Ouvriers, mécaniciens, contrôleurs, ils étaient salariés de la base militaire de l’Île Longue. Depuis dix ans, ils ont créé une association à Brest pour dénoncer le manque de reconnaissance de l’État concernant les problèmes médicaux liés aux radiations qu’ils ont subis pendant leur carrière.

Une étude publiée cet été dans le British Medical Journal affirme le lien entre la prolifération du cancer et l’exposition aux rayonnements ionisants dont sont victimes les salariés qui travaillent proches des missiles nucléaires. | ARCHIVE OUEST FRANCE
« Nous n’avions rien pour nous protéger et on manipulait ces têtes nucléaires pendant des heures. » Ancien salarié de DCN (désormais Naval Group), André Guengant a travaillé plusieurs années au sein de la base secrète de l’Île Longue. Contrôleur qualité, il passait la majeure partie de son temps à vérifier les différents chantiers de la partie pyrotechnie : « C’est là qu’on s’occupait des missiles et jamais on ne nous avait parlé de la dangerosité pour notre corps. »
Si en 1996, une série de révélations de la part de plusieurs salariés permettent de faire en partie la lumière sur la violence de ces expositions aux radiations pour le corps humain, le combat de la reconnaissance ne fait lui « que commencer. »
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Ancien ouvrier et membre de cette première vague de contestation interne, Francis Talec a créé l’antenne brestoise de l’association Henri-Pézerat : « A ce moment-là on cherchait des soutiens pour qu’on nous prenne au sérieux. »
Une centaine de membre en dix ans
Dix ans plus tard, ce sont désormais plus de 100 personnes qui sont membres de l’antenne brestoise. Le fer de lance de l’association est la reconnaissance des cancers liés à la radio-exposition. En effet, si la liste des maladies et cancers reconnus pour les victimes d’essais nucléaires est de 23, celle pour le personnel civil travaillant au contact de ces missiles est seulement de trois (cancer des os, cancer du poumon et leucémie).
« Qu’on nous explique pourquoi la vie d’une victime d’un essai nucléaire vaudrait plus que celle des ouvriers qui travaillait au contact de la bombe », questionne André Guengant, avant d’insister sur le silence des autorités militaires : « Avouer qu’on peut tomber malade d’autant de maladies n’est pas vendeur pour un secteur qui recrute autant. »
« La seule protection c’est la distance »
Si le silence semble s’imposer au sein de la Marine, la condition de travail des ouvriers du secteur nucléaire militaire a tout de même été évoquée dans le bulletin des armées du 14 avril 2023. À l’intérieur de ce document, on peut y lire le nouveau plan de protection du personnel civil et militaire.
Hausse des contrôles, nouvelles analyses, on découvre que de nombreuses personnes vont désormais travailler à la « protection du personnel ».
Pourtant, rien de concret n’apparaît quant à la mise en place de nouveaux matériels de protection. C’est ce que regrette Annie Thébaud-Mony, présidente nationale de l’association Henri-Pézerat : « La seule protection valable pour l’instant contre la radioactivité, qui émane des armes nucléaires de l’Île Longue, c’est la distance. »
Pour elle, l’armée doit prendre conscience de la dangerosité des conditions dans lesquelles travaillent toujours aujourd’hui, des milliers de personnes dans la région de Brest : « Il faut que tous soient au courant du danger qu’ils encourent. »
En dix ans, l’antenne de Brest a accompagné une trentaine de personnes en justice pour la reconnaissance du lien entre leur maladie et leur travail.
Auteur : Amaury CAILLAULT
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