« Contre-budget » du RN : le projet austéritaire, xénophobe et anti-écologique de l’extrême droite passé au crible (H.fr-18/10/24)

« C’est le RN qui tient les engagements de la Macronie », a avoué le député d’extrême droite, Jean-Philippe Tanguy.
© Eliot Blondet/ABACAPRES.COM

Derrière le discours d’un projet de « rupture » par rapport au budget proposé par le gouvernement Barnier, le RN reste en réalité sur la même logique libérale, saupoudrée de mesures démagogiques et de marqueurs de leur idéologie d’extrême droite.

Par Florent LE DU.

Comme un aveu, Jean-Philippe Tanguy, venu présenter le « contre-budget » de son parti mercredi à l’Assemblée nationale lâche : « C’est le RN qui tient les engagements de la Macronie », à propos de sa proposition de supprimer la CVAE (Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises). Une phrase plus conforme à la réalité du projet d’extrême droite que celle de son introduction : « Nous proposons un contre budget de rupture avec 50 ans de déficit. »

Avec ce « contre-budget », décliné en 130 propositions comme autant d’amendements déposés dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances (PLF), examiné dès lundi dans l’hémicycle, le RN compte peser dans un rapport de force qui lui est favorable. Depuis la nomination de Michel Barnier à Matignon, le gouvernement est à la merci de l’extrême droite qui ne manque pas d’user de la motion de censure comme menace pour avancer ces pions.

« Un alignement sur la logique néolibérale »

Un document chiffré, détaillé, qui tranche avec le manque de sérieux du groupe les années précédentes. Car, alors que la macronie a perdu toute crédibilité économique depuis la découverte d’un trou de 50 milliards d’euros dans les comptes publics par rapport à ce que prévoyait le ministère de l’Économie, le RN, qui veut se présenter en « parti de gouvernement » sent qu’il a un coup à jouer.

Mais derrière le discours de façade, ces mesures s’inscrivent dans la vision macroniste, libérale, du texte porté par l’exécutif. « Ce n’est pas réellement un contre-budget puisqu’il n’y a pas de remise en cause profonde de ce que propose Michel Barnier, avec une logique de soutien au profit, au patronat et, hormis quelques marqueurs, un alignement sur la logique néolibérale de la BCE », résume l’économiste Denis Durand, membre du conseil national du PCF et ancien directeur adjoint à la Banque de France.

26 milliards de coupes supplémentaires

Le parti lepéniste, qui depuis un an axe tout son discours économique sur la « réduction de la dette », veut aller encore plus loin dans l’austérité que le gouvernement et son projet à 60 milliards d’économies. Les députés d’extrême droite, dont le contre-budget revendique au total 13,4 milliards d’euros d’économies nettes supplémentaires, veulent s’attaquer encore davantage aux dépenses publiques, à hauteur de 26 milliards d’euros.

« Mais beaucoup de mesures qui selon eux permettent d’atteindre ce chiffre ne sont pas réalisables », note l’économiste atterré Henri Sterdyniak, citant notamment la réduction de 5 milliards de la contribution à l’UE, ou la baisse du financement d’un grand nombre d’agences « qui sont en fait utiles et dont l’activité ne peut être rayée d’un trait de plume ». C’est le cas des agences de transports, de l’eau, de l’habitat, de France compétence, de l’Office français de la biodiversité, dont le RN veut supprimer 20 % du budget (soit 3,4 milliards d’euros de coupes), ce qui affaiblirait considérablement les services de l’État dans ces domaines.

Le reste des économies se concentrent sur les baisses de dotations aux régions et aux EPCI. Pour les premières cités, Jean-Philippe Tanguy a laissé entendre que chacune devra trouver comment se débrouiller mais donne un exemple : « les subventions à des associations multiples dont l’intérêt reste à prouver ». Des subventions qu’à l’échelle nationale le RN veut réduire, pour 430 millions d’euros, dont 110 millions dans le domaine de l’écologie. « Ce sont des considérations faites pour flatter une partie de leur électorat mais qui seraient dangereuses, pour ces organismes bien sûr, et pour les régions qui seraient encore plus affaiblies, donc pour les lycées, les routes, les transports publics… », redoute Henri Sterdyniak.

La voix du Medef

Ces coupes drastiques, nocives pour les services publics, ne sont pas seulement proposées pour « empêcher la faillite de l’État », comme le suggère Jean-Philippe Tanguy. Elles viennent aussi compenser de nouveaux cadeaux faits aux entreprises. À court terme, le RN veut « rendre 5 milliards d’euros aux entrepreneurs » en supprimant la mesure réduisant des allégements de cotisations sur les bas salaires, et en supprimant la CVAE. Une ligne surprenante dans leur document – « interdire les publicités pour les opérateurs publics » – semble aussi tout droit sortie d’une note du Medef.

Le parti d’extrême droite veut s’afficher comme le premier parti de défense des chefs d’entreprise, ce qui l’a poussé, en septembre à leur dédier quasi exclusivement leur nouveau programme économique publié mi-septembre. 68 pages à la mise en scène soignée – illustrées par des photos de Marine Le Pen à la tribune du Medef – pour un document donnant une large place aux baisses des impôts de production. Tout en voulant « simplifier l’accès » aux cadeaux fiscaux, en particulier le crédit d’impôt innovation et le crédit impôt recherche.

Des niches fiscales sans contreparties et qui n’ont montré aucune efficacité. Sanofi, s’apprêtant à exporter la production de Doliprane, aurait d’ailleurs touché entre 2 et 2,5 milliards du crédit impôt recherche sur les dix dernières années… Autre cadeau fiscal auquel le RN veut ajouter du bolduc : le pacte Dutreil, dispositif qui permet aux patrons de céder leur entreprise à leurs enfants en payant peu d’impôts, que l’extrême droite veut élargir dans son « contre-budget ».

La baisse du « coût du travail » comme mantra

Mais pour attirer tous types d’électeurs, le Rassemblement national est aussi allé piocher à gauche une proposition forte : augmenter de 8 à 33 % la taxation sur les rachats d’actions. « Une bonne manière de faire un clin d’œil à un électorat populaire, de surfer sur une émotion sans s’attaquer réellement au fonctionnement du capital, interprète Denis Durand. Si la volonté est de peser sur le comportement des entreprises, ils proposeraient de revoir leur fiscalité, ou de freiner les politiques des groupes qui délocalisent leurs activités, c’est même plutôt le contraire. »

Sur ce point, le RN avale d’ailleurs la position du patronat : « Pour lutter contre la désindustrialisation il faut commencer par ne pas augmenter le coût du travail », soutient Jean-Philippe Tanguy. Leur principale mesure en matière de salaires consiste justement à faire baisser ce qu’ils nomment des « charges » (mais qui en réalité sont des cotisations, et donc du salaire différé), en espérant que cela se ressente sur la feuille de paie du salarié.

Ce qui n’empêche pas le RN d’axer son discours sur sa prétendue volonté de « rendre du pouvoir d’achat aux Français ». Plus de 20 millions d’euros de dépenses sont proposés dans ce contre-budget, reposant principalement sur la baisse de la TVA sur l’énergie et sur les produits de première nécessité. « Certaines propositions peuvent être intéressantes, c’est vrai, mais elles sont lâchées sans réflexion globale, sans remise en cause du système actuel, relève l’économiste. La TVA est certes un impôt injuste mais la baisser sans garde-fous peut créer un effet d’aubaine pour les distributeurs. Comme pour le rachat d’action, c’est un moyen pour eux de mettre en avant une défense du pouvoir d’achat tout en continuant de refuser l’augmentation des salaires. »

Contre l’écologie, la culture et les étrangers

D’ailleurs, lors des dernières législatives, Jordan Bardella et le RN avaient retiré de son programme la quasi-totalité de ses mesures touchant aux dividendes et aux multinationales. « En réalité, que ce soit dans leur programme économique ou dans ce contre-budget, il n’y a aucune mesure ciblée sur les plus pauvres », résume Henri Sterdyniak. Il y a en revanche des invariables dans le projet RN : une foule de marqueurs propres à l’extrême droite. Et c’est principalement sur ce volet que son budget se différencie de celui du gouvernement.

On trouve ainsi « des coupes dans le budget, évidemment, de l’immigration », sourit Jean-Philippe Tanguy, et plusieurs dictées par une certaine xénophobie, au chiffrage peu évident : réserver la prime d’activité aux personnes de nationalité française, enlever la dotation accueil des étudiants étrangers en licence, réduire drastiquement les aides au développement, interdire l’accès aux hébergements d’urgence aux sans-papiers…

Des propositions anti-écologiques : la suppression du plan vélo, la réduction du fond vert à autour de 500 millions d’euros, la baisse du malus automobile sur les véhicules polluants – profitant de facto aux plus aisés -, celle des aides aux bioénergies… Ou encore des atteintes à la culture avec 300 millions d’euros d’économies proposées, à la presse en baissant 100 millions d’euros des aides attribuées.

Un condensé d’extrême droite, assorti de propositions visant à manipuler l’opinion. Comme celle de « restaurer 2 000 postes d’enseignants » vendue par Jean-Philippe Tanguy. Un soutien à l’éducation national ?En réalité, il s’agit d’une restauration par rapport aux 4 000 que veut retirer le gouvernement : le Rassemblement national propose donc la suppression de 2000 postes d’enseignants. Loin de la « rupture » affichée, l’extrême droite marche dans les pas économiques de la Macronie et de LR. Et sera bien obligé de le révéler dans ses votes les prochaines semaines.

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Source: https://www.humanite.fr/politique/austerite/contre-budget-du-rn-le-projet-austeritaire-xenophobe-et-anti-ecologique-de-lextreme-droite-passe-au-crible

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/contre-budget-du-rn-le-projet-austeritaire-xenophobe-et-anti-ecologique-de-lextreme-droite-passe-au-crible-h-fr-18-10-24/

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