La morale élastique du ministre de l’intérieur (CA.net-22/10/24)

Le 17 octobre, le député insoumis de Nantes était arrêté à Paris alors qu’il achetait de la drogue à un dealer mineur. L’affaire a été révélée quatre jours plus tard par le journal d’extrême droite Valeurs Actuelle, trop content d’épingler la France Insoumise, provoquant sans surprise une surenchère médiatique.

Le député concerné, Andy Kerbrat, publiait dans la foulée un communiqué pour présenter ses excuses et évoquer ses problèmes d’addictions. Des sujets importants qui méritent d’être mis sur la table, comme la pénalisation de certaines drogues alors que d’autres, autant voire plus dangereuses, sont légales. En premier lieu l’alcool, problème de société et de santé publique, qui détruit des vies et des familles, mais qui est un lobby intouchable en France.

On pourrait attendre plus de sérieux de la part des rares représentants de gauche, grassement rémunérés pour cela, dans un contexte de fascisation généralisée et de guerre génocidaire à l’international. Toutefois, cet épisode sans réelle gravité a été instantanément instrumentalisé par la droite et l’extrême droite.

Et sur le podium de l’hypocrisie, on trouve le Ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, qui a tweeté : «Alors que le narcobanditisme s’installe en France avec son cortège de violences, il n’est pas tolérable de voir un député de la République acheter des drogues de synthèse à un dealer de rue. Un député a un devoir d’exemplarité. M. Andy Kerbrat doit tirer les conséquences de ses actes».

Ce Ministre issu de l’extrême droite vendéenne aura donc lancé en quelques heures seulement un appel à la démission du député Insoumis pour un gramme de drogue. Mais en un an, il n’aura pas fait un seul tweet sur son ami et camarade Joël Guerriau, sénateur de droite de Loire-Atlantique, qui a drogué une députée pour tenter de la violer. Pourtant, contrairement à son collègue, Andy Kerbrat n’a mis en danger personne en dehors de lui même.

Revenons sur cette affaire. Âgé de 66 ans, le politicien Joël Guerriau est un pur produit de la droite du pays nantais. Il a été maire de la commune de Saint-Sébastien-sur-Loire, au sud de Nantes, avant d’être sénateur de Loire-Atlantique affilié au parti Horizon d’Édouard Philippe. Un poste très bien payé qu’il occupait depuis 2011. Il était aussi vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées au Sénat, et a reçu de nombreuses médailles. Sur son temps libre, il publie des livres pour enfants, comme «Le terrible secret de Fergie» paru en 1992. Très à droite, Guerriau dénonce régulièrement l’ultra-gauche, défend l’ordre et a même présidé une commission contre la drogue.

En 2016, le sénateur avait déjà fait parler de lui après avoir posté une photo de pénis en gros plan sur Twitter, accompagnée d’un message sérieux défendant… son copain Bruno Retailleau ! Les coïncidences sont parfois troublantes. Le sénateur avait à l’époque prétendu qu’il avait été «piraté».

Le 15 novembre 2023, Joël Guerriau a été placé en garde à vue pour des faits gravissimes. Il est accusé d’avoir «administré à une personne, à son insu, une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes pour commettre un viol ou une agression sexuelle». Une infraction punie de cinq ans de prison et 75.000 euros d’amende.

La victime, la députée Sandrine Josso, invitée chez le sénateur, s’était sentie mal après avoir pris un verre. Des prélèvements dans son organisme ont révélé la présence d’ecstasy. Drogue qui a été trouvée au domicile de Guerriau lors de la perquisition. Le sénateur a également été testé positif aux stupéfiants, «des traces d’amphétamines, d’opiacées, de cannabis, de cocaïne, de méthadone et de MDMA ont été trouvées dans le sang du parlementaire». Un sacré cocktail pour un représentant de la bourgeoisie catho-réac’.

Lors de sa garde à vue, le sénateur s’était justifié en parlant de «problèmes personnels», dont la mort de son chat, pour expliquer la présence d’ecstasy chez lui. Lunaire. Mais la justice avait fait preuve d’une grande clémence, et s’était contenté d’un petit contrôle judiciaire. Certains font de la prison préventive pour bien moins que ça. Quant au camp politique de Guerriau, rappelons qu’il réclame en permanence des peines plus lourdes, et dénonce le prétendu «laxisme» de la justice.

Il y a quelques semaines, une enquête journalistique a révélé qu’avant la soirée au cours de laquelle Sandrine Josso a été droguée, le sénateur a recherché sur Google : «Drogue et viol», «effets de l’ecstasy ghb» ou encore «achat ghb», «GHB effets lendemain», «point de vente GHB»… ll y avait bien préméditation. Ces informations font froid dans le dos, et font évidemment écho aux viols aggravés commis par Dominique Pélicot et ses complices sur son ancienne épouse, à Mazan.

Suite à ces nouvelles révélations, alors qu’il était déjà suspendu de son parti et de son groupe parlementaire, Guerriau a annoncé qu’il ne siégerait plus au Sénat «jusqu’à nouvel ordre», acceptant de «se mettre en retrait de ses fonctions». Mais il garde probablement ses généreuses indemnités.

Ce sénateur n’est pas le premier arrêté pour de tels faits. En février 2022, Laurent Bigorgne, un proche ami de Macron, était arrêté pour avoir drogué une de ses collègues à son insu dans l’objectif d’obtenir un rapport sexuel. Laurent Bigorgne est dans le premier cercle du président : directeur d’un lobby ultra-libéral, «l’Institut Montaigne», il fait partie des fondateurs de LREM. Il a hébergé le mouvement de Macron à son domicile personnel dès 2016 et a écrit une grande partie du programme présidentiel.

Laurent Bigorgne avait fini par reconnaître avoir «drogué sa collaboratrice après avoir lui-même consommé de la cocaïne» alors qu’il lui avait précédemment envoyé des SMS à connotation sexuelle. Les éléments étaient accablants. Laurent Bigorgne avait même avoué qu’il avait drogué sa propre compagne, qui s’était réveillée en pleine nuit avec une grande soif et avait dit s’être «sentie mal, bizarre». Ces faits n’ont fait l’objet d’aucune poursuite ni investigations supplémentaires. Là non plus, on n’a pas entendu Bruno Retailleau et ses camarades monter au créneau.

Il en a toujours été de même avec la droite réactionnaire, qui adore donner des leçons de morale et parler “d’exemplarité” en couvrant les actes les plus condamnables au sein de son camp.

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Source: https://contre-attaque.net/2024/10/23/la-morale-elastique-du-ministre-de-linterieur/

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