REPORTAGE. À la traque du thon rouge au large du Finistère (OF.fr-31/08/23)

Philippe Briant (à droite) ne quitte jamais ses jumelles qui lui permettent de repérer les chasses à distance. Pascal Le Du (à gauche) ne lâche pas des yeux une chasse qu’il a repérée.

Par Célestin DE SÉGUIER

Philippe Briant est pêcheur professionnel à Trévignon (Finistère) depuis plus de 40 ans. Après le retour du thon rouge à la côte, pendant l’été, il y a cinq ans, le ligneur de bar s’est ouvert à la prise du roi des prédateurs, à la canne. Une pêche sportive et très impressionnante, soumise à des quotas stricts.

Au petit matin, la pointe de Trévignon, est plongée dans l’obscurité. La mer est sombre, presque invisible tant le ciel est d’encre et la nuit profonde. On n’entend rien d’autre que le clapotis léger des vaguelettes sur la grève. Au loin, vers le sud ouest, le phare à scintillement rouge de l’île de Penfret signale la présence de l’archipel des Glénan. À 5 h 30, bruit de moteur. Un van se gare sur le port. Philippe Briant sort du véhicule, il est ligneur sur Namouic, son bateau. « On boit le café et on file ! », lance-t-il avec amusement à ses deux compagnons du jour.

Le programme de la journée : « On va chasser le grand thon rouge », s’exclame Pascal Le Du, tout sourire. Le mécanicien à la retraite est un ami et camarade de pêche de Philippe Briant. Les deux sexagénaires se connaissent depuis quatre ans et, depuis, ne sont jamais très loin l’un de l’autre. Cette pêche, ils aiment la pratiquer ensemble. À bord du bateau, il faut charger de lourdes cannes, 80 litres de carburant et les hommes. Dans le cockpit du Namouic, un navire de 8,5 mètres de long et près de 4 mètres de large, trois écrans fournissent des informations essentielles aux pêcheurs. Profondeur, vitesse, cap, fonds marins, rien n’est laissé au hasard.

Mammifères marins, oiseaux et poissons profitent de premières lueurs du jour pour s’alimenter sur les bancs de sardines. Ils forment ainsi de grandes chasses.

La traque a commencé

Le bateau file dans la lumière timide du jour qui se lève. La mer est d’huile. « Ce matin nous cherchons des chasses au large, on traque le poisson. Il faut donc trouver les oiseaux et les dauphins. En dessous, il peut y avoir des thons rouges qui s’alimentent ! », explique le ligneur professionnel, les yeux rivés dans ses jumelles. « En ce moment il y a plus de thons qu’au début du mois car il y a moins de monde sur l’eau pour les déranger. Il y a quand même encore des plaisanciers qui pêchent le thon. » L’ambiance se crispe, on se concentre et on regarde au loin. La traque a commencé.

« Là-bas, une chasse ! C’est énorme ! » Plein gaz, cap sur un nuage d’oiseaux marins qui tournoient au-dessus de l’eau. Sur les lieux, puffins et goélands tentent de se faire une place dans l’eau au milieu des dauphins qui se nourrissent. Les cannes sont mises à l’eau. « On pêche au leurre souple et au vif (avec un poisson vivant)  », explique Pascal Le Du en lançant son leurre au milieu de l’eau bouillonnante de poissons. Rapidement, d’autres pêcheurs, dont une majorité de plaisanciers, arrivent sur les lieux. On compte une vingtaine de bateaux sur la chasse. « Il faut faire attention pour ne pas se gêner, couper nos lignes ou déranger les dauphins. Les plus gênants sont les chasseurs sous-marins. Car quand ils vont dans la chasse, les thons sondent (plongent)  ! »

Le Namouic est un ligneur de dernière génération équipé d’un vivier et qui peut se déplacer jusqu’à 32 nœuds (30 km/h).

« C’est un monstre ! »

À 9 h 05, un bruit sourd coupe la voix des pêcheurs. « Départ sur la grosse canne ! », crie Philippe Briant. Au bout de la canne puissante, vissée sur son porte-cannes, un animal à la puissance inimaginable se débat, accroché à l’hameçon. Le fil se tend et le bruit du fil qui part donne une idée de sa taille. « Celui-là, c’est un monstre ! s’exclame le pêcheur, qui imagine déjà battre son record personnel. Il est encore plus gros que celui qu’on a raté l’autre jour. Il doit faire dans les 200 kg. » Malgré la puissance du matériel, l’animal refuse de se laisser faire et embarque près de 200 mètres de fil. S’engage alors une bataille de plus de quatre heures pour parvenir à sortir le poisson de l’eau.

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À une dizaine de reprises, le thon est ramené à moins de 100 mètres de l’embarcation. Fou de rage, il reprend systématiquement du fil, risquant de casser la ligne à tout moment. Après deux heures de combat, il est encore loin. « Au chinchard, quand tu en prends un, ce n’est pas une demi-portion. Il est surpuissant ! », s’écrie Philippe Briant, évoquant le poisson vivant accroché comme appât sur l’hameçon. À mesure que les pêcheurs tirent sur le fil avec patience et précision, le poisson se rapproche du bateau. « Il va falloir être efficaces pour le harponner avant qu’il ne reparte », expliquent les professionnels en sortant une gaffe et une lance à embout décrochable, accrochée à un bout (corde) et relié à une bouée.

Philippe Briant dispose d’un moulinet électrique installé sur sa canne. Il lui permet de se soulager de l’effort de la manivelle.

« Comme il est magnifique »

Le poisson passe sous le bateau, un angle favorable se profile pour le harponneur. La flèche en métal part et touche, droit au but. Instantanément, l’animal est entouré d’un nuage ocre. Il se vide de son sang. À 13 h, accroché par la queue, un thon rouge de 2, 30 mètres est hissé à bord de Namouic à la force des bras. Il fait 180 kg. « Regardez ses couleurs, comme il est magnifique… », s’émeut le ligneur de 61 ans. « Les gars qui pêchent à la senne ne comprendraient pas qu’on passe une journée entière sur un seul poisson. Pourtant, quelle pêche sublime. »

Une fois hissé à bord, le thon est déposé sur le pont. L’équipage prend alors conscience de sa taille et de ses couleurs magnifiques.

Une fois le thon rouge à bord, tout n’est pas terminé. « La procédure de pêche du thon est stricte, explique Philippe Briant, il faut s’y tenir. » Après avoir saigné le poisson, la première chose à faire est de prévenir le Cross-A Etel via un SMS. « Je leur transmets la taille du poisson, son poids approximatif, le lieu de capture et le nom du bateau », témoigne le pêcheur en tapotant sur son téléphone. Peut de temps après, le ligneur reçoit par message une heure de rendez-vous au port. « En tant que pêcheur j’ai droit à cinq prises de thon accessoires par an. Quand j’en prends un, on m’envoie un officier des affaires maritimes pour baguer le thon au port de Concarneau. »

« Ce n’est pas logique »

Avant de débarquer le thon rouge, il y a systématiquement un délai de 4 h d’attente à respecter. « C’est la loi, mais ce n’est pas logique pour le poisson », s’agace Philippe Briant, soucieux du respect de l’animal et de ses acheteurs. Car plus le poisson reste en mer, moins il passe de temps dans la glace, à l’abri d’une dégradation de sa chaire.

Avec les années, Philippe Briant s’est constitué un réseau de clients, pour la plupart des restaurateurs, qui lui font confiance. « J’ai des restaurants qui me commandent 10 kg, d’autres 30 kg. Je leur vends le thon rouge à 24 € du kilo », explique le pêcheur. « Un poisson comme celui-ci me rapporte près de 2 500 €. » Un chiffre qui peut sembler important mais qu’il faut remettre en contexte : les charges du pêcheur sont lourdes et les prises aléatoires.

Source: https://www.ouest-france.fr/mer/peche/reportage-a-la-traque-du-thon-rouge-au-large-du-finistere-d59873c0-4712-11ee-9575-7fda56c418e9

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