Des habitants s’unissent pour reprendre la Maison de la presse de Châteaulin, pas pressée de fermer (OF.fr-4/01/24)

Les salariés et des clients réunis devant la Maison de la presse de Châteaulin.
Les salariés et des clients réunis devant la Maison de la presse de Châteaulin. | FABRICE LE BORGNE

En plein cœur du Finistère, la Maison de la presse de Châteaulin risque de baisser le rideau faute de repreneur. Inimaginable pour de nombreux habitués. Réunis dans une coopérative de 160 personnes, ils mènent la résistance, bien déterminés à racheter et à réinventer ce lieu emblématique. Le magazine « Bretons » les a rencontrés.

Par Loeiza Alle (Magazine « Bretons »).

Quelques fragiles lueurs dorées ponctuent déjà le manteau noir qui engloutit voracement Châteaulin à la nuit tombée. Sur le pont qui enjambe l’Aulne, le ballet des voitures pressées ressemble à une course contre l’hiver. Mais il y a encore de la lumière au bout du pont : une Maison de la presse se tient là, familière, presque banale avec sa devanture bleu indigo, son habituel tourniquet de cartes postales et la dernière BD d’Astérix en vitrine.

Sauf que, en regardant attentivement, on distingue sur la façade une grande banderole flanquée d’un mot d’ordre bien clair : « La maison a besoin de vous et de sous ». Le propriétaire actuel ne parvenant pas à vendre son magasin, une campagne de financement participatif a été lancée en septembre pour soutenir la reprise de la Maison de la presse. Dès le printemps, près de 160 personnes se sont pour cela réunies au sein d’une coopérative baptisée « La Maison qui pousse », bien décidées à développer le lieu, dont le rachat est estimé à 300 000 € environ.

« On fait partie de la tranche de vie des clients »

En passant le seuil de cet antre du papier, le rugissement des voitures se fait doux ronronnement, rythmé par les « bips » de la caisse enregistreuse. Derrière le comptoir depuis quinze ans, Fabrice Le Borgne, grand brun souriant au contact facile, dit sentir ses clients « un peu inquiets. Ils demandent : Mais ça va fermer ? Vous partez ? »

Pour ce vendeur passionné par la presse mais surtout par le contact avec la clientèle, la Maison de la presse nourrit des liens indispensables : « On fait partie de la tranche de vie des clients. Quelques-uns ont déjà un certain âge, des expériences de vie pas toujours simples. Ils sont contents d’avoir une oreille attentive, de savoir qu’ils existent un petit peu ».

Trouver des endroits où on peut se parler

À l’autre bout du magasin, au milieu des livres qu’elle conseille et « défend », sa collègue Marie-Hélène Manis savoure elle aussi ces échanges précieux : « Parler du roman d’untel, des derniers prix, donner un conseil pour un cadeau… On me demande parfois, et c’est charmant : Est-ce que ça finit bien ? » La sexagénaire aux cheveux blancs en bataille défend « le local » bec et ongles.

« Parce que maintenant, je crois qu’on va en venir à ça : où est-ce qu’on trouve encore du lien vivant, des endroits où on peut se parler ? », lance celle qui est arrivée à la Maison de la presse il y a huit ans, après une autre vie dans l’illustration et « les fringues de luxe » à Rennes.

« Ce n’est pas moi qui suis indispensable, c’est le magasin »

Ici, où passent près de 200 personnes chaque jour, on accueille et on dépanne hiver comme été : en chauffant un biberon, en se faisant refuge pendant la tempête Ciaran, en prêtant l’ordi pour régler un souci avec la Sécu, en imprimant les documents des galériens du numérique…

Même si Châteaulin compte deux supermarchés accessibles à pied depuis le centre-ville, le patron de la Maison de la presse, Frédéric Vasseur – Fred, pour tout le monde –, remarque que « des personnes traversent le pont pour venir. Elles ne viennent pas chercher un journal, mais cinq minutes d’échange. Ce n’est pas moi qui suis indispensable, c’est le magasin. Il a un peu ce rôle du café, le lieu où parfois les gens, finalement, rencontrent leurs voisins ».

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Marie-Hélène Manis est responsable de la partie librairie au sein de la Maison de la presse de Châteaulin. | GWÉNAËL SALIOU/BRETONS

Impossible de trouver un acheteur

Et cet endroit, au ventre rempli de journaux et de livres depuis quarante ans, a également une histoire, rappelle d’un ton placide le quinquagénaire aux cheveux retenus en queue-de-cheval. Fred Vasseur a débarqué au bord de l’Aulne en 2007, après vingt ans comme taxi à Paris. Avec son épouse, ils ont retapé ce magasin où les commandes de livres se faisaient encore par fax. Ensuite les années ont passé, aussi bouillonnantes qu’éreintantes, avec comme spécialité de la maison l’affichage de banderoles pour interpeller sur la loi travail, les féminicides, les Gilets jaunes ou l’environnement.

Et puis l’envie de partir en retraite a fini par pointer le bout de son nez. En 2021, Fred met donc son magasin en vente… sans résultat. « J’ai baissé le prix, j’ai même payé un pro pour faire des recherches… » Le patron envoie alors un mail à plusieurs amis, pour leur proposer de reprendre collectivement le lieu. « J’ai dû mettre deux heures avant d’appuyer sur « envoyer », parce que je savais que je lançais une dynamique que je ne pourrais plus quitter », rembobine le futur jeune retraité.

« C’est plus qu’un commerce »

Car la bouteille jetée à la mer a été immédiatement saisie par toute une bande de joyeux volontaires. Au point que, en ce soir de réunion, chaque client ou presque entrant dans la boutique est également un coopérateur, que l’on salue par son prénom. C’est le cas de Stéphane, féru de BD et de cet endroit « où on agite pas mal d’idées ».

« C’est plus qu’un commerce », résume sous sa casquette celui qui est aussi président du fameux Run ar Puñs, une ancienne ferme du coin accueillant des concerts et un bar associatif. À la Maison de la presse, Stéphane et ses complices rêvent de développer la librairie, de multiplier les dédicaces, les rencontres et les concerts, et même d’investir l’appartement de Fred, au-dessus, pour y proposer des ateliers d’écriture, de conte ou de slam.

« Ça vous indiffère que ce soit remplacé par une banque ? »

À l’étage, justement, Nathalie, Youna, Vincent et Jean sont déjà en pleine discussion dans la salle à manger qui accueillera la réunion du soir. Autour d’une grande table en bois, les quatre coopérateurs se retrouvent tous sur le refus de voir fermer la seule librairie de cette sous-préfecture de 5 000 habitants, au centre d’un territoire rural. Pas question de devoir aller jusqu’à Douarnenez, Le Faou ou Quimper pour trouver une librairie indépendante.

Au marché, ils ont donc interpellé leurs amis et voisins : « Ça vous indiffère que ce soit remplacé par une banque ou une agence immobilière ? » « Il y a combien d’opticiens ici à Châteaulin ? Trois dans un rayon de cinquante mètres ! », lâche un coopérateur, et les rires fusent. Le business des Maisons de la presse intéresse peu les acheteurs dès que l’on s’éloigne des zones touristiques, et plusieurs de ces commerces ont mis la clé sous la porte ces derniers temps, à Landivisiau, Carhaix, Quimper, Penvénan, Plérin…

À Châteaulin, les ventes de journaux dégringolent depuis des années et il a fallu développer les services et les jeux d’argent pour tenir. « J’ai grandi ici, je l’ai toujours connue, cette Maison de la presse au bout du pont. Ce serait quoi, à la place ? Ce serait complètement vide, Châteaulin ! », se marre nerveusement Nathalie. « Si habiter un endroit, c’est être au milieu d’une zone commerciale où on tape sur Internet pour recevoir un truc… », s’inquiète la coopératrice aux tresses argentées, pour qui Châteaulin reste une ville « en dormance ».

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Se réapproprier le mot « économie »

Selon ses voisins de table, beaucoup d’habitants croient ne pas avoir de prise sur la fermeture des commerces de leur ville. « Il y a une sorte de déni, ils disent : Oh ben non mais c’est la Maison de la presse de Châteaulin, ça va pas disparaître ! Ben si en fait, si on n’arrive pas à la reprendre collectivement ! », martèle Youna, présidente de la coopérative depuis une élection « sans candidat ». Pour la coopératrice à la frange châtain, La Maison qui pousse vise également à « se réapproprier le mot « économie », apprendre comment on gère une boîte, et ne pas laisser tout ça à une économie plus dure, plus capitaliste ».

«  Le petit commerce, c’est un lieu souvent un peu individualiste. Et là, on fait le contraire de ça », abonde Vincent, retraité engagé par le passé au sein de l’ONG Oxfam. « Questionner le modèle économique et la finalité, même pour une entreprise commerciale, ça fait partie des sujets qui me bottent », le rejoint Fred, séduit par l’idée d’une entreprise non lucrative où l’on peut « décider à plusieurs ».

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Frédéric Vasseur, à droite, le patron de la Maison de la presse, est en pleine discussion avec un client et coopérateur. | GWÉNAËL SALIOU/BRETONS

Un coopérateur de moins de 16 ans

Le mode d’emploi est simple : pour embarquer dans l’aventure, il faut acheter au moins une part sociale de 100 €. Les plus motivés peuvent ensuite intégrer l’une des commissions, dédiées à la communication, l’animation-culture ou la gestion-finance. Ils accourent de Châteaulin mais aussi de plus loin.

« Ça va du chef d’entreprise au RMIste », précise Fred. « Il y a même un coopérateur de moins de 16 ans ! » Et les femmes sont légèrement majoritaires, « pas un hasard », selon le patron, puisque « la décision est plus collective, il y a de l’écoute ». Youna s’en étonne encore : « Ça peut paraître bisounours de dire ça, mais c’est apaisé et serein, même si on est sur des sujets qui peuvent être tendus ».

Une cagnotte participative

Car tout n’est pas rose : début décembre, il manquait encore plus de 13 000 € pour remplir la cagnotte participative de La Maison qui pousse. Pas de quoi étonner Nathalie : « Pas mal de gens m’ont dit : C’est très, très dur en ce moment. Comme cette dame qui attendait que la période des taxes soit passée pour donner quelque chose ».

À l’heure où l’on sollicite les citoyens pour soutenir leurs commerces, se pose alors la question du rôle des élus. La coopérative doit recevoir quelques milliers d’euros de la communauté de communes. « Mais je ne sens pas de soutien politique fort », souffle Youna, tandis que Vincent s’agace : « Je suis déçu. Les politiques font des grands discours sur les centres-villes qui se désertifient, là on est dans un cas concret, et rien ».

« L’histoire, elle est belle »

Fred, lui, préfère se concentrer sur le « positif ». « De voir que les gens se prennent en main, ne sont pas que spectateurs, c’est assez réconfortant », apprécie le patron. « L’histoire, elle est belle », sourit-il, se remémorant ce couple de jeunes mariés tout juste arrivés à Châteaulin : « Une semaine après, ils allaient à leur première réunion. Ils étaient tout timides au début, et maintenant ils sont hyper actifs ! Ça fait du bien de faire ensemble. Quand je vois que je m’approche de la fin et qu’il y a des énergies qui arrivent, c’est génial ! »

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Au bout de la table, Jean, le benjamin de l’assemblée, carbure lui aussi à l’espoir. « On est une maison dans laquelle plein de choses ont déjà été créées, donc on ne sait pas encore comment, mais ça va marcher. » Et le jeune homme blond de reformuler, après un court silence : « Ça marche déjà ! »

Source: https://www.ouest-france.fr/bretagne/chateaulin-29150/des-habitants-sunissent-pour-reprendre-la-maison-de-la-presse-de-chateaulin-pas-pressee-de-fermer-b1291628-a984-11ee-ad44-c03d56c454d6

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