PORTRAIT-Sophie Binet, une Bretonne à la tête de la CGT: «On est le dernier espoir de plein de gens» (OF.fr-8/6/24)

La n°1 de la CGT Sophie Binet, à Brest en avril 2024.
La n°1 de la CGT Sophie Binet, à Brest en avril 2024. | GWÉNAËL SALIOU / BRETONS

Secrétaire générale de la CGT depuis mars 2023, Sophie Binet est selon ses camarades une militante profondément « convaincue et convaincante ». Engagée depuis ses 15 ans, la Nantaise est tombée amoureuse du Finistère nord, où elle jette l’ancre dès que possible. Le magazine « Bretons » l’a rencontrée.

Par Loeiza ALLE (Magazine « Bretons »).

Entre quatre poteaux blancs, des étudiantes en pyjama bouquinent dans leur lit, au beau milieu du hall de l’université de Brest. Nous sommes en 2005 et des militants du syndicat étudiant Unef ont recréé une chambre de 7 m² pour dénoncer le projet Borloo, qui vise à autoriser la location de chambres de moins de 9 m².

Face à la caméra de France 3 Brest, une jeune femme en veste en jean lance d’un ton assuré et gorgé d’ironie : « Voilà une petite chambre, c’est charmant. C’est pas très haut, il faut apprendre à se courber, mais vraiment, vous allez voir, on s’habitue, c’est très bien ! » La coiffure a changé, mais on reconnaît la détermination de celle qui est depuis mars 2023 la secrétaire générale de la CGT.

Lire aussi : PORTRAIT. À la tête de la CFDT, la Bretonne Marylise Léon se veut « radicale dans la nuance »

Dans la lutte contre le CPE à Brest

À l’époque de cette apparition à la télévision bretonne, Sophie Binet a 23 ans et fait partie de la direction nationale de l’Unef. L’année suivante, elle multiplie les allers-retours entre Paris et Brest, où elle accompagne ses camarades dans la lutte contre le contrat première embauche (CPE). Quand on la rencontre justement dans la cité du Ponant, un vendredi d’avril, ces souvenirs sont encore vivaces.

« On avait envahi le McDo rue Jean-Jaurès, on avait bien rigolé ! », retrace la syndicaliste, regard noisette et vêtements d’un noir de jais. « Dans les parcours militants, il y a des temps d’accélération de la formation, et c’en est un. Ça m’a appris qu’il faut à certains moments savoir tout prioriser sur la lutte. Pendant quatre mois, je n’ai fonctionné que pour ça, la nuit, le soir, le week-end. Je dormais juste suffisamment pour avoir assez de force. »

« convaincue et convaincante »

Sylvain Dubreuil, alors président départemental de l’Unef, a vécu cette période à ses côtés. « Je me souviens que Sophie était partie toute seule faire le tour des amphis et elle était revenue avec une cohorte d’étudiants. Elle était très convaincue et convaincante », rembobine celui qui est aujourd’hui adjoint au maire de Bannalec, dans le Finistère. « Elle était déjà extrêmement douée et brillante, au-dessus du lot. C’est compliqué pour ses adversaires, il vaut mieux être son ami ! »

C’est un peu plus au sud, dans la cité des ducs, que Sophie Binet est tombée dans la marmite bouillonnante de l’engagement. Arrivée à Nantes à 10 ans, après un passage par Rennes et par Tours, elle grandit auprès d’un père urbaniste et d’une mère assistante sociale, « pas du tout engagés ». Assez tôt, elle dévore des ouvrages sur la guerre d’Espagne, la Résistance ou la guerre d’Algérie.

« Le militantisme était existentiel »

À 15 ans, elle est « vraiment choquée » de voir les élèves de Zep quitter son lycée de centre-ville. Elle passe à l’action, fait du soutien scolaire dans un quartier populaire voisin, et entre à la Jeunesse ouvrière chrétienne. Alors qu’elle ne sait pas encore ce qu’est un syndicat, elle crée dans son lycée un collectif qui organise une cinquantaine de créneaux de soutien scolaire gratuit pour les élèves.

« Pour moi, à cette époque, le militantisme n’était pas important, c’était existentiel », tranche Sophie Binet. « Je me demandais quel était le sens de ma vie, et j’ai décidé que c’était de mettre toute mon énergie à changer ce monde que je trouvais trop injuste. »

« Vraiment entière »

À 18 ans, elle part de chez ses parents et enchaîne les petits boulots pour payer elle-même ses études de philo à la fac de Nantes. Vice-présidente étudiante de l’université, elle préside la section nantaise de l’Unef un certain 21 avril 2002. Très vite, elle décroche son téléphone pour joindre tous les syndicats du coin. « On a fait un tract, je m’en souviens encore, c’était un papier bleu ciel avec des images de déportés, la CGT nous l’avait imprimé », raconte la syndicaliste.

Pierre Maura, qui a milité avec elle en tant que secrétaire général de l’Unef à Nantes, se rappelle que sa camarade d’alors avait aussi « ramassé pas mal de boulettes de gasoil de l’Erika sur les plages bretonnes. Même des gens plus âgés étaient frappés par sa force de travail. Elle est vraiment entière, c’est la droiture et l’intégrité incarnées ».

Aujourd’hui directeur adjoint au cabinet de la maire de Rennes, Pierre Maura dit devoir beaucoup de choses à Sophie Binet : « Si je me suis engagé en politique et si je défends certaines idées de gauche, c’est un peu grâce à elle. Beaucoup de leaders vous entraînent par l’affect, mais elle fait appel à la raison. Vous vous sentez plus intelligent après avoir parlé avec elle ».

Lire aussi : En Loire-Atlantique, la CGT se regonfle

CPE à Marseille et en Seine-Saint-Denis

Chez certains, la poussée de fièvre révolutionnaire n’est que passagère, facilement étiquetée « crise d’ado » avant d’être remisée au placard des folies de jeunesse. Mais, chez Sophie Binet, l’engagement semble toujours être un mode de vie, qu’elle a aussi appliqué à sa profession de conseillère principale d’éducation.

« Je voulais mettre les mains dans le cambouis pour comprendre ce qui ne va pas dans notre système éducatif », martèle celle qui a toujours choisi de travailler dans des établissements difficiles, d’abord dans les quartiers nord de Marseille, puis en Seine-Saint-Denis. « Je ne faisais que ça, je ne comprenais pas mes camarades de la CGT qui me disaient : à trente-cinq heures, t’as fini ! »

Sophie Binet (ici, à Brest) revient régulièrement dans le Finistère nord, où elle a ses principales attaches. | GWÉNAËL SALIOU/BRETONS

Amoureuse du Finistère nord

Il est vrai que sous l’argumentaire efficace de la secrétaire générale semble affleurer un tempérament d’acier. Difficile en revanche d’arracher à Sophie Binet beaucoup de mots sur sa vie privée, qu’elle rechigne à dévoiler. Tout juste la Nantaise admet-elle une forte attraction pour le Finistère nord, qu’elle a découvert grâce à des stages de voile à partir de ses 12 ans. « J’ai tout de suite complètement accroché, je suis tombée amoureuse de l’endroit et j’y suis toujours retournée », glisse-t-elle.

Ce qui l’a séduite ? « Les paysages, l’ambiance… J’étais un peu complexée, donc le froid, c’était pratique. Et puis le côté populaire, le fait qu’il n’y avait pas de tourisme de masse ou friqué. L’ouverture également : il y a beaucoup de voyageurs et pas d’effet « chapelle » un peu pesant. Et évidemment, la mer, sa couleur, plus translucide qu’ailleurs », énumère pudiquement Sophie Binet, dont le compagnon, marin de profession, aime lui aussi revenir dans ce bout du monde.

La quadragénaire le reconnaît : « J’ai beaucoup bougé, mais si j’ai un lieu d’attaches, où je reviendrai toujours, c’est ici, c’est clair. C’est le lieu où j’ai le plus d’amis, de souvenirs, de choses marquantes. C’est aussi celui où j’ai accouché ».

Première femme n°1 de la CGT

Mais c’est en terre volcanique, à Clermont-Ferrand, que celle qui dirigeait la CGT des cadres depuis 2018 a créé la surprise au printemps 2023, en succédant à Philippe Martinez à la tête du syndicat.

Pierre Maura se souvient avoir appris la nouvelle en pleine réunion avec la maire de Rennes : « J’ai ressenti beaucoup d’émotion. Mais quand on connaît Sophie, on sait que quelque chose comme ça va arriver ». Cette nomination, il l’a trouvée « rassurante, parce que les corps intermédiaires du pays ont été malmenés ces dernières années, et on a besoin de syndicats représentatifs et puissants. Avec elle, il y a eu un changement d’image, elle a fait adhérer des femmes et des jeunes ».

Sophie Binet est en effet la première femme à diriger le syndicat depuis sa création. « C’est le résultat d’une mobilisation féministe de longue date », précise celle qui a été chargée de ces questions au sein de la CGT. « Beaucoup de militants, souvent des hommes, viennent me dire : on est fiers d’avoir une femme secrétaire générale », remarque-t-elle, convaincue « que le syndicalisme doit aussi se prononcer sur des questions sociétales : l’environnement, le féminisme, l’antiracisme… »

Le syndicalisme pour « relever la tête »

Pour la n° 1 de la CGT, le premier rôle des syndicats est également « de relever la tête. Les grèves démarrent en général sur une question de mépris. Et le syndicalisme permet de dire : c’est bon, on n’est pas des paillassons ». C’est ce qui fait, selon elle, la nécessité d’une ligne « combative » comme celle de la CGT, « qui articule le rapport de force et la négociation ».

C’est pourtant à un tropisme modéré, ouvert au compromis, que l’on associe souvent la Bretagne, comme l’exprimait la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, dans Bretons en mars dernier. En 2019, le syndicat réformiste annonçait ainsi 52 500 adhérents dans la région, contre 37 800 pour la CGT. « Il y a eu longtemps moins d’inégalités qu’ailleurs, et donc les conflits sociaux étaient peut-être parfois moins violents », admet Sophie Binet.

Lire aussi : ENTRETIEN. « Les Bretons ont une forte tendance au légitimisme électoral »

« La Bretagne n’est pas une terre modérée »

Mais, pour la secrétaire générale, « la Bretagne n’est pas du tout une terre modérée » pour autant. Et de citer la forte mobilisation des Bretons contre la réforme des retraites – la plus importante de France en proportion –, ou encore la grève des sardinières à Douarnenez en 1924.

« C’est une lutte pour laquelle la CGT a dépêché des renforts, notamment Lucie Colliard, qui a eu une stratégie féministe, pour faire en sorte que ce soient les femmes qui gèrent leur mobilisation », rappelle Sophie Binet, qui s’est justement rendue dans le port finistérien en avril, à l’occasion des 100 ans de cette bataille.

Les ouvrières de la conserverie Chancerelle sortaient alors tout juste d’une grève. « La CGT avait demandé aux 250 salariées de rester dans la cour pendant la négociation. Tout le monde était avec sa calculette et il y avait des traductions pour toutes les nationalités. J’ai trouvé ça magnifique », abonde Sophie Binet. « Les sardinières étaient toujours là et toujours en lutte. C’était vraiment très fort en émotion. J’ai été très touchée. »

Lire aussi : RÉCIT. Entre lutte des classes et féminisme, la grève des Penn Sardin à Douarnenez en 1924

« Il y a une solidarité énorme entre camarades »

À la tête de la CGT, la Nantaise dit aujourd’hui se sentir « utile ». « Même si, en face de nous, on a un pouvoir radicalisé et violent, chaque jour on gagne des luttes dans plein d’endroits », constate-t-elle, avant de saluer la force du collectif. « Ce qui est assez incroyable, c’est que dès que j’ai été élue, j’ai reçu des centaines de messages. Ça fait prendre conscience d’à quel point la CGT est un peu le dernier espoir de plein de gens. »

Elle poursuit : « On se sent porté, comme quand j’ai été accueillie à la gare de Quimper par cent camarades, qui m’ont fait une chorégraphie avec les torches des cheminots ! Il y a une solidarité énorme entre camarades, peut-être plus importante qu’avec certains amis. Je ressentais déjà ça en tant que militante, mais là c’est encore plus fort. »

°°°

Source: https://www.ouest-france.fr/economie/syndicats/cgt/sophie-binet/portrait-sophie-binet-une-bretonne-a-la-tete-de-la-cgt-on-est-le-dernier-espoir-de-plein-de-gens-01c8937e-2310-11ef-9bcd-06e7ce6da751

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/portrait-sophie-binet-une-bretonne-a-la-tete-de-la-cgt-on-est-le-dernier-espoir-de-plein-de-gens-of-fr-8-6-24/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *