Comment une eau polluée par un pesticide est devenue conforme en 24 h dans 670 communes de Bretagne. ( OF.fr – 18/02/23 )

Lorsqu’une analyse est non conforme et qu’un dépassement est constaté, la population doit être informée. Par un affichage en mairie mais aussi sur la facture d’eau, où le taux de dépassement n’est pas indiqué et l’origine de la contamination pas expliquée.
Lorsqu’une analyse est non conforme et qu’un dépassement est constaté, la population doit être informée. Par un affichage en mairie mais aussi sur la facture d’eau, où le taux de dépassement n’est pas indiqué et l’origine de la contamination pas expliquée. | OUEST-FRANCE

Les autorités ont annoncé vouloir interdire un herbicide massivement utilisé en Bretagne dans les cultures de maïs. Pourtant en septembre 2022, la façon de mesurer l’un de ses résidus détecté dans l’eau du robinet a changé : le seuil a été relevé. Dans 97 % des communes, les analyses en dépassement sont redevenues conformes. Seules 17 communes bretonnes sont encore aujourd’hui au-dessus du nouveau seuil de vigilance.


En septembre 2022, la publication simultanée d’une enquête de France info et Le Monde, suscite le débat. Les médias révèlent que 20 % des Français ont reçu, au moins une fois en 2021, de l’eau du robinet contenant des résidus de pesticide. Un taux qui grimpe à 40 % pour la Bretagne, deuxième région la plus touchée du pays.

Ouest-France a, à son tour, repris et épluché toutes les analyses de l’eau du robinet réalisées en Bretagne par l’Agence régionale de santé (entre avril 2021 et octobre 2022) en se focalisant sur la plus substance la plus présente dans l’Ouest, l’esa-métolachlore. Cette molécule est issue d’un herbicide (le S-métolachlore) très largement utilisé en Bretagne dans les cultures de maïs.

Preuve de l’inquiétude qui entoure cette substance massivement utilisée en Bretagne dans les cultures de maïs : les autorités sanitaires ont annoncé, le 15 février 2023, engager une procédure pour l’interdire.

« Ça revient à casser le thermomètre »

Pourtant, en septembre 2022, alors que cet esa-métolachlore que beaucoup découvrent est au cœur des débats et que la polémique enfle, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) fait une annonce à contre-temps.

Pour en mesurer la quantité présente dans l’eau, la règle change. Le seuil est relevé. La substance alors classée « pertinente », donc potentiellement dangereuse pour la santé (à la suite d’un rapport de février 2021), devient « non pertinente ».

Pertinente : il fallait la mesurer très finement. Au-dessus de 0,1 microgramme par litre (μg/L), dit le « seuil de qualité », il y avait dépassement. Non pertinente : il faudra désormais dépasser 0,9 microgramme par litre, la nouvelle limite dite « de vigilance » ou de gestion.

« Ça revient à casser le thermomètre, à faire disparaître une pollution administrativement » s’offusque René Louail, ancien porte-parole de la confédération paysanne, engagé auprès d’EELV et membre du Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest.

L’herbicide S-métolachlore est principalement utilisé pour les cultures de maïs (Photo d’illustration). | AFP ARCHIVES

Dix-sept communes toujours en dépassement

Comme le révèle notre carte, ce changement de seuil a pour effet de réduire considérablement le nombre de dépassements.

Ainsi on passe de 690 communes où l’eau était considérée comme non conforme à… 17. Interrogée, l’ARS avait dans un premier temps indiqué qu’aucun dépassement au-delà de 0,9 μg /L n’avait été constaté. Après notre enquête, elle reconnaît que dix communes sont concernées. Nos recherches en identifient toujours 17.

Deux dans les Côtes-d’Armor (Moncontour et Plémy), trois dans le Morbihan (Pontivy, Saint-Gorgon et Bégane) et douze dans le Finistère (Saint-Yvi ; Leuhan ; Beuzec-cap-Sizun et Poullan-sur-Mer, Sizun ; Saint-Divy, Saint-Thonan et Kersaint-Plabennec ; Saint-Méen ; Lanarvily et Kernilis ; Plounevez-Lochrist). Plus aucune commune n’est en dépassement en Ille-et-Vilaine. Plus de 97 % des analyses en Bretagne redeviennent conformes.

Brest, un cas emblématique

L’exemple de Brest est à ce titre parlant. Avec l’ancien seuil, des dépassements sont constatés dans 38 analyses réalisées en l’espace de dix-neuf mois. Avec quelles conséquences ? « En raison de dépassements de cette limite de qualité, Eaux du Ponant et Brest Métropole ont déposé un dossier de demande de dérogation pour trois ans, assorti d’un plan d’actions visant à rétablir le retour à la conformité », indique l’ARS. La préfecture a accordé cette dérogation « assortie, sur la période, du respect d’un nouveau seuil à 0,9 μg/L, valeur qui n’a par ailleurs jamais été dépassée sur cette période. » En effet, avec le nouveau seuil, Brest n’a plus aucun dépassement à déplorer.

Contactée Brest métropole confirme donc que « la conformité réglementaire de l’eau est donc retrouvée pour toutes les unités de distributions » mais assure maintenir son « plan d’action, car indépendamment de cette affaire, nous avons toujours l’ambition d’offrir aux usagers la meilleure qualité d’eau possible. » Mais rien ne l’y oblige.

Possible perturbateur endocrinien

Avec ce seuil relevé, la population doit-elle s’inquiéter d’un risque qui serait moins mesuré ? L’ARS défend un « dispositif particulièrement protecteur pour le consommateur ». L’eau est en effet le produit alimentaire le plus contrôlé et de loin. Elle explique aussi que l’Anses s’est appuyé sur « des études complémentaires » fournies par l’entreprise suisse commercialisant l’herbicide, Syngenta.

Pour l’établissement public, cette nouvelle classification « constitue, avant tout, une information rassurante d’un point de vue sanitaire en l’état actuel des connaissances. » La dernière annonce en date d’un probable retrait du marché de l’herbicide S-métolachlore duquel descend l’esa-métolachlore, sème le trouble sur cette dernière affirmation.

Impression renforcée quand on sait qu’en parallèle l’Agence européenne des produits chimiques étudie aussi le risque de perturbateur endocrinien(1) du même produit. En fonction des conclusions, la « pertinence » de l’esa-métolachlore pourrait donc, une nouvelle fois, être revue. L’ancien seuil de qualité de 0,1 restauré, l’eau potable redeviendrait non-conforme si elle le dépasse. Dur à suivre pour les producteurs d’eau. Encore plus pour les consommateurs.

(1) Selon l’Anses, les perturbateurs endocriniens sont des substances capables d’interférer avec notre système hormonal, entrainant des effets délétères.

S-métolachlore, métabolite : de quoi parle-t-on ?

Le S-métolachlore est massivement utilisé dans les cultures de maïs. | ARCHIVES OUEST FRANCE

Le S-métolachlore est un herbicide autorisé depuis 2003, massivement utilisé pour les cultures de maïs et, résiduellement pour celles de tournesols, haricots et betteraves. Elle est une des dix substances les plus vendues en France. L’herbicide est épandu après les semis, en avril et mai.

Avec les pluies, une partie est évacuée par ruissellement vers les cours d’eau. Une autre se stocke dans les sols. Là, la molécule « mère » se dégrade sous l’effet de bactéries et engendre d’autres molécules dérivées. C’est ce qu’on appelle les métabolites.

Dans la descendance chimique du S-métolachlore, les trois principaux se nomment le Noa-métolachlore, l’Oxa et donc l’esa-métolachlore, métabolite le plus difficile à faire disparaître dans l’eau potable.

Chaque produit phytosanitaire peut engendrer jusqu’à une dizaine de métabolites différents. Avec les pluies dites « efficaces » de l’hiver qui lessivent les sols, ils vont contaminer les nappes phréatiques. Et c’est précisément « au vu du risque pour la qualité des ressources en eau » et à cause de concentrations « supérieures à la limite de qualité fixée par la législation européenne », que l’Anses a « engagé une procédure de retrait » du marché de l’herbicide.

Auteur : Yiqing QI et Glen RECOURT.

Source : Comment une eau polluée par un pesticide est devenue conforme en 24 h dans 670 communes de Bretagne (ouest-france.fr)

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