« L’État français n’a rien appris de l’histoire » : en Kanaky, la déportation de sept indépendantistes ravive la révolte (H.fr-24/06/24)

Christian Tein, responsable de la Cellule de Coordination des Actions de Terrain (CCAT), lors de l’assemblée générale de l’organisation qui se tient à la tribu d’Azareu à Bourail, en Kanaky, le 14 juin 2024. © Delphine MAYEUR / AFP

La décision de la justice de conduire dans l’Hexagone sept des onze militants politiques interpellés la semaine dernière est inédite depuis 1988. Désormais, les révoltes concernent l’ensemble de l’archipel.

Par Benjamin KÖNIG

C’est une pratique que la Kanaky – Nouvelle-Calédonie n’avait plus connue depuis les « événements » des années 1980 : le transfert de détenus indépendantistes dans les prisons de métropole. En prenant une telle décision, le juge des libertés, en lien avec le procureur de la République de Nouméa, Yves Dupas, signe un acte colonial d’un autre temps : le dernier cas similaire remonte à l’époque de la prise d’otages de la grotte d’Ouvéa, en 1988. « Une déportation politique ! » dénonce l’Union calédonienne, l’une des principales composantes du FLNKS, dont sont membres la plupart des militants arrêtés.

Sur les onze personnes interpellées et mises en examen, sept ont donc été déférées en métropole dans un avion spécialement affrété dans la nuit de samedi à dimanche, et disséminées dans plusieurs prisons. À commencer par Christian Bichou Tein, commissaire général de la CCAT, et deux femmes ayant des enfants en bas âge.

Le CCAT dans le viseur d’Emmanuel Macron

Tous sont issus de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), émanation d’une partie du mouvement indépendantiste, notamment l’Union calédonienne (UC) et l’Union des syndicats des travailleurs kanak et exploités (Ustke), créée en novembre 2023 pour mener la contestation au projet de loi constitutionnel instaurant le dégel du corps électoral aux élections provinciales sur l’archipel.

Des actions pacifiques, avec de grandes manifestations – jusqu’à la 60 000 personnes en avril dernier – avaient été menées, avant l’embrasement dès le 14 mai en raison du vote de ce projet contesté par l’Assemblée nationale. « Les responsables de la CCAT ne sont en rien des commanditaires d’exactions mais aujourd’hui des martyrs de la justice coloniale. Tout ce qu’ils ont fait est d’organiser depuis plus de six mois les manifestations pacifiques contre le dégel du corps électoral », avance l’Union calédonienne.

Sans surprise, la Kanaky – Nouvelle-Calédonie s’est à nouveau embrasée dès l’annonce de ce transfert. Dans la nuit de dimanche à lundi, de nombreux barrages ont été érigés à Dumbéa, où les locaux de la police municipale ont été incendiés, et Païta, en banlieue de Nouméa, ainsi que dans plusieurs quartiers de la capitale.

Des affrontements ont eu lieu entre militants kanak et les forces de police venues de métropole, dont les effectifs sont désormais de plus de 3 000 sur l’archipel. Sur l’île de Maré, la brigade de gendarmerie a été également ciblée par des manifestants. Les révoltes s’étendent désormais à l’ensemble de l’archipel.

Pour la CCAT, « l’État français et sa justice néocoloniale veulent réduire toute la mobilisation pacifique et la révolution qui s’est déclenchée le 13 mai au soir à des actes de terrorisme ». L’exil d’insurgés kanak s’inscrit dans une longue tradition coloniale, comme le rappelle l’UC : « Cette décision démontre que les juges et l’État français n’ont rien appris de l’histoire (…). La déportation de responsables et de militants est une habitude mise en œuvre par la France dès la prise de possession de 1853. »

Les sept prisonniers ont fait appel, mais leurs avocats ne se font guère d’illusions. À une semaine des élections législatives, la France s’enfonce dans un conflit colonial d’un autre âge.

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Source: https://www.humanite.fr/politique/colonialisme/letat-francais-na-rien-appris-de-lhistoire-en-kanaky-la-deportation-de-sept-independantistes-ravive-la-revolte

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