Duralex : afflux de commandes, embauches… les salariés voient le verre à moitié plein après le rachat par la Scop (H.fr-12/08/24)

Depuis le 1er aout 2024, l’entreprise française Duralex a été reprise par ses employés actionnaire. Après la décision de fermé l’usine au 24 avril, le directeur général François Marciano et ses équipes ont travaillé conjointement pour éviter le licenciement de 220 employés. © Julie Franche

Après que le tribunal de commerce a officialisé le rachat de Duralex par la Scop, le moral sur le site est au beau fixe. Les ouvriers sont optimistes de cette nouvelle page qui se tourne pour la mythique société, malgré quelques doutes.

Par Khalil Auguste NDIAYE.

« C’était maintenant ou jamais pour nous. » Ces mots du délégué syndical CFDT Suliman El Moussaoui résument l’esprit qui prévalait parmi les salariés avant la décision du tribunal de commerce d’Orléans. L’offre de société coopérative de production (Scop) semblait pour beaucoup de ces ouvriers être non seulement la solution pour sauver la verrerie française culte, mais aussi l’occasion de travailler d’une nouvelle manière, en dirigeant la société. Dix-huit jours après l’officialisation de ce rachat, l’optimisme est le maître mot à l’usine Duralex de La Chapelle-Saint-Mesmin (Loiret).

Dans son bureau, le directeur général François Marciano se souvient de la discussion avec le délégué CFDT où l’idée de Scop a été évoquée pour la première fois. « Je suis allé voir un repreneur potentiel dans le 16e arrondissement parisien. Quand il m’a présenté son offre qui incluait des coupes de personnel, ça m’a déjà fait tiquer. » Selon lui, le personnel en place a été dimensionné à la taille de l’entreprise, « de telle sorte qu’aller en dessous du nombre actuel serait mettre en péril l’outil ou les ouvriers ». Les autres offres de reprise proposaient également des casses sociales. Mais, ce qui a été le point de bascule pour le directeur général, « c’est quand le repreneur a parlé des femmes du service conditionnement. Il a vu qu’elles étaient payées 2 100 euros brut par mois et m’a dit : ”Ce sont de petites mains. Elles doivent être payées au Smic.” » Des mots qui ont fini de convaincre le directeur de site à l’époque.

Afflux de demandes de verres depuis la reprise, les salariés envisagent d’augmenter les effectifs

« Avoir l’idée, ça ne suffit pas », comme le rappelle Suliman El Moussaoui. « C’est un travail d’équipe. Nous n’aurions pas pu le faire juste entre nous, salariés. Et la direction n’aurait pas pu le faire sans nous. » Et parmi les employés, celle qui a, d’après le délégué syndical, « le plus poussé » pour cette solution, c’est la cheffe du service conditionnement, Laure Cerandon. « Dans mon atelier, nous sommes huit, explique-t-elle, des personnes proches de la retraite, des mères de famille, des personnes qui ne parlent pas très bien français. S’ils perdent ce travail, ils vont avoir énormément de difficultés à en trouver un autre. » Inquiets pour leurs postes, les ouvriers ont tout de suite adhéré à l’idée d’une Scop. Dans leur atelier, certains d’entre eux arborent même fièrement « Scop » sur leur gilet jaune de travail. Ils se disent « rassurés » maintenant que leurs postes ne sont plus en jeu.

Une ouvrière arbore « Scop » sur son gilet jaune de travail. © Julie Franchet

Le sentiment est partagé du côté de l’usine de production. Dans la chaleur des fours, les équipes sont réduites pour les vacances. Malgré cela, en huit heures, ils doivent produire plus de 45 000 verres. Mais, avec l’afflux de demandes de verres Duralex depuis la reprise, dont une augmentation de 300 % des commandes, les salariés envisagent d’augmenter les effectifs. Comme l’explique Suliman El Moussaoui, « nous voulons 30 nouveaux recrutements d’ici cinq ans et avoir deux à trois lignes de production dès janvier 2025 ». Pour Steven, mécanicien et conducteur de ligne, ce passage à des équipes plus nombreuses est bienvenu. « Ce qui est bien avec la Scop, c’est que déjà nous allons pouvoir investir au bon endroit. Nous savons en tant qu’ouvriers où mettre l’argent. » Surveillant les rangées de verres brûlants, l’homme, employé depuis dix-huit ans dans la boîte, explique ses raisons de tenter ce projet. « Quand tu gagnes 32 000 euros par an, tu te dis ”autant donner et éviter que la boîte coule”. » Parmi les 228 salariés de Duralex, ils sont plus de 150 du même avis que Steven.

Des commandes reçues du Danemark, du Royaume-Uni ou du Japon

Malgré cette popularité, la Scop Duralex ne réunit pas l’ensemble des salariés. Bien que l’intersyndicale ait voté à l’unanimité pour la Scop, Suliman El Moussaoui rappelle au détour d’une conversation avec un collègue que « près de 60 % sont encore dubitatifs. Ils n’ont pas envie de se lancer dans l’inconnu ». En outre, des questionnements sur la capacité de la Scop à perdurer ont été émis par les représentants de l’union départementale de la CGT. Des doutes que Laure Cerandon balaie, pleine de certitudes. « Ceux qui n’ont pas encore rejoint, ce n’est qu’une question de temps. Quand ils verront que leurs collègues touchent en plus de leur salaire une part sociale sans travailler plus d’heures, ils seront incités d’eux-mêmes à investir. » L’objectif affiché des ouvriers de « Duralex Scop SA » est que dans cinq ans, « tous les employés soient salariés actionnaires ». Pour ce faire, ils « envisagent (dès 2026) de spécifier dans le contrat des nouveaux recrutements qu’ils doivent devenir associés-salariés au bout de deux ans dans la boîte ».

Dans la chaleur des fours, les équipes sont réduites pour les vacances. Malgré cela, en huit heures, ils doivent produire plus de 45 000 verres.© Julie Franchet

Ces mesures ne sont qu’une partie de la nouvelle page que veulent écrire les nouveaux propriétaires de l’entreprise. À l’orée des 80 ans de Duralex, les travailleurs se projettent dans l’avenir. Comme l’explique François Marciano, « sous Pyrex, il y a énormément de produits qu’on a dû abandonner. Maintenant, nous pouvons nous positionner sur plusieurs marchés avec le savoir-faire bien connu de Duralex en verre trempé ». Le directeur général se targue des commandes reçues du Danemark, du Royaume-Uni ou du Japon. Pour lui, les difficultés financières qu’a connues la société sont dues aux actionnaires précédents. « Quand on vous prend 7 millions d’euros par an qui ne sont pas réinvestis, c’est compliqué de survivre. »

Il considère que si le tribunal de commerce a été convaincu par le projet de la Scop, c’est surtout grâce à leur capacité à tenir le plan financier et même « dépasser les objectifs déclarés assez rapidement ». Suliman El Moussaoui explique qu’ils vont réinvestir 75 % des bénéfices dans l’usine durant les trois premières années et sont capables d’être à l’équilibre dans ce laps de temps. Le défi est de taille, mais la mythique verrerie n’est pas la première entreprise française à sauter le pas de la Scop. En 2010, la célèbre marque de thé Fralib est menacée de fermeture. Après plusieurs années de lutte, 58 salariés de l’usine mettent en place un projet de Scop qui finit par sauver l’entreprise. Devenue Scop-TI, la marque perdure aujourd’hui encore dans le paysage français.

La Scop a recu le soutien de la candidate à Matignon Lucie Castets

Pour l’instant, la Scop Duralex n’en est, elle, qu’à ses balbutiements. Le projet a été mis en place avec l’aide de la Confédération générale des Scop et des Scic. Mais les travailleurs ont également bénéficié du soutien des élus locaux, le maire d’Orléans, Serge Grouard, et le président de la région Centre-Val de Loire, François Bonneau. « On a conclu un accord avec la mairie d’Orléans, qui va racheter les terrains et les bâtiments de l’usine, explique François Marciano, grâce à ça, nous n’aurons pas à payer les impôts et ça va nous alléger sur les premières années. » Il explique que par cet accord, la charge des impôts fonciers ainsi que de l’entretien des bâtiments du site reviendra à la commune et que « l’accord est signé et ne pourra pas être retoqué, même en cas de changement de maire ».

Dans le monde politique, la Scop a également le soutien de la candidate à Matignon Lucie Castets, qui a visité le site de l’usine le 31 juillet, quelques jours après l’officialisation du rachat. La représentante du NFP a évoqué son lien avec la marque française. « Duralex, c’est toute mon enfance, c’est regarder son âge au fond du verre à la cantine, c’est le bol de ma grand-mère dans lequel je buvais mon chocolat chaud. » Des souvenirs qui se retrouvent dans les messages de soutien de nombreux Français, nostalgiques des vaisselles Duralex à la cantine, à l’entreprise après l’annonce du rachat. En attendant leur première assemblée générale en octobre, les salariés croient dur comme verre en leurs chances de réussite pour la suite.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/duralex/duralex-afflux-de-commandes-embauches-les-salaries-voient-le-verre-a-moitie-plein-apres-le-rachat-par-la-scop

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