Dans les pas des Brestois sous l’Occupation (LT.fr-30/07/24)

La visite des quartiers sombres du Brest d’antan est animée par Mireille Kervella (à droite). (Le Télégramme / Steven Le Roy)

Brest, ville détruite, c’est entendu et vérifié. Mais au juste, à quoi ressemblaient cette ville et ses habitants dans les années de fer et de feu ? Trois heures, dont une dans l’abri Sadi-Carnot, ne sont pas de trop pour le comprendre. Suivez le guide !

Par Steven LE ROY

1943. La date, impitoyable, gravée dans le mur semble regarder sans émotion l’entrée de l’abri Sadi-Carnot à ses pieds. Et pourtant. En entrant dans le boyau de l’enfer, nombreux sont celles et ceux qui sont gagnés d’un frisson, d’une courte étreinte, bref, d’une émotion. Voici plus d’une heure, sous un ciel bas et lourd, que la visite guidée dédiée à Brest pendant la guerre cavale dans les rues du centre-ville. Une heure, un peu plus, avant ce morceau d’histoire qui s’ouvre, béant, à deux pas de la porte Tourville, comme une invitation à la mémoire. « Avant, on entrait par le haut, près de l’école des Beaux-Arts et on descendait le grand escalier », souffle Mireille Kervella, la même guide que la veille. 154 marches que seule une quarantaine de personnes a pu gravir à temps avant que les portes ne se referment sur le sarcophage ardent de l’abri, ce 9 septembre 1944. Y périrent 337 Brestois en ce jour maudit, alors que le siège de la ville pour sa libération touchait presque à sa fin.

Dans le cœur de l’abri Sadi Carnot, un frisson se dégage.
Dans le cœur de l’abri Sadi Carnot, un frisson se dégage. (Le Télégramme / Steven Le Roy)

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Dans le fantôme de la ville engloutie

L’abri Sadi-Carnot est sans doute le symbole le plus étouffant de ce que fut Brest lors des années en enfer. Il est aussi le symbole de ce qui est resté debout après les bombardements alliés « incessants » et les alertes « continues » de presque cinq ans dans la nasse. Ce voyage dans une ville aujourd’hui fantôme est conduit par Mireille, nécessairement un peu plus grave que pour la visite générale de la ville. La profondeur de la visite s’ouvre rapidement. Le vacarme des travaux s’éloigne à mesure que les vestiges du temps, posés en plaques commémoratives çà et là, arrivent en escouade pour aider au souvenir, à l’imagination aussi. Imaginer entre autres, ce que les ducs d’Albe attendaient au pied de l’île ronde, ce cuirassé Bismark qui ne viendra pas, imaginer encore le grand hôtel Continental mangé par les flammes un soir de résistance et la panique des dignitaires nazis, ou apparentés.

Il est question de l’implication des USA bien sûr, mais surtout de l’abri de huit places situé sous le monument aux morts.
Il est question de l’implication des USA bien sûr, mais surtout de l’abri de huit places situé sous le monument aux morts. (Le Télégramme/Steven Le Roy)

La véritable histoire de l’amiral jardinier

Cette balade dans un Brest évanoui est aussi l’occasion de plusieurs hommages et anecdotes qui jalonnent le parcours, de l’hôtel de ville au musée des beaux-arts. L’occasion tout autant d’exhumer des patronymes et des petits bouts de lorgnettes, comme un certain amiral Philippon.

L’amiral Philippon a renseigné les Anglais sur les mouvements des bateaux ennemis. Il a fait partie de la Résistance sous le nom d’Hilarion

Ce dernier, haut gradé dans la Royale juste avant l’invasion, avait fait savoir avec tact à l’occupant qu’il pouvait toujours attendre la Saint Glinglin pour espérer un coup de paluche de sa part. Les nazis en avaient donc pris acte et relégué l’étoilé à l’entretien des parterres de fleurs devant le château. « Les occupants avaient oublié que l’amiral Philippon avait gardé des contacts dans la Marine. Il a renseigné les Anglais sur les mouvements des bateaux ennemis. Il a fait partie de la Résistance sous le nom d’Hilarion », explique Mireille en désignant une plaque presque cachée sur un rond-point près du château, rendant hommage à l’amiral.

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Des noms ressuscités

Des histoires de la sorte, il en pleut, lors de la promenade. Des noms surgissent au coin des rues, dans ce Brest outragé, ce Brest brisé, ce Brest martyrisé et ce Brest pas encore libéré. On y rencontre les ombres héroïques du groupe Elie, de Tante Yvonne et du couple Porzier. On y apprend les activités dissimulées et résistantes du café Gauvard, de la place Guérin. Et tant et tant : tant de souffrances, tant de prisonniers, tant de Onze Martyrs. Tant et si bien, qu’à l’heure de s’engouffrer dans le boyau mémoriel de l’abri Sadi-Carnot, ce sont déjà deux villes en superposition qui forment la carte mentale des visiteurs.

Le choc de l’abri

L’entrée de l’abri, près de la porte Tourville est toujours émouvante.
L’entrée de l’abri, près de la porte Tourville est toujours émouvante. (Le Télégramme/Steven Le Roy)

Dedans, maintenant. C’est autre chose. 260 m en apnée, dans le frais et l’humidité, 260 m de corridor où plus personne ne dit rien ou presque. Dans le groupe, pas de Brestois mais une immense majorité de Finistériens venus du sud ou de l’est du département qui découvrent ce lieu où des milliers de Zefs se sont massés pendant que le ciel leur tombait sur la tête. Mais même pour les rares Brestois ayant déjà arpenté le lieu, les explications de Mireille allument les derniers recoins d’obscurité. Là aussi, des silhouettes du passé se forment. Le dernier maire de Saint-Pierre, Victor Eusen, le père Ricard qui célébrait ses messes en haut de l’escalier. Au bout, les 99 visages anonymes peints par Guy Denning regardent pour l’éternité celles et ceux qui viennent ici comme pour apprendre et rendre hommage. Dans un coin de la tête, une mécanique convoque Prévert, et murmure « Oh Barbara, quelle connerie la guerre, qu’es-tu devenue maintenant sous cette pluie de fer, de feu d’acier de sang ».

Pratique

« Vivre et résister sous l’occupation », tous les mercredis jusqu’au 28 août. Départ de l’office du tourisme à 15 h. Inclus la visite de l’abri Sadi-Carnot. Tarif, 6 € et enfants de 6 à 17 ans, 4 €. Réservation obligatoire au 02 98 44 24 96 ou sur www.brest-metropole-tourisme.fr

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Source: https://www.letelegramme.fr/finistere/brest-29200/dans-les-pas-des-brestois-sous-loccupation-6635341.php

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