
Inlassable arpenteur des rues, l’urbaniste Jean Lemoine éclaire d’un regard érudit l’architecture au XVIIe siècle dans un ouvrage conçu par Magalie Burg de Nantes Renaissance.
C’est une belle pierre déposée sur l’édifice de l’histoire de Nantes que vient de déposer l’auteur Jean Lemoine avec son nouvel ouvrage « Nantes, architecture du XVIIe siècle » (1), tout juste sorti.
« L’architecture n’est pas figée au XVIIe siècle, elle est pleine d’inventivité »
Ce rédacteur prolixe (1), passionné d’une ville dont il arpente inlassablement les rues, les places, les cours et les escaliers à la recherche de ses différentes strates, nous guide cette fois dans un siècle qui le fascine. «J’ai un certain amour pour le XVIIe siècle
», indique-t-il. «L’architecture n’est pas figée à Nantes comme elle le sera au siècle suivant, ne laissant que peu de place à la liberté de chaque constructeur. Au contraire, il n’y a pas de règles, c’est plus inventif. C’est vrai pour les maisons comme pour les hôtels
. Avec son appareil photo, Jean Lemoine a traqué les vestiges architecturaux de ce siècle évanoui pour mener à bien son enquête érudite et passionnante. «Cela ne date pas d’hier
», sourit-il, cela remonte à 1963. Déjà, étudiant, je faisais des croquis et je prenais des photographies. La différence avec aujourd’hui, c’est qu’à l’époque on pouvait entrer partout.
Du collège des Oratoriens aux maisons de la rue du Moulin, de l’hôtel de Derval au Grand Gouvernement du château des ducs de Bretagne, il passe en revue et commente chaque édifice religieux, hôtels de prestige. Corniches, lucarnes, escaliers, ferronneries, cheminées, rien ne lui a échappé.
«Nous incluons les constructions qui peuvent être un peu plus anciennes comme l’Hôtel de Monti
», poursuit-il. «En effet, en dehors des sources d’archives fiables, nous en sommes réduits à interpréter l’aspect de la construction et en particulier de ses détails constructifs.
Cette architecture, démarrée au XVIe, traverse le XVIIe siècle et se poursuit jusqu’en 1720, date à laquelle la ville s’est enrichie fortement en raison du commerce triangulaire.
Intarissable sur les détails de l’architecture, il peut décortiquer l’ensemble des hôtels du quartier de l’Hôtel de ville ou de la rue Mathelin-Rodier près du château. Au XVIIe siècle, les escaliers à vis étaient devenus ringards, on préférait alors les escaliers en bois, cela va durer jusqu’au XVIIIe.
Il parle aussi « des allèges
(la maçonnerie située sous une fenêtre, ndlr) qui seront réduites au profit des portes-fenêtres à partir des années 1720-1730. Ces années-là connaîtront la première apparition de la mode des mascarons »
. La mise en page, l’agencement des photos et la relecture ont été réalisés par Magalie Burg, coordinatrice et chargée de projets de l’association Nantes Renaissance «sans qui », précise Jean Lemoine, « cet ouvrage n’aurait pas vu le jour. C’est vraiment la cheville ouvrière de notre maison d’édition et la conceptrice des maquettes.
Nantes Renaissance : une mission de conseils et de labellisation »
Fondée en 1986 par des passionnés d’histoire, l’association Nantes Renaissance, qui se compose de 240 adhérents et d’une quarantaine d’entreprises, fut longtemps le bras armé de la Ville de Nantes pour réhabiliter le patrimoine. Il y a quinze ans, la municipalité absorbe l’équipe de permanents en créant la Direction du Patrimoine et de l’Archéologie et propose la dissolution de l’asso. Les adhérents, qui ne l’entendent alors pas de cette oreille, restructurent Nantes Renaissance. Présidée aujourd’hui par Patrick Leray, elle assure une « mission de conseils et de labellisation des entreprises » et publie les ouvrages érudits de Jean Lemoine en majorité, que l’on peut acquérir sur place. Coordinatrice, chargée de mission et graphiste, Magalie Burg est la seule salariée de l’association. Permanence au 5, rue Fénelon, les lundis, mardis, jeudis et vendredis (de 13 h 30 à 17 h). Tel : 02 40 48 23 87 Par mail : contact@nantesrenaissance.fr
La chapelle de l’Oratoire
Baroque. « La construction de cet édifice religieux date du XVIIe siècle », explique l’auteur Jean Lemoine de Nantes Renaissance. Son premier architecte fut Jacques Malherbe en 1651, remplacé à son décès par Gilbert Corbineau, futur architecte de la Ville de Nantes. L’édifice ne présente pas de collatéraux, ni de déambulatoire tandis que sa façade, d’inspiration baroque, est ornée de pilastres. On retrouve des pilastres corinthiens à l’intérieur. Des têtes d’anges sculptées participent au décor. Elle sera consacrée en 1665. Érigée lors du mouvement de la Contre-Réforme catholique, elle appartiendra à la congrégation de l’Oratoire jusqu’en 1793. Elle fait désormais partie du musée d’Arts de Nantes depuis son extension.
De l’église Sainte-Croix aux maisons rue du Moulin
Reconnaître des constructions du Nantes du XVIIe siècle reste difficile pour l’œil non averti. Jean Lemoine nous livre quelques pistes, de la chapelle des Carmélites au Grand Gouvernement du château des ducs de Bretagne.
L’Église Sainte-Croix
La construction de l’église actuelle commence au XVIIe siècle sur les bases d’une église plus ancienne. La nef est construite de 1669 à 1685. Le chevet était alors constitué de trois autels adossés à un mur plat. Pour Jean Lemoine, dès la fin du siècle, des murs donnent des signes de faiblesse. Ils seront consolidés et c’est probablement pour cette raison que la couverture de la nef est réalisée en charpente et fausses voûtes en bois.
L’hôtel de la rue de Briord
Son origine remonte à la fin du XVe siècle. Il fut initialement nommé l’hôtel de Châteaubriant puis hôtel de la Papotière, hôtel de Briord et résidence des Becdelièvre. C’est au XVIIe siècle que cet édifice fut reconstruit. Outre l’ajout d’un escalier d’honneur en angle particulièrement imposant au siècle suivant, on retiendra la toiture à l’impériale ou combles à l’impériale
, unesorte de carène de bateau à l’envers, une construction unique à Nantes
, selon Jean Lemoine.
La chapelle des Carmélites
Les Carmélites s’établissent à Nantes en 1619. Les religieuses construiront leur propre chapelle en 1643. Elles seront expulsées lors de la Révolution. La chapelle sera transformée en cinéma sous le nom « Cosmograph » puis prendra successivement les noms de salle saint-Pierre, Celtique et le Cinématographe, un cinéma associatif toujours en place.
Maisons rue du Moulin
Rue du Moulin, face à l’hôtel de Ville, les numéros 25, 26 et 27 comportent encore des éléments du XVIIe siècle, en particulier celle du 27 avec sa corniche à modillons et ses deux lucarnes ouvragées. Certains chercheurs ont pensé que la lucarne ouvragée venait peut-être d’un autre bâtiment.
Le Grand Gouvernement
Après l’incendie touchant le château des ducs en 1670, le logis du Grand Gouvernement est reconstruit au goût du jour avec l’adjonction d’un grand escalier extérieur. Une restauration de 1877 a tenté de retrouver le style d’origine en restituant des lucarnes à caractère gothique sur chaque travée. La dernière restauration a opté pour le retour à l’état du XVIIe siècle et l’ajout d’une travée d’agrandissement. Les deux lucarnes gothiques, qui semblent avoir été épargnées par l’incendie, ont été maintenues.
(1) Quelques titres de Jean Lemoine aux éditions Nantes Renaissance. Les ferronneries nantaises, « Nantes, portes et fenêtres », « Nantes, décor et ornements ».
Stéphane PAJOT (Presse Océan)