Le service des urgences de l’hôpital de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) subit une vague de départ de cinq médecins, fatigués par les conditions de travail. L’un d’eux a accepté d’expliquer sa décision de partir.

Le service des urgences de l’hôpital Yves-Le-Foll à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) connaît une vague de départs sans précédent de médecins urgentistes. | ARCHIVES
Le service des urgences de l’hôpital public de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) n’est pas épargné par les difficultés du système de santé. En janvier 2024, le service aura perdu cinq médecins urgentistes en l’espace d’un an.
L’un d’eux a accepté de témoigner, à la sortie d’une nuit de garde. À 47 ans, il a fait le choix de quitter les urgences de Saint-Brieuc pour se concentrer sur celles de Guingamp, où il travaillait déjà à mi-temps. Le rythme de Saint-Brieuc était devenu insoutenable à ses yeux, entraînant des scènes indignes.
« Des malades toujours plus nombreux, et pas plus de médecins »
« Je vais quitter les urgences de Saint-Brieuc en janvier. Cela va faire dix ans que j’étais urgentiste dans ce service. Mais je pars avec un objectif : retrouver un peu de temps pour les malades.
La nuit, nous ne sommes que deux médecins seniors pour toutes les urgences de Saint-Brieuc. On doit gérer les cas les plus graves de tout le département comme toutes les hémorragies digestives, car la nuit les seules gastro-entérologues de garde sont à Saint-Brieuc
On doit aussi s’occuper des patients qui viennent des secteurs de Lannion et Guingamp, lorsque leurs urgences sont « régulées ». Mais la régulation, c’est un faux terme. Seuls les malades en détresse entrent. Tous les autres malades sont redirigés vers Saint-Brieuc quand Lannion et Guingamp ne sont pas ouverts. Ça a un impact direct. Et à Saint-Brieuc, on a aussi des malades du secteur de Pontivy, lorsque leurs urgences sont régulées.
C’est ça qui me fait fuir : ces malades toujours plus nombreux qui arrivent, avec un nombre de médecins qui n’augmente pas.
Le déclic : une quinzaine de patients qui dorment dans les couloirs
Par conséquent, on est obligé de passer le minimum de temps avec les patients. C’est une source d’insatisfaction, et de potentielles erreurs. Et on a moins de temps pour expliquer aux malades ce qu’ils ont, ce qui génère de l’inquiétude chez eux. Je vais désormais travailler à plein-temps aux urgences de Guingamp car, là-bas, il y a moins de patients. J’aurai le temps de me concentrer sur les malades et leur famille.
Ma décision de partir a été prise au mois de mai lorsque j’ai vu beaucoup de patients sur des brancards, dans les couloirs, pendant plusieurs jours. Un jour, ils ont été une quinzaine à dormir dans les couloirs, dont de nombreux patients avec de lourdes pathologies et âgés, dont une personne en fin de vie. J’ai trouvé cela inhumain. J’ai été une semaine en arrêt derrière, car, moralement, je n’étais plus capable d’assumer ça.
« Je suis très attaché au service public »
À Saint-Brieuc, nous sommes deux médecins la nuit, alors qu’on devrait être trois, voire quatre. Ce sont des choses qu’on signale à la direction depuis longtemps. J’ai l’impression que la direction écoute, mais qu’elle amène des solutions soit en retard soit qui ne sont pas celles qu’on pourrait attendre. Les patients qui dorment sur des brancards, ça se reproduit de plus en plus. Il y a dix ans, ça n’existait pas du tout, c’était inadmissible.
Voir plusieurs médecins urgentistes partir et changer de carrière alors que l’urgence était une vocation pour eux, c’est triste. Mais je les comprends parce que je pense que dans les cinq ans, je ferai le même choix qu’eux.
Personnellement, je suis très attaché au service public, je n’ai pas la vision du privé. Les gens cotisent pour qu’ils soient soignés et on leur doit des soins de qualité. »
Auteur : Tanguy HOMERY
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