
Le Brestois Gildas Priol s’est fait une solide réputation sur les questions de la Résistance en pays de Brest. Pour cet iconoclaste de formation, le sujet est devenu une passion, et aujourd’hui son métier.
Entretien réalisé par Steven LE ROY.
Comment devient-on spécialiste de la question de la Résistance dans le pays de Brest sans avoir suivi un cursus académique ?
« C’est une passion qui est née au contact de mon grand-père, qui était Résistant, à Plougonvelin. Petit, j’ai été bercé par ses anecdotes sur la Seconde Guerre mondiale. Il les racontait de manière assez joyeuse, comme cet Allemand qui était tombé de cheval devant lui alors qu’il paradait. J’ai fait comme tout le monde, les plages de Normandie, les films… C’est en 2013 que j’ai « switché » véritablement. Je regardais avec lui une photo de son groupe prise en 1944 et je lui ai demandé ce qu’étaient devenus ses copains. Il m’a dit qu’ils étaient tous morts. Alors, pendant un an et demi, je suis allé le voir tous les dimanches pour l’interroger sur cette époque, aller sur les lieux de ses batailles. Je voulais écrire son roman mais aussi celui de ses pairs. Il fallait enquêter, aller voir les familles. Quand les retrouvailles ont pu être organisées avec les enfants de ses collègues, j’ai senti une véritable émotion des deux côtés. C’est un truc qui m’a vraiment plu ».
À lire sur le sujet Gildas Priol. Au nom du grand-père
Du coup, vous ne vous êtes pas arrêté là…
« Depuis de nombreuses années, je me suis mis en quête de collecter les 4 500 noms des FFI (Forces françaises de l’intérieur) brestois et de leur consacrer une fiche, à chacun. J’en suis à un millier environ. Les sources sont faciles, il existe des registres. Le problème, c’est de pouvoir humaniser chacun et chacune d’eux, de savoir ce qu’ils faisaient et ce qu’ils ont fait après la guerre. Je fais comme tout le monde au début : je vais sur internet, je fouille, je cherche les familles. Ce qui est cool aujourd’hui, c’est que cette entreprise est devenue visible et que maintenant, ce sont les familles qui me contactent pour me laisser une photo, un souvenir… Le site internet resistance-brest.net s’amende jour après jour ».
À l’heure de la célébration du 80e anniversaire de la Libération de Brest, que peut-on dire de cette Résistance brestoise ?
« Le plus important je pense, c’est qu’elle est multifacettes. Il y a des communistes, des gaullistes, des mecs qui veulent juste faire un truc, des hommes des réseaux. Les modes d’action sont aussi très divers. Rapidement après l’occupation de la ville, on voit fleurir des tags hostiles à l’occupant. Les principales activités sont le renseignement, l’exfiltration des aviateurs mais il n’y a que peu d’actions violentes. D’une part, parce qu’un attentat, c’est payé rubis sur l’ongle en représailles, mais aussi parce qu’il n’y a pas d’armes. L’idée est avant tout pour ces groupes de constituer une « armée des ombres » pour se structurer le jour d’un débarquement ».
À lire sur le sujet Gildas Priol fait vivre la mémoire de 1 000 Résistants
Il y a pourtant cette histoire où des communistes brestois sont exécutés en nombre, en Allemagne
« Oui. C’est une rafle qui fait suite à une tentative d’assassinat d’un policier français par des militants communistes. Le policier français, un Brestois, avait fourni un faux témoignage qui avait conduit à l’exécution d’un des leurs, Carlo de Bortoli. Ils vont vriller. Ils sont 19 à tomber, dont 17 Brestois. Seule Mimi Salou sera graciée. À cette heure, il reste trois personnes de ce groupe qui n’ont pas été décorées de la médaille de la Résistance française, à titre posthume. J’ai fait le dossier pour eux. Lors de la cérémonie du 19 septembre prochain, deux seront distribuées, le troisième dossier n’étant pas clos. On peut croire que c’est juste un ruban, pas pour moi. C’est une des deux distinctions créée par de Gaulle. Au revers, il est inscrit « Patria non immemor » (« La Patrie n’oublie pas »). Moi, ça me parle ».
Ce 80e anniversaire marque-t-il, pour vous, un tournant dans le temps ?
« Oui, indiscutablement. Nous sommes dans un basculement entre la mémoire et l’histoire. Nous allons rentrer dans le royaume des historiens, les témoignages sont des archives. J’estime que mener ce chantier mémoriel est important. Je me dis aussi qu’il serait peut-être temps pour moi de suivre un cursus universitaire, parce que je ne suis pas historien, je n’ai pas les titres pour m’en prévaloir. Pour l’heure, je travaille au musée de la Mémoire de Plougonvelin et j’ai créé récemment une petite boîte où je me définis comme « intervenant mémoriel ». J’interviens dans les écoles avec des objets, comme le casque blanc de la Défense passive, pour rendre l’Histoire palpable ».
À lire sur le sujet 80 ans de la libération de Brest : une mémoire de guerre en plaques de rue
Dans cette histoire de Libération, qu’est ce qui vous marque, vous ?
« Plein de choses bien sûr, mais il y a un événement sur lequel je voudrais réagir. On a souvent fustigé les Résistants et les FFI de la dernière heure. N’empêche. À Brest, ils n’étaient pas plus de 4 500 au moment où Middleton arrive aux portes de la ville. Au même moment, existe un film sur Ploudalmézeau qui vient d’être libérée et l’on y voit des jeunes hommes, des Brestois, en pleine forme, qui ne bougeront pas un petit doigt. Je ne les juge pas du tout mais je trouve facile de fustiger ceux qui ont pris les armes tardivement. Ces mecs, ils ont croché dedans, je pense qu’il faut les défendre. Il y avait avec eux un môme de 15 ans. Je ne préfère pas me souvenir du gamin que j’étais à 15 ans… ».
°°°
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/gildas-priol-la-resistance-brestoise-etait-multifacettes-lt-fr-17-09-24/