Arrivées à Nantes et Rennes avec leurs familles, Rana et Susanna, toutes deux accompagnées par l’association Soutien Migrants Redon racontent leurs parcours d’exil, qui les a menées jusqu’à Redon (Ille-et-Vilaine). Témoignage.
Durant deux ans, Rana* et Susanna*, aux parcours différents ont connu l’errance. Ces femmes, d’origine géorgienne, se souviennent toutes deux avec émotion d’une date clé qui les réunit depuis leur arrivée en France : le 4 octobre 2019 jour où les familles ont été séparées et où Redon se dessinait comme une terre d’accueil.
Entre logements d’urgence et demandes d’asile, des débuts difficiles
Retour en arrière. Rana fuit son pays, en 2017, pour des raisons politiques. Arrivée enceinte de sept mois à Nantes avec son mari, elle se souvient des allers-retours en tram, pour éviter le froid et la pluie de l’hiver.
Une expérience partagée par Susanna : « Je connais par cœur les rues de Rennes. On a tellement marché dans la ville pour passer le temps. Les hôtels c’est bien, mais de 9 heures à 19 heures, tu es obligé d’être dehors, c’est horrible l’hiver. »
Après une demande d’asile déposée en 2017, Rana et son mari se voient transférés au Centre d’Accueil pour les Demandeurs d’Asile (CADA) de Metz, puis à celui de Rennes.
« On nous avait dit qu’on allait être bien accueillis parce que les Bretons sont gentils. Mais on a appelé tous les soirs le 115, il n’y avait jamais de place. On dormait à l’hôpital ou dans notre voiture alors que mon dernier n’avait que quatre mois », se remémore-t-elle avec beaucoup d’émotions, les larmes aux yeux. « Tous les soirs, la Croix-Rouge venait pour nous donner à manger. »
Après l’accouchement de son deuxième enfant, la maternité réclame une place en hébergement d’urgence. Rana, son mari et leurs deux jeunes enfants s’installent dans une minuscule chambre d’hôtel, sans cuisine.
Le 4 octobre 2019, la séparation
Le 3 octobre 2019, vers 20 heures, on leur fait clairement comprendre que ça fait trop longtemps qu’ils occupent les lieux. Malgré la peur, ils y restent. Au petit matin, la police intervient.
« Les enfants criaient, pleuraient, ils pensaient aller à l’école et prenaient avec eux leur cartable. On avait tous peur. Je me souviens qu’on se cachait sous les tables en espérant qu’on ne nous embarque pas. »
Le lendemain, la famille quitte le logement de fortune et se réfugie à la mosquée de Rennes, où plusieurs personnes leur conseillent de venir à Redon, ville plus petite où ils pourront trouver de l’aide.
Ce 4 octobre 2019, Susanna s’en souvient, elle aussi, comme si c’était hier. Après avoir connu les hébergements d’urgence à Rennes ou Fougères, le CADA de Goven, et les nuits sans savoir où dormir, sa famille est à cette période hébergée par une famille redonnaise.
De nationalité géorgienne, la préfecture envoie les mêmes directives d’expulsions des Géorgiens à Rennes qu’à Redon. Son mari fera partie, lui aussi, des 33 Géorgiens expulsés par avion le jour même, depuis Rennes.
« Depuis ce jour-là, je n’ai plus aucune nouvelle de mon mari. Il était brisé par l’exil, il souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique. Il était devenu agressif, complètement fermé. Il allait souvent à l’hôpital Guillaume-Régnier. Après son départ, sa famille me donnait des nouvelles mais depuis, plus rien. Je ne sais pas ce qu’il devient. »
Avoir son propre toit : la priorité de l’Association SMR
Bien que leurs papiers soient géorgiens, Susanna, ses parents et ses deux enfants sont épargnés. Pendant plusieurs mois, ses parents et ses enfants doivent quitter Redon, dans la crainte. Ils partent alors dans la Creuse. Juste avant Noël 2019, l’association trouve une maison à Susanna qui peut alors retrouver les siens.
« Quand je leur ai annoncé la nouvelle, mes enfants ont pleuré. C’était une bénédiction que cette séparation contrainte se termine. En arrivant dans la maison, ils n’en revenaient pas d’avoir enfin leur propre chambre. » Quant à ses parents, ils pourront aussi vivre avec eux.
De leur côté, Rana, son compagnon et leurs trois enfants âgés de 8, 6 et 4 ans, sont hébergés chez plusieurs bénévoles de l’association, pendant environ deux ans au total. En juillet 2021, ils accèdent enfin à leur propre appartement, en plein centre-ville de Redon.
Redon, une ville où s’épanouir, s’investir, s’intégrer
Pour Rana, Redon est un havre de paix où elle peut enfin se reconstruire de ces années difficiles. « Tout est à côté, c’est une ville calme. On fait plein de choses. Et puis pour les enfants, il y a de l’espace, la possibilité de faire du sport, de la musique. Je vais les inscrire au conservatoire à la rentrée prochaine. »
Elle aussi a trouvé son lieu à elle, le coin lecture du Ciné Manivel, où elle est bénévole, tout comme la mère de Susanna. « Je peux prendre le temps de lire, j’adore ça. Et ça me permet de rencontrer beaucoup de monde. À côté, je prends aussi des cours de français au centre social, trois fois par semaine. »
L’engagement associatif est, selon Susanna, un facteur très fort d’intégration au sein de la commune. Bénéficiaire pendant plusieurs années de La Croix Rouge de Redon, elle y est désormais bénévole, depuis plus de sept ans. Elle est également traductrice, lorsque des situations le nécessitent, à la mairie de Redon puisqu’elle parle géorgien, arménien, russe et français.
« Pour mes enfants, être à Redon c’est super. Ils peuvent faire de la natation, du football. Ils sont tout proches du collège donc ils rentrent à pied à la maison, le midi et le soir. Ils sont très intégrés à la culture française, même si on perpétue les traditions à la maison. »
* Les prénoms ont été modifiés.
Auteur : Enora FORICHER.
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