« Lundi noir  » de grève : quand les Allemands s’inspirent des Français, Marianne (27/03/23)

Alors que les manifestations ne faiblissent pas en France, cette journée du 27 mars s’annonce compliquée en Allemagne dans les transports, où un appel massif à la grève a été lancé. Une initiative rare chez nos voisins d’Outre-Rhin, bien que l’on reste loin d’une mobilisation « à la française ».

Ce 27 mars correspond à un lundi noir dans les transports allemands, un lundi de grève pas comme les autres, et le premier mouvement d’ampleur depuis 31 ans, selon le dirigeant du puissant syndicat ver.di (Vereinte Dienstleistungsgewerkschaft, le « syndicat unifié des services »). Ce dernier s’est allié à d’autres syndicats pour paralyser une grande partie du trafic terrestre, ferroviaire et maritime outre-Rhin. Des milliers de travailleurs sont appelés à faire grève pour réclamer des hausses de salaires.

Politologue allemand à la retraite et francophile convaincu, Johannes Maria Becker observe les mouvements sociaux des deux pays depuis sa résidence secondaire en Auvergne où il séjourne quelques mois de l’année. « J’ai le sentiment qu’en ce moment, les Allemands sont en train d’apprendre des Français, observe celui qui se dità gauche du spectre politique. Les préjugés ont pourtant la vie dure : « Les Français partent à la retraite à 62 ans, ils travaillent beaucoup moins que nous… » C’est ce que les gens pensaient. Mais si l’on regarde les statistiques, les Français travaillent une demi-heure, trois quarts d’heure de moins par semaine que les Allemands. Pourtant, on pense que les Français, toute la journée, toute la vie, ne font que du « savoir-vivre », comme on dit. »

Pas d’ennemi visible

Les syndicats comptent faire monter la pression sur le gouvernement fédéral, alors que la troisième ronde de négociations des salaires dans le secteur des transports commence ce 27 mars. Ils exigent une hausse des salaires de 10,5 % et au moins 500 euros supplémentaires pour les salariés du public. Le tout en raison de l’inflation galopante qui a atteint 8,7 % le mois dernier. Le bras de fer dure depuis des semaines : les syndicats ont refusé la dernière proposition du patronat d’augmenter les salaires de 5 %.

Ce lundi, donc, pas de train à grande vitesse, peu de trains régionaux, de nombreux vols annulés… Malgré ces blocages, on attend peu de monde dans les rues. Le 25 mars, une manifestation lancée par ver.di dans la capitale Berlin a réuni 5 000 personnes selon les organisateurs, 700 selon la police, loin des centaines de milliers de Français qui défilent depuis des semaines. Selon un sondage YouGov environ 55 % des Allemands estiment que le mouvement est « plutôt » ou « tout à fait » justifié. Mais 38 % trouvent même l’action « plutôt pas » ou « pas du tout » justifiée. Une faible adhésion qui tranche avec la France. Dans un sondage Ifop publié le 23 mars 62 % des Français considèrent que le mouvement contre la réforme des retraites doit se durcir. Mais les choses semblent être en train de changer, comme l’observe Johannes Maria Becker. « Normalement, les Allemands réfléchissent toujours trois fois et se demandent : « Ai-je vraiment le droit de protester ? » La grève de lundi me surprend donc totalement, par son ampleur et son orientation. » Le fait que cet appel à la grève ait été lancé par plusieurs syndicats, ce qui est inhabituel, pourrait faire pencher la balance en faveur d’une hausse des salaires.

En Allemagne, la grève n’est pas un droit constitutionnel : les fonctionnaires n’y ont même pas droit, par exemple. Trois enseignantes avaient d’ailleurs porté plainte en 2018 contre cette entrave. Mais la Cour constitutionnelle avait tranché : les fonctionnaires sont dans une relation de loyauté envers l’État, qui doit rester capable d’agir, même en cas de crise. En contrepartie, l’État a un « devoir d’assistance » envers ses fonctionnaires – du donnant-donnant, donc. Enfin, pour Johannes Maria Becker, les Français ont l’avantage d’avoir un « ennemi clair et commun » : Emmanuel Macron. « En Allemagne, on ne sait tout simplement pas qui commet l’erreur décisive et, donc, contre qui protester. Le maire ? Le président du Land ? Olaf Scholz ? En France, il y a une image claire de l’ennemi. Si quelque chose ne fonctionne pas, le responsable, c’est l’État central, à Paris. En Allemagne, avec 16 Länder, et encore plus d’entités, il est beaucoup plus difficile de désigner un véritable ennemi commun. » Les syndicats sont clairs : le mouvement en Allemagne n’est pas fait pour durer. Les déplacements pourront s’effectuer normalement à partir de mardi… comme si de rien n’était.

Par Salomé Hénon Cohin

Source:https://www.marianne.net/monde/europe/lundi-noir-de-greve-quand-les-allemands-sinspirent-des-francais?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&Echobox=1679936868&fbclid=IwAR1KVP7sd18P8RT029YV1ieagkqcghClAK_xNWN-cS-EyG5vsW0hg-vYYEY#xtor=CS2-4

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