
L’extrême droite bretonne attaque un élu de gauche, la bourgeoisie folkloriste accuse les antifascistes
En politique, rien n’est jamais acquis. On a longtemps pensé que la Bretagne était un territoire de lutte et de résistances, une région imperméable à l’extrême droite qui grimpait ailleurs en France. Il faut le reconnaître : ce n’est clairement plus le cas, comme en témoigne la flambée des scores du RN aux dernières élections, et comme le démontre la manifestation pour la réunification de la Bretagne, organisée à Nantes le 12 octobre.
Le péril nationaliste, en Bretagne comme ailleurs
Depuis de nombreuses années la réunification de la Bretagne est l’objet d’une grande manifestation à Nantes. Souvent organisé au début de l’automne, l’événement vise à réclamer l’autodétermination des peuples et conteste la centralisation du pouvoir mis en place en France par les jacobins. Rappelons que c’est le régime de Vichy qui avait séparé Nantes de la Bretagne, pour affaiblir et diviser ce territoire.
Cette mobilisation annuelle réunissait il y a encore quelques années des dizaines de milliers de personnes, c’était un grand rassemblement familial et populaire, avec de nombreux collectifs venus de toute la Bretagne historique, et parfois des actions festives contre l’hôtel de région des Pays-de-la-Loire.
Mais ça, c’était avant. En 10 ans, cette manifestation annuelle est passée de 30.000 participant-es – en 2014 – à quelques centaines seulement – en 2024. À présent, il s’agit d’une marche rabougrie et contrôlée par une poignée de réactionnaires.
Historiquement ancré à gauche, le mouvement breton est convoité par des groupuscules fascistes comme Adsav ou le PNB – Parti National Breton – ouvertement néo-nazi, et connu pour avoir collaboré avec les nazis pendant l’occupation. Une poignée de fanatisés, à peine 70, mais qui ont littéralement tué et torturé des résistants bretons pour le compte d’Hitler. Ces collectifs étaient encore marginaux il y a une dizaine d’années, ils se renforcent comme dans tout le reste de la France et passent régulièrement à l’acte pour s’affirmer.
En 2016, pour la première fois, les néo-nazis bretons avaient défilé presque tranquillement dans la ville. C’était un signal d’alarme. Pourtant, l’association “Bretagne Réunie” avait préféré se désolidariser des composantes de gauche de l’organisation de la manifestation. En 2017, une riposte antifasciste était annoncée, mais face au risque de déroute de l’extrême droite et de forte présence libertaire annoncée dans le cortège, “Bretagne Réunie” avait préféré annuler sa propre manifestation.
La culture avant la politique
Dans ce contexte, les manifestations pour la réunification de la Bretagne sont de moins en moins suivies, et surtout de plus en plus rares. La stratégie «apolitique» est un échec en terme de mobilisation.
Le 28 septembre dernier à Nantes une manifestation pour la réunification et l’autodétermination, appelée par la gauche anticapitaliste et internationaliste, a vu s’agréger les indépendantistes bretons et les soutiens aux peuples en lutte en Palestine, au Liban et en Kanaky. Cette manifestation déterminée, clairement antifasciste, a été boudée par Bretagne Réunie qui a préféré organiser son propre événement samedi dernier.
En réalité, Bretagne Réunie n’a jamais été apolitique : c’est une création de la droite bourgeoise, qui s’accommode beaucoup mieux du fascisme que des luttes émancipatrices. L’association réunit des patrons, des cadres supérieurs et des élus macronistes ou LR qui veulent une région puissante sur le plan économique.
La bretonnité de cette organisation se limite le plus souvent à un folklore culturel : le biniou est agréable à leurs oreilles mais parler d’anticolonialisme ou d’internationalisme l’est beaucoup moins pour eux. D’ailleurs le co-président de Bretagne Réunie, Alain Peigné, indiquait dimanche à Ouest-France que son erreur était de n’avoir «pas interdit tout drapeau politique».
Bretagne Réunie organise sa manifestation de droite
Samedi 12 octobre, Bretagne Réunie faisait donc sa propre manifestation, deux semaines après celle organisée par une vingtaine d’associations politiques et culturelles bretonnes. Cette fois-ci, des militants néo-nazis du PNB se sont joints à l’événement et ont défilé de façon très visible, derrière leurs drapeaux et banderole, comportant des logos reprenant ceux des milices collaborationnistes des années 1940. Ce parti réclame notamment le retour de la peine de mort, la création de milices armées ou la construction d’un mur contre les migrant-es en lisière de la Bretagne. Ce même parti s’est félicité sur Twitter d’un «accueil cordial» de la part de Bretagne Réunie, photo à l’appui.
À cette occasion, un élu municipal tendance gauche sociale-démocrate, Florian Le Teuff, a tenté de s’opposer à leur présence. Une réaction digne, mais qui n’aurait pas due rester isolée. L’élu a reçu des coups de poings, mais a continué à essayer empêcher la participation des nazis.
Du côté de la gauche bretonne, le parti Douar ha Frankiz témoigne : «Plusieurs personne sont allées les voir pour leur signifier qu’ils n’étaient pas les bienvenus et qu’ils devaient quitter le rassemblement, ce qu’ils ont refusé de faire».
Des personnes s’interposent donc et défendent Florian Le Teuff. Un cadre de Bretagne Réunie reçoit un coup dans la mêlée, par des «individus masqués avec des gants coqués». Loin de dénoncer les nazis, Alain Peigné le coprésident de l’association Bretagne Réunie dit avoir vu «trois mecs arriver, avec des masques de type black bloc. À mon avis, ils n’étaient ni de gauche ni de droite». Un homme sera arrêté par la police, mais il n’a finalement rien à voir avec l’altercation.
Le choix de la collaboration
Suite à ces agressions, Bretagne Réunie estime que le problème n’est pas la présence de nostalgiques d’Hitler dans sa manifestation, mais la présence de «drapeaux politiques» ou de la «violence des extrêmes».
Dans un communiqué lunaire, l’association s’en prend à «l’ultra-gauche», évoque l’histoire de la SFIO qui aurait basculé dans la collaboration, et tente ainsi de justifier son rejet de la gauche, mise sur le même plan que l’extrême droite. Beaucoup de circonvolutions pour ne pas dire ce qui devrait être une évidence : le problème vient des néo-nazis. Ne pas parvenir à se positionner face à la situation en dit long sur l’état de délabrement moral et politique de Bretagne Réunie, dans un contexte où l’extrême droite est aux portes du pouvoir.
Alain Peigné tient dans Ouest-France des propos encore plus troublants : «Je ne veux pas défendre les gars d’extrême droite, mais ils étaient assez pacifiques. L’extrémiste, pour nous, c’est celui qui cherche à empêcher les autres de s’exprimer. On est en démocratie». Pour Bretagne réunie, si dans les années 1930 des SS étaient venu à une manifestation bretonne, et que des résistants s’y étaient opposés, ils auraient pris le parti des SS ! Finalement pour cette association, les nazis ne posent pas de problème et ce sont les antifascistes qui sont les vrais fascistes. Bretagne Réunie continue à vomir son “apolitisme” de façade. Pour la prochaine manif ils tiendront l’extrême droite par la main.
Dans le même temps, Médiapart révèle qu’un festival breton programmé fin octobre près de Rennes afin de soutenir une école du réseau Diwan a invité un groupe de musique ouvertement raciste et misogyne.
La grande époque du renouveau culturel breton, des chanteurs populaires, de la rediffusion de la langue, des luttes sociales, écologistes et internationalistes en Bretagne s’éloigne. Retour au petit mouvement réactionnaire, étriqué et replié sur lui-même. Il y a pourtant un vrai enjeu, dans cette période de fascisation, à faire entendre la voix de territoires désobéissants, qui ne se résignent pas à un horizon funeste, qui font vivre des identités et cultures singulières et dénoncent l’État nation.
Mais la bourgeoisie et les “libéraux”, qu’ils soient bretons, français ou d’ailleurs, ont choisi leur camp : plutôt le fascisme que l’émancipation, plutôt Hitler que le Front Populaire. Le mouvement breton, comme le reste de la société française, se droitise à toute vitesse. Il est grand temps de tirer sur le frein d’urgence, pour que la Bretagne reste une terre de luttes sociales et d’accueil.
Source : https://contre-attaque.net/2024/10/15/bretagne-reunie-ou-la-collaboration-avec-lextreme-droite/
URL de cet article : https://lherminerouge.fr/bretagne-reunie-ou-la-collaboration-avec-lextreme-droite-ca-net-15-10-24/