
La justice a commencé à étudier la plainte de huit ouvriers qui ont effectué des travaux de rénovation dans des conditions déplorables de logement, de travail et de sécurité.
Par Léa DARNAY.
Quand il se remémore son calvaire vécu en 2022 avec sept autres collègues, Rayane* a une formule simple : « C’étaient des conditions de travail horribles ». L’ancien travailleur sans-papiers et ses compagnons d’infortune ont connu l’enfer après avoir été recrutés pour rénover le château d’automne de Chambry, en Seine-et-Marne.
Assistés depuis par la CGT de Seine-et-Marne et son secrétaire général Patrick Masson, ils ont fini par porter plainte pour traite d’êtres humains contre leurs anciens patrons d’une même famille. Mardi 10 septembre, les huit hommes se sont retrouvés au Tribunal judiciaire de Meaux pour la première audience d’une procédure qui s’annonce exemplaire.
Repéré dans une zone industrielle, là où les entrepreneurs profitent de la situation des sans-papiers pour les embaucher à un salaire misérable, Rayane est engagé pour réaliser des travaux de maçonnerie. Aucune protection ne lui est donnée : ni casque, ni chaussures de sécurité. Pas question pour autant de ne pas exécuter les tâches toutes plus dangereuses les unes que les autres. Lors de l’été caniculaire de 2022, l’ouvrier passe plus d’un mois à nettoyer le toit au jet à pression, sans protection ni lien de sûreté, surveillé de près par un maître de chantier tatillon.
Un patron qui n’en est pas à son coup d’essai
Les heures supplémentaires sont fréquentes, mais les salaires ne suivent pas. « J’avais négocié 1 200 euros, mais finalement il me donnait ce qui l’arrangeait, parfois 900 euros, d’autres fois 1 000 », raconte Rayane. Et des congés payés ? « Jamais, répond-il. Le dimanche était le seul jour de repos de la semaine. »
Le château, dans un état désastreux, n’était pas habitable. Pourtant, Rayane l’affirme : « On était logé là où on travaillait ». Les ouvriers ont dû se débrouiller pour trouver des lits, des plaques de cuissons, des fenêtres et des fils électriques. « Le patron avait seulement installé un compteur », explique-t-il.
Dépourvu de chauffage, le logement qu’ils rénovaient possède des sanitaires dans un état abject d’insalubrité. Un dépôt sauvage d’amiante se trouve dans les bois du château, où les travailleurs ont dû plusieurs fois travailler à proximité. Qu’importe la santé. « Soit tu travaillais, soit tu dégageais », reprend Rayane.
« Si le problème était très grave, il nous laissait aller aux urgences, mais sans nous y emmener. » Un clou planté dans le pied ne constituait pas un motif de gravité : « Ce n’était rien d’après le patron. Mon collègue blessé s’est soigné tout seul. De toute façon s’il partait, il le virait. »
Les témoignages de ses collègues se ressemblent : conditions de travail indignes, conditions d’hébergements catastrophiques. Ce n’est qu’une part de ce qui est reproché aux employeurs poursuivis. Le père, la mère et leur fille sont accusés de délit au droit d’urbanisme, de travail dissimulé, d’exécution de travaux non autorisé par un permis de construire ou encore d’emploi d’étranger en situation irrégulière. Le patron n’en est pas à son premier procès : fraudes, escroquerie… Avec cette affaire s’ajoute la traite d’êtres humains, à propos de laquelle il risque jusqu’à 20 ans d’emprisonnement.
La prochaine audience a été renvoyée au 4 février 2025 à la demande des avocats de l’employeur, qui réclament un troisième défenseur et mettent en cause la réception tardive de certains documents. Mais l’Urssaf va elle aussi mettre à profit ce temps supplémentaire pour finir de chiffrer le manque à gagner en termes de cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales. Un renvoi qui arrange aussi les plaignants, puisque d’anciens salariés sans-papiers ont annoncé vouloir se constituer partie civile.
* Le prénom a été changé
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