
Une grève illimitée a démarré, ce jeudi 17 octobre 2024, à l’appel de la CFDT et de la CGT contre la cession de la branche santé grand public de Sanofi à un fonds états-unien. Sur son site de l’Oise, les travailleurs militent pour préserver la production de l’antidouleur et les emplois.
Par Samuel EYENE.
Compiègne (Oise), envoyé spécial.
Les braises n’ont pas tardé à être attisées. Une fois la fumée du barbecue dispersée, les salariés aux chasubles orange s’empressent de récupérer de quoi se sustenter. Les paquets de chips s’ouvrent. Les odeurs de merguez se mêlent à celle de l’herbe mouillée.
« Moi aussi je peux avoir un sandwich ? » demande un des grévistes du jour. « Quel est le mot de passe ? » répond une collègue taquine. Les crépitements du brasero accompagnés de rires fugaces laissent à penser qu’une kermesse s’est improvisée devant le site de production de médicaments de Compiègne. Ce serait oublier que les Sanofi ne sont pas à la fête et que la CFDT et la CGT les ont appelés à un mouvement de grève national et reconductible pour s’opposer à la cession attendue à CD & R, fonds américain, de la branche médicament grand public.
Des salariés inquiets pour leurs emplois et pour l’accès au médicament
Ce jeudi 17 octobre marque donc le premier jour de la riposte. « Tant que Sanofi poursuivra son projet de restructuration, nous, salariés, continuerons à nous mobiliser », assure Adrien Mekhnache, délégué syndical central adjoint CFDT à Compiègne.
C’est sur ce site – avec celui de Lisieux – que se réalise le conditionnement du Doliprane en France. « Nous en produisons ici entre 20 et 30 %. Mais aussi des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur. Imaginez donc que nous passions sous pavillon américain. Ce serait tout un pan du secteur médical qui basculerait en priorité sur les marchés financiers outre-Atlantique », s’inquiète le syndicaliste, arrivé en 2014 dans l’entreprise.
Devant l’entrée de l’usine, les chasubles orange de la CFDT règnent en maîtres. Aucun des autres syndicats présents sur le site (FO et CFE-CGC) n’a rejoint la mobilisation du jour. « Ils attendent de voir comment se passe la suite des négociations », glisse un gréviste anonyme. De fait, interviewée par RTL, la présidente de Sanofi France, Audrey Duval, a tenté d’étouffer le début de l’incendie dans la matinée en garantissant la « pérennité des emplois et des sites et du Doliprane dans les pharmacies ». Mais les grévistes ne sont pas convaincus.
Le fonds américain pourrait se trouver en position de force
En cas de cession, ils exigent de l’État participe au nouveau tour de table contrôlé par CD & R en détenant entre 3 et 4 % du capital via Bpifrance, la banque publique d’investissement. « Ce serait une bonne façon, pour l’exécutif, de garder la main sur Opella », estime Thierry, 36 ans, technicien en fabrication.
La dernière fois qu’il a participé à une mobilisation, c’était en 2004, lors du rachat du groupe pharmaceutique anciennement Aventis par Sanofi. Le voilà replongé dans de lointains souvenirs.
Pour l’heure, la multinationale française a confirmé être entrée en négociations exclusives avec le fonds américain CD & R pour lui céder la moitié de sa filiale santé grand public, Opella. « Mais, en réalité, elle nous a annoncé qu’elle compte vendre 50 % de ses parts et accorder un membre de plus à CD & R au conseil d’administration. Le fonds serait alors majoritaire pour prendre des décisions », confie le trentenaire aux lunettes carrées qui craint de perdre ses conquis sociaux.
« Je suis triste de voir le tournant entrepris par la société »
À quelques pas, Valérie, technicienne qualité depuis plus d’une vingtaine d’années sur le site et représentante de la CFDT, partage aussi son inquiétude. « Il est rare de voir notre syndicat organiser une grosse mobilisation. Ça en dit long sur l’importance de notre lutte », livre-t-elle.
« Je suis ici depuis longtemps. Ce sont au départ les valeurs portées sur la santé des patients qui m’ont convaincue d’y travailler. Je suis triste de voir le tournant pris par la société », se désole la mère de famille. Malgré les sourires, l’inquiétude reste la même d’un salarié à l’autre : la crainte de ne pas savoir à quelle sauce ils seront mangés, avec la venue d’un actionnaire étranger.
Pour autant, la cession à CD & R ne semble pas jouée. Également désireux de mettre la main sur le Doliprane, le fonds français PAI Partners, dont l’offre n’avait initialement pas été retenue par le conseil d’administration de Sanofi, aurait formulé une nouvelle proposition au géant pharmaceutique. De quoi être « le mieux disant financièrement », selon une source proche de PAI citée par l’AFP. Ce n’est cependant pas du goût de Sanofi qui a jugé « surprenant qu’une offre révisée soit rendue publique » hors « des délais ».
Pour les salariés, cela ne réglerait de toute façon pas le problème. « PAI Partners n’a de français que le nom. Il va s’adosser à des partenaires émiratis et singapouriens, et je suspecte que cette association ne se fasse qu’en échange de certaines garanties sur la rentabilité de la branche santé grand public », considère Adrien Mekhnache, délégué syndical adjoint CFDT.
C’est pourquoi, malgré le crachin, les grévistes tiennent tête à leur direction. Et des personnalités politiques ont affiché leur solidarité avec les salariés, dont le député et fondateur de Picardie debout, François Ruffin, venu rappeler à quel point une vente d’Opella « serait un échec pour la souveraineté industrielle française ».
°°°
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/sanofi-a-compiegne-levee-de-boucliers-contre-labandon-du-doliprane-h-fr-17-10-24/