y a aussi un risque pour les personnes qui déambulent ou se baignent à proximité de ces décharges avec « la suspension des poussières, la manipulation de ces déchets, la baignade ou la consommation de coquillages ». Le danger s’accroit quand les déchets sont « des solvants de déchets industriels, de l’amiante ou des hydrocarbures ».

L’association Robin des bois alerte régulièrement sur les décharges stockant les déchets de marées noires. Elle en a identifié 44 dans le Finistère et 147 dans les Côtes-d’Armor. Certaines de ces bombes environnementales sont dissimulées dans « les dunes, des hauts de plage ou des marais […] certaines sont proches d’habitations et en zone protégée », dit l’association.
La mairie semblait avoir oublié l’existence de la décharge
En décembre 2024, les déchets issus du naufrage du Böhlen — un pétrolier est-allemand échoué en 1976 —, ont débordé sur la pointe du Raz, dans le Finistère. Les morceaux de vieux fuel lourd n° 2, enfouis à l’époque dans une fosse, recouverte de remblais et d’une couche de terre végétale et dans un bunker de la Seconde Guerre mondiale, ont refait surface.
« Les pouvoirs publics se sont fourré la tête dans le sable jusqu’au bout, ironise Jacky Bonnemains, cofondateur de Robin des bois. Et maintenant, avec l’érosion du littoral, tout leur saute aux yeux, y compris les déchets qui décrochent sur les plages en pleine saison touristique. »
« Avec l’érosion du littoral, tout saute aux yeux »
À La Baule, le site des Floralies ne semble pas s’inquiéter outre mesure. Depuis trente ans, les maires successifs promettent, à chaque nouveau scandale médiatique, de déclencher des études sur le site. D’après nos informations, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) n’a jamais été saisie. Interrogée en novembre, la mairie de Franck Louvrier, célèbre ex-directeur de la communication de Nicolas Sarkozy, semblait avoir oublié jusqu’à l’existence de la décharge.
Interrogée, la coopérative des producteurs de sel de Guérande n’a pas donné suite. La mairie de La Baule a répondu par la voix de sa directrice de la communication au téléphone, avant de ne plus répondre à nos sollicitations par courriel.
Lire le premier article de notre série : Décharges oubliées : des milliers de bombes toxiques sur tout le territoire
L’enquête #ToxicGround a été réalisée par Investigate Europe et Watershed Investigations en collaboration avec plusieurs médias en Europe dont Reporterre et notamment Arte, Altreeconomia, EU Observer, The Guardian, InfoLibre, ITV News, The Journal Investigates, Reporters United et Visão.
Le projet a été soutenu par le Journalismfund.eu.
°°°
Source: https://reporterre.net/Les-decharges-littorales-ces-bombes-dont-Macron-avait-jure-s-occuper
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/enquete-les-decharges-en-bord-de-mer-un-scandale-neglige-par-macron-reporterre-26-12-25/
