À Avignon, une « impressionnante mobilisation » a permis l’élection de l’antifa Raphaël Arnault. (Mediapart – 09/07/24)

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Victoire de Raphaël Arnault candidat LFI pour le Nouveau Front Populaire aux élections législatives 2024 à Avignon. © Jérôme Rey / La Provence via MAXPPP

Par Cécile Hautefeuille

Élu député dans la 1ère circonscription du Vaucluse, le militant antifasciste Raphaël Arnault a empêché le RN de faire carton plein dans le département. Parachuté, présenté partout comme « fiché S » – ce qu’il assume – et en concurrence avec un dissident, il s’est imposé en plein Festival d’Avignon. Une victoire qu’il doit un peu au festival et beaucoup aux militant·es.

vignonAvignon (Vaucluse).– Alpaguer, sourire, dérouler ses arguments pour séduire et se faire remarquer face à la concurrence. À Avignon, au lendemain du second tour des législatives, les tractages de rue continuent mais n’ont plus aucun rapport avec le scrutin. Les compagnies de théâtre sont désormais les seules à militer pour leur paroisse, dans la frénésie du Festival « off » d’Avignon et de ses 1 600 spectacles.

De rares stickers « Nouveau Front populaire » s’aperçoivent encore près des remparts, à la sortie de la gare. Mais dans la citadelle, chaque mur, grillage, poteau ou gouttière est recouvert d’affiches de spectacle, aux titres et répertoires aussi divers que variés. Les esprits taquins pourraient y voir quelques références à l’actualité de la veille : « J’assume »« J’ai rien à dire »« Tous egos »,« On va s’aimer », sont placardés au mur par les compagnies, qui jouent gros en tentant de se faire une place dans le off.

La veille, la Cité des papes aussi a joué gros. Dans la première circonscription du Vaucluse, intégrant les villes Rassemblement national (RN) du Pontet et de Morières-lès-Avignon, elle a renversé le RN et sa députée sortante. Et empêché l’extrême droite de faire un grand chelem dans le département. « Le petit point rouge au milieu de tout le RN, c’est nous ! », s’est félicité Raphaël Arnault, le vainqueur, en postant la carte du Vaucluse sur le réseau social X.

Candidat Nouveau Front populaire (NFP) investi par La France insoumise (LFI), il a battu la RN Catherine Jaouen avec près de 55 % des suffrages exprimés. Au premier tour, Raphaël Arnault était deuxième, dix points derrière la sortante, qui récoltait 34,6 %. Malgré son étiquette NFP, rien n’était gagné d’avance pour le jeune homme de 29 ans. Parachuté dans le Vaucluse – il est de Lyon –, fondateur de l’organisation antifasciste la Jeune Garde et fiché S, selon une information diffusée d’abord par les médias de la sphère Bolloré et reprise partout depuis. « Raphaël Arnault le fiché S » est devenu son patronyme dans toute la presse. S’il dit « assumer », le nouveau député concède auprès de Mediapart que cette étiquette lui a parfois pesé.

Europe 1, propriété de Bolloré, a également révélé que Raphaël Arnault avait été condamné pour violences en réunion en 2022 à Lyon, pour avoir plaqué contre un mur un homme, soupçonné d’être un identitaire. Une information confirmée par le média indépendant StreetPress, dans un portrait fouillé du jeune Lyonnais.

« On pensait qu’il n’avait aucune chance »

« C’était inimaginable qu’un mec avec une telle réputation puisse gagner », commente Philippe Pascal, candidat évincé au premier tour des législatives, après avoir terminé troisième (18,27 % mais 11 % des inscrit·es). Sa candidature de gauche, dissidente, et soutenue par presque toute la baronnie locale, était une épine supplémentaire dans le pied de Raphaël Arnault. Étiquetée « Front populaire du Vaucluse », elle a aussi semé le trouble chez les électrices et électeurs, « qui ne savaient plus pour qui voter », s’agace une militante de Raphaël Arnault.

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Grilles, murs, poteaux, gouttières… à Avignon, tous les espaces sont recouverts d’affiches de spectacles du « off ». © Photo Cécile Hautefeuille / Mediapart

« Ce n’était pas simple, confirme Carlos Acha Moretón, secrétaire général de l’union locale CGT. Le problème des doubles candidatures, c’est que ça laisse un petit flou. Mais nous, on a suivi la ligne nationale du syndicat, qui est de se battre pour le programme du Nouveau Front populaire. Pas pour un nom, pour un programme. »

Prolixe et sans langue de bois, Philippe Pascal s’explique sur sa dissidence : « La maire d’Avignon [Cécile Helle, Parti socialiste – ndlr] m’a demandé d’y aller, parce qu’on était persuadés que Raphaël Arnault n’avait aucune chance. » Le candidat déchu l’affirme sans rougir : « Au fond de moi, j’étais sûr de gagner. Je suis issu de la société civile et j’ai un vrai ancrage local. » Il évoque aussi ses engagements humanitaires, au Niger et à Gaza, où il s’est rendu en 2009 pendant l’opération « Plomb durci », la guerre de 2008-2009. « Si ça se trouve, moi aussi je suis fiché S pour y être allé ! », poursuit-il. Le point commun qu’il est certain de partager avec Raphaël Arnault, c’est l’antifascisme. « Mais on n’a pas la même façon de le pratiquer. »

Ancien inspecteur de l’Urssaf de 67 ans, Philippe Pascal doit sa notoriété à un événement qui a fait basculer sa vie, quand, dans les années 2010, il a engagé une procédure pour « travail illégal » contre François Mariani, alors président de la chambre de commerce et d’industrie du Vaucluse. Abandonné par sa hiérarchie, le fonctionnaire a dû mener un très long combat judiciaire face à l’influent notable, cousin de Thierry Mariani (RN).

Le nombre de personnes qui se sont mobilisées a été impressionnant. C’était incroyable, c’était beau à voir.

Léna, qui a milité pour Raphaël Arnault

Sur l’échiquier politique, Philippe Pascal a rejoint la Gauche démocratique et sociale de Gérard Filoche après avoir quitté La France insoumise en 2018, ce qui l’a empêché, pense-t-il, d’obtenir l’investiture du NFP. Voir arriver un jeune Lyonnais méconnu des Avignonnaises et Avignonnais l’a sidéré. « Généralement, le parachutage, ça ne marche pas ici ! En d’autres temps, Élisabeth Guigou et Bertrand Delanoë se sont fait jeter ! », lance-t-il, en référence aux échecs pour l’une à la mairie en 2001, pour l’autre à la députation dans les années 1980.

« Ce parachutage, ça a été très mal reçu », confirme Léna, 22 ans, une Avignonnaise ayant milité pour Raphaël Arnault. « Même mes parents, qui sont de gauche, me disaient : “Mais c’est qui ?” Tout le monde dans mon entourage pensait la même chose, ça bloquait vraiment. »

Étudiante en droit à Marseille, fille d’un propriétaire de deux théâtres à Avignon, la jeune femme s’est donc retroussé les manches pour battre la campagne et tenter de convaincre les électrices et électeurs. Et là, « quelque chose s’est passé », sourit-elle : « Le nombre de personnequi se sont mobilisées pour tracter et coller des affiches a été impressionnant. Les gens se sont engagés, un porte-à-porte géant s’est mis en place. C’était incroyable, c’était beau à voir. »

Cette « force de frappe » décrite par les militant·es, le dissident Philippe Pascal l’a aussi observée. « On n’a pas eu la même campagne !, reconnaît-il. Chaque jour, des centaines de jeunes débarquaient de tout le département à Avignon pour soutenir Raphaël Arnault. Ils avaient dix fois plus de force que nous. » « Le porte-à-porte a super bien fonctionné, abonde un militant CGT. Ceux qui faisaient campagne pour Raphaël Arnault sont entrés chez les gens et ont pu débattre du programme. Ça a permis aux habitants de s’apercevoir que leur intérêt n’est pas de contester en votant RN. »

Une mobilisation de terrain qui a aussi impressionné Raphaël Arnault, qui dit avoir vu une « candidature qui a bien pris », plus qu’un rejet de la députée sortante RN.

La bascule du vote des quartiers populaires

Finalement, tout ce qui pouvait sembler desservir le jeune candidat « lui a donné de l’élan et fait prendre la lumière »,souligne encore Philippe Pascal, parlant de « buzz médiatique », mais concédant que beaucoup ont « vraiment tenté de le démolir ». La séquence de l’échange tendu avec Gabriel Attal, interpellé à Avignon par Raphaël Arnault le 21 juin, l’a également étonné : « Ça lui a servi, on ne pensait pas ! »

Éliminé au premier tour, Philippe Pascal a rapidement annoncé son soutien au candidat du Nouveau Front populaire, tout comme la maire d’Avignon, qui n’a pas donné suite à nos sollicitations. « Elle a dû bien évaluer la situation pour lever toute ambiguïté sur son positionnement vis-à-vis du RN »,décrypte le politologue Emmanuel Négrier, directeur de recherche CNRS au centre d’études politiques de Montpellier.

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L’un des derniers vestiges de la campagne qui vient de s’achever : une affiche du Nouveau Front populaire sur les remparts d’Avignon, face à la gare. © Cécile Hautefeuille

Selon lui, le « profil LFI » de Raphaël Arnault « a dû désarçonner l’électorat de la gauche locale et une partie des centristes ». Le report des voix a tout de même bénéficié à Raphaël Arnault. « Je pense qu’au moins trois quarts de mes électeurs ont voté pour lui au second tour, estime Philippe Pascal. Sans doute moins concernant ceux de la candidate Ensemble. » Cette dernière n’a d’ailleurs donné aucune consigne de vote après son élimination.

« Ce qui fait la bascule au second tour, c’est le vote des quartiers populaires », analyse pour sa part Aurélie Créa, présidente de l’association du pôle LGBT Vaucluse: « Il y a eu un bon retour aux urnes, un regain de participation. » Léna, qui a tracté dans le quartier Monclar, partage cet avis : « Les gens qui galèrent se sont réveillés. »

Pour le politiste Emmanuel Négrier, c’est aussi la typologie de la circonscription qui a permis au NFP de l’emporter. « Le RN est dominant en péri-urbain, au Pontet et à Morières-lès-Avignon, mais il est rattrapé par la partie urbaine et la mobilisation des quartiers. » Il souligne enfin « les bisbilles au RN » local, rappelant que Joris Hébrard, le député élu en 2022 et maire du Pontet, a abandonné son siège après avoir fâché son parti en inaugurant une mosquée dans sa ville.

Un festival très politique

« Avignon tient bon, Avignon fait tenir la circo », se réjouit Aurélie Créa, qui précise s’exprimer à titre purement personnel. L’association qu’elle préside suit, elle, « une ligne apartisane » et n’invite pas « à voter pour untel mais à voter contre l’extrême droite ». Avignon résiste mais la Cité des papes n’a pas été épargnée par un déchaînement d’actes racistes et homophobes ces dernières semaines.

Le centre LGBT+ a été la cible d’un tag de l’extrême droite dans la nuit du premier tour, tout comme le siège de la CGT. Fin juin, c’est une boulangerie de la ville, employant un apprenti ivoirien, qui a été incendiée, avec des inscriptions racistes laissées sur les murs.

« Ils se sont sentis en force, clairement. Maintenant, qu’ils restent à leur place ! », lance Aurélie Créa, qui a vu dans ces tags une réelle menace. Le Festival d’Avignon, immense rendez-vous du spectacle vivant, fait aussi, selon elle, figure de repoussoir. « On est trop nombreux, ils ne viennent pas en ce moment. »

Pendant le festival, qui se poursuit jusqu’au 21 juillet, la ville est assaillie de touristes, d’amatrices et amateurs de théâtre et de compagnies venues de toute la France. Des concerts sont donnés à chaque coin de rue et on y croise, sans s’étonner, des artistes vêtu·es de toges, d’armures romaines ou grimé·es en pape. Si la 78e édition du festival « in » se déroule dans des lieux de prestige – la cour d’honneur du Palais des papes, le cloître des Célestins ou l’opéra –, le off occupe l’espace public, les petits théâtres ou des garages aménagés en salles de spectacle.

Le cru 2024 aura été très politique avec la campagne électorale. Une « Nuit d’Avignon » a ainsi été organisée, le 5 juillet, au Palais des papes « pour contrer l’inéluctabilité supposée de la victoire de l’extrême droite ».Prune Lichtlé, comédienne sur le off, en est persuadée : le festival a joué un rôle dans la bataille pour la circonscription. « J’ai senti que les gens étaient réveillés. Dans les tractages, on sentait une inquiétude et une envie de résister. Et surtout, ça a créé du lien social. »

On peut supposer que si l’élection avait eu lieu en novembre, la conscience des électeurs vis-à-vis de la culture aurait été moindre.

Emmanuel Négrier, politologue

Seule en scène et jouant le quotidien d’une infirmière dans un hôpital psychiatrique, Prune Lichtlé se produit à la Bourse du travail, siège des syndicats CGT transformé en théâtre le temps du festival. « Le théâtre est au premier chef un service public. Tout comme le gaz, l’eau, l’électricité », scande une grande banderole citant Jean Vilar. Ici, la programmation est engagée et sélectionnée par la CGT. Lettre d’un père à ses enfants handicapés, récits de colonisation ou retour sur 150 ans de mouvements ouvriers sont à l’affiche.

Dimanche 7 juillet, Prune Lichtlé a démarré son spectacle à 20 h 05 au lieu de 20 heures, le temps pour le public d’aller crier sa joie dehors, après les résultats. « C’était très joyeux et libérateur », raconte la comédienne, soulignant le danger du RN pour la culture.

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La Bourse du travail d’Avignon, siège des syndicats CGT, accueille des représentations politisées dans le cadre du festival off. © Cécile Hautefeuille

« On peut supposer que si l’élection avait eu lieu en novembre, la conscience des électeurs vis-à-vis de la culture aurait été moindre », affirme le politologue Emmanuel Négrier, qui a récemment publié dans The Conversation un article sur la place de la culture dans le programme du RN. Il précise toutefois ne pas avoir de « capacité divinatoire pour dire si le festival a eu une influence ou non sur le vote ».

Léna, qui a milité pour Raphaël Arnault, fait la moue quand on l’interroge sur ce point. « La culture et le théâtre, bien sûr, c’est toujours un peu politique. Et bien sûr que des choses ont été dites dans les théâtres. Mais cela reste de l’entre-soi. Les gens des quartiers, ils n’ont pas entendu tout ça car ils sont invisibilisés pendant le festival », s’agace la jeune femme. « Et l’Avignon que les Parisiens connaissent en juillet, ce n’est pas ça le reste de l’année, ce n’est pas ça le quotidien », conclut-elle.

Désormais, les électrices et électeurs de la circonscription regardent Raphaël Arnault faire son entrée à l’Assemblée nationale et être sans nul doute la cible de l’opposition, qui l’attend au tournant. Conscient d’être encore une cible pour ses engagements et sa fiche S, il assure qu’il sera « super calme » : « J’ai l’habitude de croiser des gens avec des couteaux ! Dimanche soir, trente militants d’extrême droite m’attendaient à la gare, il n’y a rien d’autre à faire que de rester calme. » Et de conclure : « Ce ne sont pas les fachos dans l’hémicycle qui vont me faire sortir de mes gonds. »

Source : https://www.mediapart.fr/journal/politique/090724/avignon-une-impressionnante-mobilisation-permis-l-election-de-l-antifa-raphael-arnault?at_medium=custom3&at_campaign=67

URL de cet article : https://lherminerouge.fr/a-avignon-une-impressionnante-mobilisation-a-permis-lelection-de-lantifa-raphael-arnault-mediapart-09-07-24/

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