
Par Marylise COURAUD
« Vous voulez cultiver avec moins d’eau et de sable, venez nous voir. » Ce message est adressé par des agriculteurs bio à la Fédération des maraîchers, scandalisée d’avoir subi des dégradations, lors de la manifestation du dimanche 11 juin contre l’extension de carrières de sable.
Léo Géfard-Michel savoure la tranquillité de son bocage, dans un monde en détresse et chahuté. Il regarde pousser choux, carottes, courgettes, pommes de terre, oignons… dans un champ, à l’orée du bourg de La Regrippière (Loire-Atlantique), bordé de haies touffues et d’arbres généreux. « Elles sont belles nos salades, dans la terre, sans sable, ni produit chimique. Elles ne nécessitent pas beaucoup de travail. Sur une petite parcelle comme ça, on en fait pousser 450. »
Ici, point de salade expérimentale, mais une culture biologique sur un sol vivant, nourri de matières organiques sur cinq hectares, dont deux sont cultivés. Pourquoi cette démonstration de jeunes paysans, quelques jours après la manifestation du dimanche 11 juin organisée par la Tête dans le sable et Les Soulèvements de la Terre (mouvement aujourd’hui dissous) ?
Parce que des militants ont arraché des salades expérimentales dans une serre de la Fédération des maraichers, soulevant une vague de condamnations d’une partie du monde agricole et politique. Des salades plantées dans du sable, une ressource dont le monde fait une consommation effrénée. « Et en culture, il ne retient pas l’eau. »
Léo Géfard-Michel le dit : « Moi, je suis indigné par cette indignation. Alors qu’on ne manque pas de sujets de révolte : le manque d’eau, la pollution, l’artificialisation… » Et balaye d’un revers de manche les expérimentations brandies par la Fédération des maraîchers pour réduire les pesticides : « Qu’ils viennent nous voir pour apprendre à consommer moins d’intrants et de sable. On sait faire. »
Les faucheurs d’OGM
Face à l’urgence climatique, Guillaume Planche, maraîcher à Saint-Colomban, enfonce le clou : « Les dégradations que commettent les agro industriels sur le territoire, on en parle peu, mais la dégradation de ces serres, ça choque tout le monde. »
Un conflit qui illustre les batailles qui déchirent le monde agricole et ce n’est pas nouveau. « Au début, les faucheurs d’OGM, on les a montrés du doigt. Finalement aujourd’hui, on est content. »
Cet après-midi, ils sont cinq maraîchers, pour la plupart non issus du monde paysan, mais tous convaincus que leur façon de travailler est la seule à respecter la nature, les sols, l’eau. « Et s’il faut jeter des pavés dans la mare et bien, tant mieux, poursuit Guillaume Planche. Dans notre Gaec, on est douze. L’essentiel, c’est d’éviter la monoculture. On vend sur les marchés, dans des cantines et des restaurants. »
« On paille beaucoup »
Maria Garcia, également installée à La Regrippière, a connu le travail dans des serres industrielles, certaines chauffées pour faire pousser des tomates même bio. « Là, j’ai les mains dans la terre, j’observe les insectes. C’est en observant qu’on développe une conscience écologique. »
Ici, on cultive la sobriété. Foin, compost retiré à la déchetterie, bois fragmenté après l’élagage des haies : tout ce qui est végétal est réutilisé pour nourrir le sol. « On paille beaucoup et ainsi, on réduit au maximum les besoins en eau. C’est tout le contraire qui se passe quand on cultive dans le sable », explique Léo Géfard.
Pour autant, au pied des courges, s’étale du plastique – « qu’on a récupéré » – pour réduire le temps de désherbage. Et dans une serre, poussent aussi des légumes. Chaque semaine, ces maraîchers vendent 200 paniers de 14 € au sein de cinq associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap). « Notre rythme de croisière. »
Une génération prête
Amélie Bioret, 39 ans, en reconversion professionnelle, fait partie de l’équipe de La Regrippière. Elle le répète : « On sait nourrir les gens sainement. Quand les maraîchers industriels disent qu’il y a de la place pour tout le monde, c’est faux. Ils bouffent toutes les terres, tous les marchés, avec des légumes pleins de pesticides. »
Jacques Chauviré, retraité de 63 ans, ex-maraîcher bio à Vallet, très préoccupé par la question de l’eau, voit dans l’agriculture biologique une solution qui offre des produits plus résistants à la sécheresse. « Je suis confiant, je vois une génération prête à se lancer, même si, parfois, il faut lui rappeler les réalités. C’est essentiel d’avoir une exploitation pérenne pour vivre correctement. »
En France, on compte 13,4 % d’exploitations biologiques (1) et, même si les surfaces ont doublé en cinq ans, elles ne représentent que 9 %. Le défi est énorme, alors que près d’un agriculteur sur deux prendra sa retraite dans dix ans. Les terres se libèrent, « une opportunité », insiste Léo Géfard-Michel. Faut-il encore pouvoir en prendre possession, et recruter la main-d’œuvre dont est gourmande l’agriculture bio. « Celle qui fera revivre nos campagnes. »
(1) Chiffres issu de la Chambre d’agriculture.
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