
secrétaire générale de la CGT, le mercredi 5 avril 2023 à Matignon.
Les leaders nationaux des deux principales centrales syndicales, le Nazairien Laurent Berger et la Nantaise Sophie Binet ont tous deux fait leurs premières armes militantes au sein de la Jeunesse ouvrière chrétienne de Loire-Atlantique.
En Loire-Atlantique, passer à la JOC, c’est presque aussi naturel pour les jeunes que d’aller supporter le FC Nantes
, écrivait Laurent Berger dans son livre « Permis de construire : nous vivrons ce que nous changerons » (éditions Taillandier, 2015). Le parcours de la nouvelle secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, semble donner raison au patron de la CFDT, du moins pour ce qui concerne la JOC, la Jeunesse ouvrière chrétienne, même si la réalité est aujourd’hui tout autre. Les deux dirigeants des principales centrales syndicales ont fait leurs armes dans ce mouvement d’éducation populaire. À trois ans près, ils auraient même pu s’y croiser.
« La JOC m’a fait comprendre que j’appartenais à une classe sociale et qu’on avait besoin de s’organiser »
Sophie Binet, 41 ans, expliquait au micro de France Inter, ce lundi 3 avril 2023, avoir adhéré à la JOC à l’âge de 15 ans, en 1997, sans être chrétienne
. Mais avec la volonté d’agir contre les inégalités sociales et scolaires. L’un des fondements de la JOC qui a ensuite amené la Nantaise à militer à l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), puis très brièvement au Parti socialiste et plus durablement à la CGT. Pour sa part, le Nazairien Laurent Berger, 54 ans, y a gravi les échelons jusqu’à en devenir de 1992 à 1994 son secrétaire général puis a poussé la porte de la CFDT dont il est secrétaire général depuis 2012.
Ancien responsable de l’Action catholique ouvrière, le Nantais Pascal Lemerle a fait ses armes à la JOC dans les années 80, bien avant Laurent Berger et Sophie Binet. Militant CGT, il avoue avoir adhéré au syndicat parce que j’ai fait la JOC. La plupart des jocistes ont la double appartenance au monde ouvrier et au monde croyant. On y entrait à l’époque surtout par la porte religieuse, car la pratique était alors plus forte qu’aujourd’hui. La dimension sociale venait ensuite. La JOC m’a fait comprendre que j’appartenais à une classe sociale et qu’on avait besoin de s’organiser ».
« École sensationnelle de formation »
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la JOC est devenue un véritable terreau de militants syndicaux
. Un réservoir naturel pour la chrétienne CFTC, puis à partir de 1964 après sa « déconfessionnalisation » pour la CFDT et dans une moindre mesure dans l’Ouest catholique pour la CGT. Leader charismatique de la CTFC puis de la CFDT, le Nantais Gilbert Declercq voyait dans la JOC, dont il fut permanent de 1942 à 1944, une « école sensationnelle de formation
. Le mouvement, accompagné par les « curés de gauche » et renforcé par Vatican 2 a également fourni bon nombre de militants aux partis politiques, le MRP à la Libération et le PSU et le PS dans les années 70-80, à l’exemple du Nazairien Claude Evin, ancien ministre de la Santé (1988-1990), passé par la JOC, la CFDT, le PSU et le PS. Mais ce temps-là est révolu. À une époque, la parole de la JOC avait un certain poids. Les ministres venaient aux rencontres nationales », regrette Pascal Lemerle
.
Voir, juger, agir : la méthode jociste
L’historienne et sociologue nantaise Dominique Loiseau est une spécialiste du militantisme féminin. L’émergence d’anciens jocistes à des postes syndicaux à responsabilité vient, selon elle, de la formation à l’action qu’ils ont reçue au sein de la JOC. Elle est basée sur la technique du voir, juger, agir avec l’idée d’être implantés dans le monde ouvrier. Il y a ce souci de former à l’enquête et d’utiliser les résultats de l’enquête pour agir. C’est une vraie formation de l’esprit que ces jeunes gens et jeunes filles venant d’un milieu populaire n’avaient pas eu forcément au départ. Et quand ils atteignent 25 ans, l’engagement syndical est une continuité logique.
. Et c’est là le paradoxe : alors que la JOC a été créée pour ramener le monde ouvrier vers l’Église et faire barrage à la gauche politique et syndicale, le mouvement en confrontant les jeunes à l’action ouvrière leur a finalement ouvert la voie vers les syndicats et la politique.
Ils sont aussi passés par la JOC en Loire-Atlantique
La JOC a porté sur les fonts baptismaux du syndicalisme et de la politique plusieurs personnalités locales. Le Nazairien Jean Fonteneau en a été le secrétaire général de 1945 à 1958 et a fait par la suite une carrière politique au sein du MRP (radical chrétien) dont il a été secrétaire général adjoint puis de l’UDF. Il a été maire de Clamart (1971-1983), sénateur (1976-1977) et député (1978-1981). La Nazairienne Marie-Madeleine Dieulangard, responsable fédérale de la JOC-F et déléguée CTFC (1954-1961) a adhéré au PS en 1974 et a été députée (1988-1991) puis sénatrice (1992-2001). Toujours à Saint-Nazaire, Elvira Thomère, responsable de la JOC-F avant guerre, militante CFTC aux chantiers navals, a été membre de la délégation syndicale qui a négocié à Paris en 1936.
Moins d’une centaine de jocistes aujourd’hui à Nantes et Saint-Nazaire
À l’image de l’Église, la Jeunesse ouvrière chrétienne attire moins. Les années 70 où la Loire-Atlantique était la première fédération de France sont loin. Mais l’engagement des jocistes reste le même.
La Jeunesse ouvrière chrétienne est apparue à Nantes en 1928, trois ans après sa fondation en Belgique et un an après la formation du premier groupe français en région parisienne. Ce mouvement d’éducation populaire avait alors pour ambition de ne pas laisser le champ ouvrier aux seuls communistes et socialistes. Avec comme antienne tout jeune travailleur vaut plus que tout l’or du monde
, la JOC, déclinée également en JOC féminine a très rapidement recruté en Loire-Atlantique, grâce à l’action du vicaire général d’alors et à de jeunes prêtres engagés, parmi lesquels Maurice Chagnon, futur aumônier fédéral de la JOC en 1937. Cette année-là, 80 000 jocistes venus de toute la France se réunissent au parc des Princes à Paris.
Un espace de liberté…
Dans les années 40, l’émergence des prêtres ouvriers (interdits par Rome en 1954) puis le Concile de Vatican 2 en 1962 vont accompagner l’essor du mouvement et son virage à gauche. En mai 1952, 2 000 jocistes sont rassemblés à Nantes pour célébrer les 25 ans de la JOC. Si elle apparaît aux yeux de ses anciens membres comme une école inoubliable de formation, la JOC apporte également au moins des années 30 à la fin des années 50, un côté liberté, encore plus net pour les filles, qui peuvent ainsi sortir de chez elles, même si certaines ont besoin de se battre par rapport aux parents pour y parvenir. Certes, les aumôniers encadrent solidement les jeunes, mais les réunions, les enquêtes, les congrès, la participation aux cercles, la vente du journal, etc., sont autant de moments d’échappée
, note l’historienne et sociologue nantaise Dominique Loiseau. L’engouement est tel qu’en1971 la JOC de Loire-Atlantique, avec 520 militants, était considérée comme la première fédération de France.
et de réflexion
S’il y a normalement une JOC par diocèse, la Loire-Atlantique compte deux fédérations, à Nantes et à Saint-Nazaire. Celle de Saint-Nazaire compte 35 jeunes répartis en six équipes de lycéens, étudiants et jeunes professionnels quand celle de Nantes affiche une dizaine d’équipes de 5 à 6 jeunes qui se retrouvent une fois par mois en révision de vie
, explique Luisa Chavez, accompagnatrice fédérale. L’objectif est de voir où ils en sont dans leur vie, de juger ce qu’ils disent et d’agir en fonction de ce qu’ils ont trouvé
. À la quarantaine d’adhérents nantais s’ajoutent une vingtaine de jeunes, non adhérents, mais mobilisés sur les temps fédéraux. Ces jeunes suivent-ils la trace de leurs illustres aînés, Laurent Berger ou Sophie Binet ? Ils sont engagés dans leurs lieux de vie, leurs études. Et il y a toujours la parole du mouvement pour le 1
er
mai
», assure Luisa Chavez.
Dominique BLOYET
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