
Fille d’ouvrier, la normalienne de 29 ans veut mettre à profit ses travaux universitaires sur les planifications dans l’Hémicycle, où elle entend résoudre l’équation entre écologie et classes populaires.
Par Cyprien CADDEO.
Sale baptême du feu. Pour sa première semaine en tant qu’élue de la nation, Claire Lejeune aura eu le droit à une fake news et une campagne de harcèlement de l’extrême droite. Le 18 juillet, la nouvelle députée de l’Essonne monte à la tribune afin de prendre part au vote pour la présidence de l’Assemblée nationale.
Comme ses camarades insoumis et d’autres élus du Nouveau Front populaire, elle refuse, au nom du barrage républicain et du « cordon sanitaire », de serrer la main au député RN Flavien Termet, benjamin de l’Hémicycle, qui veille protocolairement au bon déroulement du scrutin.
L’extrait vidéo où elle apparaît figure parmi ceux retenus par la fachosphère. Le symbole est trop beau. Voici une normalienne, « intello parisienne », méprisant un député provincial, « fils de charcutier ». Sur les réseaux, le pilonnage commence, avec son cortège d’injures sexistes.
« Ça a été très violent, d’autant que je n’avais pas encore constitué d’équipe qui pouvait filtrer les messages. J’ai tout pris d’un coup, raconte Claire Lejeune. Évidemment, le cliché est parfait pour eux, et ils n’ont pas pris la peine de vérifier leurs informations… »
Transfuge de classe
Une rapide recherche aurait pourtant suffi. Née en 1994 à Juvisy-sur-Orge, dans la circonscription où elle vient donc d’être élue, Claire Lejeune a passé sa jeunesse au sein d’un foyer modeste, avec un père ouvrier électricien qu’elle a vu « arriver le corps cassé à la retraite » et une mère le plus souvent au foyer, à qui elle doit sa double nationalité franco-britannique. « J’ai grandi dans un mélange de quartiers populaires et de pavillonnaire, typique de la banlieue parisienne en première ligne face à la dégradation des services publics, relate avec le recul la jeune femme. La maternité où je suis née a été fermée. »
Pas vraiment le profil de « bête à concours » taillé pour enquiller lycée Henri-IV, ENS Lyon et Sciences-Po Paris. Pourtant, Claire Lejeune coche les cases prestigieuses, très consciente, en lectrice assidue de Bourdieu, d’être une « transfuge de classe » (comme le sociologue, d’ailleurs) : « Ça a été un choc, la découverte d’un autre monde. J’y ai vécu la violence symbolique d’être une fille d’ouvrier en classe préparatoire. » Un décalage qu’elle ressent aussi au Palais Bourbon : le temple du peuple a le marbre épais et les lustres clinquants.
Dans l’Hémicycle, elle fait partie du petit club des six députés universitaires du Nouveau Front populaire. Et entend mettre à profit les ressources théoriques de sa thèse, qu’elle doit mettre en pause (mandat oblige), consacrée aux planifications économiques. Elle a trouvé un siège à la commission qu’elle souhaitait, développement durable, et veut résoudre cette vieille équation posée à la gauche : réconcilier écologie et classes populaires.
Celle qui, pour être en adéquation avec ses idées, a opté pour le végétarisme et s’interdit de prendre l’avion refuse de stigmatiser ceux qui font le choix inverse. « On ne peut pas incriminer les comportements individuels, car nos décisions sont contraintes, développe-t-elle. On est tous pris dans des imaginaires capitalistes. Le chemin est long pour construire un récit alternatif. » Inutile de la lancer sur l’écoanxiété, terme piégeux qui « psychologise le débat » : « Une des victoires de l’écoféminisme, c’est justement d’avoir montré que nos émotions sont pleinement politiques. »
L’adieu aux Verts
C’est avec la crise migratoire syrienne que Claire Lejeune se politise, jusqu’à s’encarter, en 2017. Les écologistes seront sa première maison, où le maire Vert de Grande-Synthe Damien Carême devient un mentor. Secrétaire nationale des jeunes écologistes entre 2018 et 2019, elle incarne une des tendances les plus à gauche du parti, sur une ligne radicale de rupture et d’union de la gauche.
En 2021, la victoire de Yannick Jadot et sa course solo pour l’Élysée douchent les espoirs de Claire Lejeune. Début 2022, elle claque la porte d’EELV et rejoint la France insoumise : « Chez Jadot, je ne retrouvais pas la clarté qu’il me faut pour militer sereinement, sur la rupture avec le capitalisme. » La disciple de Damien Carême a cette fois pris les devants : ce dernier la rejoindra en 2024.
« J’ai trouvé mon point d’ancrage », estime-t-elle désormais en évoquant le parti de Jean-Luc Mélenchon, rejetant les accusations de manque de démocratie interne : « Au contraire, il y a une vraie culture collective, moins de délibérations, peut-être, mais une priorité à l’action. Une démocratie en actes. »
L’essentiel est pour elle de faire vivre le NFP en tant qu’alternative crédible. Car, en bonne amatrice de running – son secret pour déconnecter du flux médiatico-politique –, elle sait qu’elle se lance dans une course de fond, avec cette mandature qui pourrait s’écourter : « Il peut y avoir une dissolution dans un an. J’entre en campagne permanente. »
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