«Un coup de poignard» : privés de mer pour un mois, les fileyeurs du Cap-Sizun disent « ras-le-bol » (OF.fr-22/01/24)

La quasi-totalité des fileyeurs d’Audierne (Finistère) vont rester à quai jusqu’au 20 février 2024.
La quasi-totalité des fileyeurs d’Audierne (Finistère) vont rester à quai jusqu’au 20 février 2024. | OUEST-FRANCE

Afin de protéger les cétacés des captures accidentelles dans le golfe de Gascogne, la quasi-totalité des fileyeurs d’Audierne (Finistère) devront rester à quai jusqu’au 20 février 2024. Une interdiction qui pourrait faire vaciller, par ricochet, toute la filière et l’économie locale.

Par Sounkoura-Jeanne DEMBÉLÉ.

« Si on veut tuer la pêche et l’économie locale, on ne peut pas s’y prendre mieux ! » C’est dire si Gildas Bannalec, ligneur rattaché au quartier maritime d’Audierne (Finistère), en a gros sur la patate. Ses collègues fileyeurs ne pourront pas exercer au cours des vingt-neuf prochains jours. Sur décision du Conseil d’État, les navires de pêche de plus de 8 m dits « à risque » ont interdiction de pêcher dans les eaux françaises du golfe de Gascogne – vaste zone allant du Finistère au nord de l’Espagne – du 22 janvier jusqu’au 20 février 2024. En pleine saison du lieu jaune. 450 bateaux français sont concernés.

En ce premier jour de fermeture, une trentaine d’acteurs de la filière et maires du Cap-Sizun se sont réunis aux abords de la criée de Plouhinec pour exprimer leur colère et leur inquiétude.

« Un coup de poignard »

Cette mesure inédite a vocation à protéger les cétacés, notamment les dauphins, des captures accidentelles. Les pêcheurs capistes, qui ont toujours montré patte blanche assurent-ils, le vivent comme une injustice.

« Ça fait cinq ans que nous travaillons sur le sujet. Nous avons toujours été bons élèves, fulmine Sébastien Biolchini, patron du fileyeur Mestelen, également vice-président de la jeune association Pêche Avenir Cap-Sizun. Nous avons tout mis en œuvre pour prouver notre bonne volonté, notre bonne foi, en toute transparence. Cette interdiction est un coup de poignard. Ras-le-bol ! »

Une trentaine d’acteurs de la filière et maires du Cap-Sizun se sont réunis aux abords de la criée de Plouhinec pour exprimer leur colère et leur inquiétude. | OUEST-FRANCE

Selon le marin, tous les fileyeurs capistes ont intégré un programme pour s’équiper de caméras et de systèmes d’effarouchement. L’investissement global se chiffrerait à « plusieurs millions d’euros », à grand renfort d’aides publiques. « Et il n’y a même pas eu le temps de tester l’efficacité de ce matériel ! s’agace Thomas Le Gall, ligneur et président de Pêche Avenir Cap-Sizun. Il faut apporter de la nuance. Que les associations environnementales viennent nous rencontrer ! On pourrait faire tomber un certain nombre de préjugés et de fantasmes. »

Yvan Moullec, maire de Plouhinec, dénonce une décision prise « sans discernement ». Et l’élu de vanter « l’exemplarité » de la pêche côtière du Cap-Sizun, « qualitative, durable et respectueuse de l’environnement ».

Quant aux aides annoncées par l’État pour compenser les pertes, les pêcheurs s’étranglent. « On veut vivre de notre travail, pas sous perfusion ! » disent-ils de concert. Et Sébastien Biolchini de renchérir : « Il y avait des choses beaucoup plus simples à mettre en place à la fois pour lutter contre les captures accidentelles et garder l’économie en place. »

« Ça fait peur »

Car c’est bien « un coup de massue » pour toute la filière locale. La flottille du Cap-Sizun se compose de trente-quatre ligneurs et d’une dizaine de fileyeurs. Soit près de 80 marins au total. À Plouhinec, le filet représente 70 % des apports sous criée. L’établissement, « qui se porte très bien » et où travaillent sept personnes chaque jour, se prépare à tourner au ralenti.

« En termes de tonnages et de valeurs, c’est au cours des trois premiers mois de l’année que nous travaillons le plus avec les fileyeurs, essentiellement sur le lieu jaune», explique François Priol, directeur de la criée plouhinecoise, qui redoute un « impact assez important. On fera le bilan à la fin de l’année. Mais ça fait peur ».

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Moins de ventes par semaine

Côté compensation, l’État prévoit, pour les criées, des dispositifs de chômage partiel. À Plouhinec, la question d’y recourir est encore à l’étude.

« Nous allons nous adapter. Il y aura quand même un peu d’activité pour le personnel, souligne François Priol. Nous allons continuer de tourner avec les ligneurs et quelques fileyeurs qui exercent dans la baie de Douarnenez et ne sont donc pas soumis à cette interdiction. Au lieu de faire cinq ventes par semaine, nous en aurons peut-être quatre, voire trois. Nous devrons tout optimiser. Car il faut également penser aux   transporteurs qui viennent récupérer la marchandise. Pas sûr qu’ils se déplacent pour seulement 100 ou 200 kg. »

« On ne sait pas où on va »

Les mareyeurs se préparent également à traverser une période d’incertitude. L’entreprise Les Viviers d’Audierne, qui emploie vingt-cinq salariés à l’année, est le principal acheteur de la criée plouhinecoise. « On ne sait pas où on va, souffle Didier Floch, responsable des achats. À partir de mercredi, les frigos seront à sec. Nous n’avons aucune visibilité. Aucune compensation n’est encore prévue pour les mareyeurs. »

Quant à se tourner vers l’importation, « ce n’est pas notre éthique, ni notre philosophie, répond Didier Floch. Nous privilégions le local et le poisson breton. Nous ne retrouverons pas cette qualité avec le poisson d’importation ». Une chose est sûre : « La perte de chiffre d’affaires sera énorme. »

Plus largement, élus et marins redoutent les conséquences, par ricochet, sur l’économie locale. Ici, nombreux sont les commerces et entreprises à vivre directement ou indirectement de la pêche. Tous partagent la crainte de voir le Cap-Sizun devenir un territoire sinistré.

Pour se faire entendre, les pêcheurs comptent « investir la rue ». En attendant la manifestation à Paris, le 6 février, Thomas Le Gall appelle à se joindre au rassemblement des agriculteurs, prévu à Rennes, jeudi 25 janvier.

Source: https://www.ouest-france.fr/bretagne/plouhinec-29780/un-coup-de-poignard-prives-de-mer-pour-un-mois-les-fileyeurs-du-cap-sizun-disent-ras-le-bol-663cbce0-b92a-11ee-879f-a9ffd2809e51

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