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À moins de deux mois des Jeux, le flou règne encore sur les conditions de travail des agents du service public. Nombre d’entre eux revendiquent toujours une reconnaissance des missions accomplies au quotidien. État des lieux des revendications, métier par métier.
Par Hayet KECHIT
« Tout va bien se passer. » Cette réponse, nombre d’agents de la fonction publique disent l’avoir entendue de leur direction respective. Des éléments de langage qui peinent à convaincre, tant la réalité leur renvoie des signaux contraires. À moins de deux mois des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris (JOP), où 15 millions de visiteurs sont attendus, le flou domine en effet encore sur les conditions de travail auxquelles ils seront soumis.
Surcroît d’activité dans un contexte de pénurie de bras, renoncement aux congés, accompagnement social insuffisant, compensations financières aléatoires… Sur ces sujets, « tout est loin d’être réglé », confirme Céline Verzeletti. Pour la coresponsable de l’Union fédérale des syndicats de l’État-CGT, un seul principe devrait prévaloir, celui d’« une égalité de traitement ». « À mêmes contraintes, même niveau de primes. Or, ce n’est pas le cas », déplore la syndicaliste.
« Énormément d’agents n’auront rien »
Pointant les ambiguïtés de la circulaire Borne de novembre 2023, ouvrant le droit aux primes JOP aux seuls agents « directement impliqués » dans la « bonne organisation » de l’événement, Céline Verzeletti dénonce une brèche ouverte aux employeurs pour exclure de ces compensations des fonctionnaires qui font aussi leur part, « avant, pendant et après les JOP ». Résultat : « Énormément d’agents n’auront rien. »
À ces inégalités s’ajouterait « l’absence de garantie » sur les mesures d’accompagnement social des fonctionnaires : garde d’enfants, logement… Dès lors, sur le terrain, l’incertitude le dispute à l’exaspération, et l’ambition affichée par la charte sociale des Jeux de « placer les conditions de travail des salariés au cœur de l’impact socio-économique » semble tenir davantage d’une vue de l’esprit.
Si certains agents ont pu obtenir des concessions sur les primes, de lourdes incertitudes pèsent sur leur capacité à absorber un surcroît d’activité ; tandis que d’autres peinent à faire entendre leurs alertes et n’excluent pas la grève pour dénoncer des « conditions de travail déplorables tout au long de l’année ».
1. Policiers : une prime, mais des effectifs sur le fil
➤ Primes compensatoires. D’abord plafonnée au palier de 1 500 euros, fixé par la circulaire Borne – qui prévoyait trois échelons de 500, 1 000 et 1 500 euros –, la prime des policiers et gendarmes mobilisés en Île-de-France pourra atteindre jusqu’à 1 900 euros, selon leur taux de présence. Obtenue au prix d’un bras de fer mené par deux des principaux syndicats, Alliance et Un1té, la mesure a été confirmée le 26 avril par le premier ministre, Gabriel Attal, et le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.
➤ Taux de présence exigé. Il sera de 100 % entre le 24 juillet et le 11 août et ne descendra pas sous les 75 % entre le 1er juillet et le 8 septembre. Quinze jours de congé ont été obtenus, mais les caler s’annonce quasi impossible : « Pour les chefs de brigade, ça va être rock’n’roll », confirme Anthony Caillé, secrétaire général de la CGT police-intérieur, qui anticipe des dysfonctionnements, avec des services « mal préparés » et des agents déjà « au bout du rouleau ».
➤ Accompagnement social. Parmi les 45 000 agents mobilisés, nombre d’entre eux ignorent encore les modalités pratiques de leur venue en région parisienne, de logement et de gardes d’enfants.
2. Douaniers : un alignement sur la prime des policiers
➤ Primes compensatoires. Elle pourra atteindre 1 900 euros. « On a vite compris que de nombreux collègues, pendant cette période, n’auront pas le droit d’être ailleurs qu’au travail », relate Manuela Dona, secrétaire générale de la CGT des douanes, qui avait engagé, avec d’autres syndicats, des négociations avec le ministre de tutelle Thomas Cazenave, en vue d’obtenir un alignement de cette indemnité sur celle des policiers.
➤ Taux de présence exigé. Quelque 5 500 agents des douanes seront mobilisés, avec des taux de 70 % à 100 % de présence. Quinze jours de congé ont par ailleurs été négociés. « Les collègues bénéficiant d’une compensation indemnitaire sont ceux qui sont armés, parce que l’exécutif tient à cet affichage d’uniformes dans les rues, au mépris de ce qui sera fait aussi dans les autres services », déplore Manuela Dona.
➤ Accompagnement social. Aucune mesure financière n’a été prévue, à part quelques concessions sur les chèques emploi- service. « Au final, on se demande si la prime ne va pas surtout servir aux frais de garde des enfants », ironise Manuela Dona. En outre, des solutions de logement seraient « normalement » prévues pour les fonctionnaires venus en renfort de province.
3. Métros et RER : la réalité de la prime derrière « le slogan publicitaire »
➤ Primes compensatoires. Jusqu’à 1 600 euros d’indemnité compensatoire sont prévus pour les conducteurs de métro et de RER, qui travailleront du 22 juillet au 8 septembre. Elle pourra être complétée par une prime « événement exceptionnel » de 44,10 euros par jour travaillé sur 12 lignes de métro et les RER A et B pendant les périodes de compétition. Soit 2 500 euros au total pour les agents de conduite.
Des compensations obtenues via les accords signés après la mobilisation des syndicats, début mai. « Ces 1 600 euros, c’est un slogan publicitaire », tempère Vincent Gautheron, secrétaire de l’union syndicale CGT-RATP, qui dénonce les conditions drastiques pour obtenir ce montant maximal.
➤ Taux de présence exigé. Les données restent encore floues, les plans de transport n’ayant pas été clairement établis par l’autorité organisatrice pas plus que n’a été communiquée l’étendue des besoins, selon la CGT. La RATP, confrontée à un manque d’effectifs, malgré ses campagnes récentes de recrutement, devrait, selon Vincent Gautheron, faire appel à des renforts en contrats précaires ou auprès de retraités, pour faire face à l’augmentation de 15 % de l’offre de transport.
➤ Accompagnement social. Aucune mesure précise n’a, pour l’heure, été communiquée, même si « le sujet a été posé sur la table », selon la CGT.
4. Vers un accord pour les cheminots ?
➤ Primes compensatoires. Les agents de la SNCF mobilisés du 24 juillet au 11 août, puis du 28 août au 8 septembre pourraient prétendre à une indemnité allant jusqu’à 1 900 euros, selon un projet d’accord négocié le 22 mai, au lendemain d’une grève des agents.
Le texte a été signé par l’Unsa, SUD rail. La CGT, première organisation syndicale, a, pour sa part, déclaré hier refuser d’y apposer sa signature, dénonçant un accord « inégalitaire », qui laisse sur le bas-côté « près de 100 000 cheminots » et des conditions d’accès aux primes « trop contraintes ».
➤ Taux de présence exigé. « Cet été, le niveau de trafic ferroviaire sera supérieur à celui d’un été normal », a communiqué la SNCF, qui s’attend à transporter « jusqu’à 15 millions de visiteurs », en mobilisant « 4 500 trains supplémentaires ». Des chiffres qui expliquent des taux de présence avoisinant au moins 75 %.
➤ Accompagnement social. L’indemnité pour la garde d’enfants devrait passer de 40 à 50 euros par jour, si les syndicats valident le projet d’accord du 22 mai.
« Les JO passeront, mais les conditions de travail dégradées, elles, resteront »Joran Jamelot de l’Usap-CGT
5. Personnels hospitaliers : des primes « discriminatoires »
➤ Primes compensatoires. Elles ne concerneront qu’une soixantaine de services (sur 800 au sein de l’institution hospitalière) et varient selon la fonction des soignants : 500 euros pour les médecins ; 1 200 euros pour les fonctionnaires hospitaliers de catégorie A ; 1 000 euros pour ceux de catégorie B ; et 800 euros brut pour ceux de catégorie C. Pour y prétendre, ces derniers devront renoncer à une partie de leurs vacances. « Ces primes ne concernent qu’une minorité de collègues, elles sont discriminatoires », conteste Joran Jamelot de l’Usap-CGT, qui réclame « une prime de 2 000 euros pour tous ».
➤ Taux de présence exigé. Si les directions tentent de minorer l’ampleur des besoins pour l’été, se basant sur les JO de Londres qui auraient enregistré une faible fréquentation des hôpitaux, elles n’en demandent pas moins aux soignants de différer leurs congés. Une demande qui ne passe pas chez les soignants. « Au-delà de cette reconnaissance lors des JO, nous luttons pour le long terme. Les JO passeront, mais les conditions de travail dégradées, elles, resteront », analyse Joran Jamelot.
➤ Accompagnement social. Aucune garantie n’a été apportée sur l’accès aux modes de garde, selon des sources syndicales.
6. Justice : une chambre de comparutions immédiates à Bobigny
➤ Primes compensatoires. Trois paliers de 500, 1 000 et 1 500 euros ont été déterminés le 28 mai par le ministère de la Justice, selon des critères critiqués par la CGT, qui dénonce l’invisibilisation du travail de nombreux agents. « La difficulté, c’est l’impact invisible : un dossier qui rentre au moment des JO va continuer sa vie après », explique Cyril Papon, secrétaire général CGT des chancelleries et services judiciaires, qui réclame, au-delà de ces primes, « sources de division », 10 % d’augmentation immédiate du point d’indice et le respect de la réglementation sur le temps de travail.
➤ Taux de présence exigé. « Nous avons des échos contradictoires, selon les interlocuteurs, sur les besoins en renforts cet été. C’est le plus grand flou », pointe Cyril Papon. « La directrice de greffe du tribunal a déclaré, en décembre, qu’il n’y aurait pas de congés imposés. Or, des collègues affirment avoir reçu des refus », ajoute le syndicaliste, qui évalue à 70 % les effectifs nécessaires, au lieu des 50 % annoncés. Une chose est certaine : une chambre de comparutions immédiates sera ouverte pendant les JO, au tribunal de Bobigny, qui aura forcément des répercussions sur les effectifs, notamment ceux des greffiers.
➤ Accompagnement social. Aucune garantie n’aurait été apportée aux agents en termes de garde d’enfants et de logement, selon la CGT.
7. À la mairie de Paris : deux tiers des agents sans prime
➤ Primes compensatoires. L’exécutif parisien a mis en place des primes par paliers, allant de 600 euros à 1 900 euros, qui concerneraient 20 000 agents (sur 60 000). Un système vertement critiqué par la CGT, qui dénonce un « système méritocratique inacceptable » et réclame une prime de 1 900 euros pour tous.
« C’est l’ensemble du service public qui contribue à la réussite des jeux Olympiques aussi bien en amont, pendant et après les JO, qu’on soit puéricultrice ou qu’on travaille à la propreté. Or, avec cette décision, 40 000 agents ne toucheront rien », a de nouveau martelé Christophe Farinet, coordinateur d’un comité réunissant les neuf syndicats CGT de la Ville de Paris, lors d’une journée de mobilisation organisée hier, à l’appel du syndicat.
➤ Taux de présence exigé. Il varie selon les directions. La Direction de la police municipale et celle de la propreté sont les plus concernées avec un taux pouvant aller jusqu’à 75 %…
➤ Accompagnement social. Une augmentation des chèques emploi-service aurait été prévue pendant les JOP. Une mesure en deçà des besoins, selon Christophe Farinet : « Ce sont des pansements sociaux qui ne contribuent pas à mettre en place une politique sociale pérenne pour les agents. »
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