Feux de forêt : les hôpitaux face à une urgence inédite (reporterre-21/08/24)

L’hôpital Vista del Mar en Californie détruit par un feu de forêt, en 2017. – © Mark Ralston / AFP

Par Emmanuel CLEVENOL.

nfiltration de fumées dans les hôpitaux, plan d’évacuation datés, manque de formation à la pollution de l’air… Alors que les feux se multiplient, les systèmes de soin mondiaux doivent se préparer, selon une étude.

Les flammes étaient aux portes d’Athènes. Le 11 août 2024, en Grèce, les patients de deux hôpitaux, dont un pédiatrique, ont été transférés d’urgence loin du brasier. Une décision symbolique du manque de préparation de nos systèmes de santé aux incendies, qu’il s’agisse d’hôpitaux vulnérables à l’infiltration de fumées toxiques, de plan d’évacuation datés ou d’un manque de formation des soignants.

C’est ce que détaille un article publié dans la revue The Lancet Planetary Health, dans lequel une équipe internationale de chercheurs en politique, en médecine d’urgence et en santé mentale appelle à fortifier les systèmes de santé face à ces incendies.

Pour Jeffrey Tochkin, de l’université britannique de Sheffield, les directions des établissements de santé doivent anticiper – en amont des catastrophes – les scénarios d’évacuation des hôpitaux. En 2017, près de 900 patients et 700 professionnels du soin ont dû fuir en urgence dix-neuf cliniques devant l’avancée des flammes ravageant la Colombie-Britannique, au Canada. En 2023, l’évacuation de l’hôpital de Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, a impliqué la création d’un pont aérien militaire.

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Professeure à l’université de Calgary, la spécialiste en médecine d’urgence Courtey Howard est attachée à cet établissement : « Nous n’avions jamais anticipé cette éventualité, témoigne-t-elle. Notre plan de mise à l’abri sur place datait du XXe siècle. Et à l’heure où nous publions cette étude, Yellowknife est à nouveau envahie par la fumée. » Pour la chercheuse, préparer ces évacuations est aujourd’hui essentiel tant la tâche est périlleuse : il faut anticiper la perte de visibilité – due à la fumée et susceptible d’interrompre les déplacements aériens, la dégradation de la qualité de l’air dans les ambulances transportant des patients, les pannes électriques ou encore la rareté des stations de ravitaillement.

Besoin de formation sur la pollution de l’air

Les feux de forêt touchant principalement des zones rurales, où le personnel soignant restreint occupe divers rôles, beaucoup de médecins et d’infirmières ne disposent pas d’un enseignement suffisamment précis pour affronter ces crises : « La plupart des cursus médicaux n’ont toujours pas mis en place de formation sur le changement climatique et la pollution de l’air. Seuls quelques programmes à travers le monde l’abordent, écrivent les auteurs. Les professionnels de la santé ne savent donc pas comment conseiller leurs patients ou les décideurs politiques en ce qui concerne les risques sanitaires amplifiés par le climat, tels que les incendies de forêt et la fumée. »

« Notre plan de mise à l’abri sur place datait du XXe siècle »

Par ailleurs, les infrastructures hospitalières doivent être améliorées pour garantir une meilleure résistance aux fumées. Poussées par le vent, celles-ci peuvent parcourir plusieurs milliers de kilomètres. Il apparaît alors impératif, aux yeux des chercheurs, d’effectuer toutes les réparations nécessaires pour éviter qu’elles ne s’infiltrent via les systèmes de chauffage, de ventilation, de climatisation ou plus simplement les fenêtres et les portes. L’installation de capteurs de qualité de l’air devrait, aussi, être développée. « Toutes les vulnérabilités identifiées devront être mises à l’épreuve lors de simulations réalistes et régulières, organisées par des experts », conclut l’étude.

« Les incendies ne menacent pas seulement notre intégrité physique, prévient Ejemai Eboreime, du département de psychiatrie de l’université canadienne Dalhousie. Ils peuvent aussi marquer durablement notre paysage mental. » Dans les 3 à 6 mois suivant un incendie, les symptômes de stress post-traumatique peuvent concerner 24 à 60 % des adultes survivants. Pour les troubles dépressifs majeurs, le pourcentage avoisine les 30 %. Ces séquelles étant plus subtiles à déceler, les auteurs appellent notamment à l’intégration de l’éducation climatique et de la notion d’écoanxiété dans les programmes scolaires.

Décloisonner les disciplines

Au-delà de cet inventaire, les auteurs appellent la communauté médicale à oser s’emparer des questions politiques. Objectif : équilibrer la balance des négociations internationales sur le climat, où les lobbys des énergies fossiles surclassent les ONG, aussi bien en nombre qu’en influence. Au lendemain de la COP26 à Glasgow, plus de 80 pays avaient formulé l’ambition de bâtir des systèmes de santé à faible émission de carbone, durables et résistants au changement climatique. Deux ans plus tard, lors de la COP28 à Dubaï, 140 États avaient en outre signé un appel international baptisé « La Déclaration sur le climat et la santé ».

Malgré le consensus, la mobilisation du capital humain, politique et financier nécessaire à cette mise en œuvre se fait attendre. Les professionnels de santé pourraient par conséquent établir une stratégie de plaidoyer pour réclamer une nouvelle orientation des dépenses publiques, la création d’organes interministériels disposant d’une ligne de communication directe avec les décideurs ou encore la rénovation des logements des patients vulnérables.

« Nous devons briser les silos pour sauver des vies »

En d’autres mots, « nous devons briser les silos pour sauver des vies », écrit Attila Hertelendy, la première autrice de l’étude, rattachée à Harvard. Pour ce faire, les universités devront renforcer les incitations à travailler pour obtenir des avancées politiques réelles, et non se cantonner à la production de données et d’analyses.

Ultime point de vigilance : la justice climatique. L’Accord de Paris a inscrit dans le marbre la nécessité de contributions économiques d’une grande majorité des pays riches pour aider à financer l’adaptation de ceux ayant produit moins d’émissions mais qui en subissent les pires répercussions. Pourtant, aujourd’hui encore, ces pays-là conservent les systèmes de santé les moins aboutis pour affronter les aléas climatiques. Cette exacerbation des disparités, notamment provoquées par le colonialisme d’après les auteurs, doit aussi être combattue haut et fort par le secteur médical.

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Source: https://reporterre.net/Feux-de-foret-hopitaux-et-soignants-ne-sont-pas-prets

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/feux-de-foret-les-hopitaux-face-a-une-urgence-inedite-reporterre-21-08-24/

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