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Le premier ministre veut imposer 5 à 10 milliards d’euros d’économies aux collectivités locales. Asphyxiés, les édiles de tous horizons politiques dénoncent une purge.
Par Margot BONNERY.
Des écharpes tricolores peintes en noir débordent des cartons. Maires et élus de la France entière les ajustent à leurs épaules. Photo de famille. Un geste d’union, à l’occasion du 106e congrès des maires, à Paris, pour exprimer leur colère face au plan d’économies prévu par le gouvernement, qui pourrait se chiffrer à plus de 10 milliards d’euros. « Les prochains gilets jaunes pourraient être des écharpes tricolores ! » lançait le président de l’Association des maires de France, David Lisnard, en ouverture du congrès.
Michel Barnier était donc prévenu. Ce jeudi, pour sa venue, un attroupement se forme à l’entrée de l’auditorium de la porte de Versailles. Le premier ministre s’avance à la tribune dans un silence de mort, fusillé du regard par certains maires. « C’est assez motivant de se dire que l’on peut partir demain », tente d’ironiser le locataire de Matignon, alors que l’hypothèse d’une censure à l’Assemblée nationale est toujours d’actualité.
Après quelques blagues et la promesse de ne pas s’attaquer aux communes, le premier ministre tente de rassurer les collectivités : « Je voudrais renverser ce sentiment d’être sous tutelle. Avec vous, pas sans vous. » S’il ne cesse de répéter que les territoires ne sont pas responsables du déficit de la France, Michel Barnier les invite à « faire mieux avec moins d’argent, pour des services publics plus efficaces ».
Puis, l’ex-commissaire européen dédouane son gouvernement « en place depuis seulement deux mois » et le projet de loi de finances, rédigé « en quinze jours », rejetant la responsabilité de l’austérité sur les précédents gouvernements. Quand le premier ministre rabâche comme un mantra le respect entre l’État et les communes, son auditoire pouffe.
« Quel respect ? Michel Barnier explique être à nos côtés mais ne parle nullement de retirer son projet de loi, souffle un élu à voix basse. Et en plus, il envisage de remettre en chantier le statut d’élu avec une réforme, dont on ne sait pas si elle sera votée à l’Assemblée nationale. » Michel Barnier quitte le congrès dans la soirée, mais les inquiétudes restent. Les élus n’ont obtenu aucune garantie d’un retrait du projet de loi de finances, ni du volet concernant les collectivités.
Le congrès des inquiétudes
Pendant les trois jours du congrès, les colères se sont pourtant vivement exprimées. « Si nous continuons à être méprisés, ce sera la fin de l’État et de la nation ! » tonne David Lisnard – le maire LR de Cannes évite toutefois de se mettre en porte-à-faux et d’incriminer sa famille politique, qui porte à l’Assemblée le projet de loi de finances. Dans le dernier rapport de l’Association des maires de France (AMF) et du Cevipof, seuls 27 % des maires estiment avoir obtenu « la reconnaissance de l’État » et de ses services – un signe de la défiance qui s’est installée.
Dans les allées du congrès, chacun trimballe ses inquiétudes quant à l’avenir de sa ville, avec à l’esprit l’horizon des futures élections municipales, en 2026, pour lesquelles le nombre de candidats s’effondre. Entre la baisse des dotations publiques et le fait d’être à « portée de baffes » d’une population de plus en plus en colère, beaucoup jettent l’éponge et l’écharpe – surtout en ruralité. Selon un sondage de l’AMF, 47 % des maires ont envisagé de démissionner au cours du mandat entamé en 2020.
Certaines municipalités bricolent pour remédier aux restrictions budgétaires actuelles et à venir. Ali Moussa Moussa Ben, maire de Bandrélé, à Mayotte, donne l’illustration lunaire de ce système D. Dans sa ville, face au manque de places dans les écoles et aux listes d’enfants en attente de scolarisation, a été mis en place un dispositif de rotation de classes. « Nos urgences méritent d’être écoutées et solutionnées », gronde le maire du Mouvement pour le développement de Mayotte (MDM).
Charlotte Blandiot-Faride, maire PCF de Mitry-Mory (Seine-et-Marne), abonde : les gouvernements et leurs budgets austéritaires successifs nuisent directement à la population, selon elle. « L’été dernier, on nous a promis de recruter plus d’AESH pour les enfants handicapés. Force est de constater que, depuis la rentrée scolaire, ce n’est toujours pas le cas. Alors ce sont des charges qui nous incombent, illustre la communiste, car nous ne pouvons pas laisser un enfant seul à la cantine alors qu’il doit être accompagné, c’est inconcevable. »
« Le gouvernement affaiblit les services de proximité pour la population »
S’ajoute à ce serrage de ceinture général la crise des centres communaux d’action sociale (CCAS). Selon les récents chiffres du Secours populaire français, près de deux Français sur trois se disent touchés par la précarité. Or, avec la dématérialisation des services publics, beaucoup des usagers des CCAS restent hors course, alors que de nouveaux besoins voient le jour.
Personnes âgées, étudiants et salariés au Smic peuvent désormais y avoir recours et, face à des moyens en baisse, les problèmes s’accumulent, notamment dans la gestion des dossiers de la CAF, ce qui entraîne des complications et du ressentiment social.
Face à ce constat, devant le palais des congrès, les élus communistes distribuent des tracts pour alerter les maires. « Non aux économies sur le dos des collectivités et des services publics ! scande Nicolas Langlois, maire de Dieppe (Seine-Maritime). Pour ne plus subir, nous devons entrer en résistance et passer à l’action. » Le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, se tient à ses côtés.
« Le gouvernement affaiblit les services de proximité pour la population », constate-t-il. L’ex-candidat à la présidentielle défend le communisme municipal, qui a pour particularité de « développer beaucoup de services publics sans nécessairement augmenter les impôts ».
Tel est le cas « des cantines au quotient familial, de l’investissement dans le sport ou dans la culture… Ces choix de programmes sont mis à mal par des budgets restreints et les communes restent sous la tutelle du gouvernement sans liberté d’agir », constate Fabien Roussel. Et de rappeler Michel Barnier et ses prédécesseurs à leurs responsabilités : « Les villes ne sont pas fautives : contrairement à l’État, leurs budgets sont votés à l’équilibre. »
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