Réhabilitation de l’impôt, majorité minoritaire, alliance Barnier-RN… ce que nous apprend l’examen du budget (H.fr-22/11/24)

Les macronistes, la droite républicaine et le Rassemblement national ont convergé pour débouter les conquêtes fiscales du Nouveau Front populaire. Prochaine étape : le Sénat… © Telmo Pinto / NurPhoto via AFP

L’Assemblée nationale a rejeté, en première lecture, la partie recettes du projet de loi de finances 2025. Si la gauche a pu gagner des points dans la bataille idéologique grâce à ses amendements, le RN est venu au secours du gouvernement Barnier.

Par Gaël De SANTIS.

Dépassés par la gauche lors des travaux législatifs sur le budget de la nation, les députés macronistes, LR et leurs homologues d’extrême droite ont fini par s’unir pour rejeter la partie recettes du projet de loi de finances (PLF) 2025. Ce faisant, ils ont confié les clés du camion au gouvernement et au Sénat, en plus de se priver de la possibilité de se prononcer sur le volet dépenses du budget.

Le 12 novembre, par 192 voix pour, 362 contre, les députés ont rejeté le texte et envoyé directement – dans sa version gouvernementale initiale – le PLF 2025 au Sénat. Les bataillons du camp présidentiel, du groupe de la Droite républicaine de Laurent Wauquiez, ainsi que les élus Rassemblement national de Marine Le Pen se sont ainsi entendus pour repousser les conquêtes fiscales du Nouveau Front populaire, qui a néanmoins marqué des points dans le débat public. Quant à Michel Barnier, il envisage de plus en plus sérieusement d’utiliser le 49.3 pour in fine passer en force.

L’impôt n’est plus un tabou

Éric Coquerel, président de la commission des Finances de la chambre basse, a salué, au terme de l’examen des amendements, ce qu’il appelle un « budget NFP-compatible ». Au total, 75 milliards d’euros de recettes supplémentaires ont été ajoutés à la copie remise par le gouvernement au moyen d’amendements de la gauche, mais pas seulement.

Ainsi, la taxe sur les superprofits est bien venue de la gauche, mais s’appuie aussi sur la bataille menée sur le sujet depuis 2022 par Jean-Paul Mattei, ancien patron des députés Modem. Un amendement du socialiste Philippe Brun visant à pérenniser la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, qui concerne 23 000 foyers, a été voté. La mesure initiale, qui devait s’éteindre en 2026, était le fait… du gouvernement Barnier, quand bien même « Les Républicains » se sont illustrés ces dernières années par le refus de toute hausse d’impôt. De même, des mesures contre l’évasion fiscale ont été prises.

Pour résumer : l’impôt est peut-être de gauche, mais à droite on n’est plus aussi fermé à le voir augmenter qu’auparavant. Au-delà, le NFP a su montrer qu’il est possible de trouver de l’argent, à condition de savoir dans quelles poches fouiller. Avec ses mesures fiscales ciblées sur les grandes entreprises et les plus riches, « la gauche, et je le déplore, est en train de remporter la bataille idéologique », gémissait le 29 octobre dans « l’Opinion » le député macroniste Charles Sitzenstuhl.

Une « majorité » minoritaire et divisée

L’examen du budget à l’Assemblée a fait apparaître un fort malaise chez les troupes qui soutiennent le gouvernement Barnier. Bien souvent vides, les bancs du « bloc central » ont fait figure de fossé central entre la gauche et la droite. On a ainsi vu des membres du camp présidentiel défendre seuls leurs amendements. Les troupes de Gabriel Attal, patron du groupe Ensemble pour la République, ne se sont pas senties concernées par le projet de budget concocté à la va-vite par l’exécutif de Michel Barnier, nommé très tardivement par Emmanuel Macron pour conjurer une accession de la gauche au pouvoir, en septembre.

Il n’y a de plus pas eu de réelle coordination entre le camp présidentiel et la Droite républicaine de Laurent Wauquiez. Résultat, le « socle commun » – ainsi sont appelés les députés soutiens du gouvernement – est devenu ce que le député écologiste Benjamin Lucas-Lundy a appelé dans les débats un « disloque commun ».

Alors que pouvait s’imaginer un retour du parlementarisme, avec un Parlement divisé en trois blocs, en matière budgétaire, cela n’a pas été le cas. D’une part parce que la Constitution autorise l’exécutif à garder la main sur les textes budgétaires. D’autre part parce que la droite n’a pas voulu se mobiliser contre les amendements de gauche. Faute de vote dans les temps, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) a été transmis au Sénat, sans les amendements adoptés, au nom de l’article 47.1 de la loi fondamentale.

Pour le PLF, le travail des députés a lui aussi été sabré, et il sera « probablement » fait usage de l’article 49.3, a prévenu Michel Barnier. Résultat, les échanges ont pu paraître erratiques du fait du manque de pilote. « On voit bien que le parlementarisme rationalisé de la Ve République, tel que le règlement de l’Assemblée nationale l’organise, n’est pas adapté à un système où il n’y a pas de majorité et où un gouvernement n’organise pas la conduite des débats », analyse Harold Huwart, député Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot).

Un Rassemblement national qui tient en laisse Michel Barnier

Dans la bataille d’amendements, le RN a maintes fois joint ses voix à celles de la droite et la Macronie face aux propositions venues de la gauche. Logiquement, quand est venu le moment du vote sur la partie recettes, ses élus ont joint leurs voix à celles de la Macronie. Pour défendre cette attitude, le député RN Matthias Renault a campé une posture d’opposant, mettant en cause « la gestion catastrophique des finances publiques par Emmanuel Macron, qui a ruiné le pays par une politique de chèques, une politique du ”quoi qu’il en coûte” », accusant l’exécutif d’« augmenter les impôts pour tous, sans en avoir l’air ».

Il estime que la Macronie et la droite ont « sciemment laissé la gauche augmenter les taxes jusqu’à l’absurde », avant de se porter à leur secours, s’alignant avec eux pour défendre les intérêts des plus riches et des multinationales, ce qui en dit long sur l’orientation politique et la stratégie de l’extrême droite.

Jordan Bardella, président du RN, vient d’ailleurs de sortir un livre, « Ce que je cherche », dans lequel il souhaite, dans la suite de Nicolas Sarkozy, réaliser « l’indispensable jonction (…) entre la classe populaire et une partie de la bourgeoisie conservatrice » et agréger au bloc nationaliste « les orphelins d’une droite plus orléaniste », à savoir celle d’Emmanuel Macron et François Bayrou.

En soutenant à bout de bras le gouvernement de Michel Barnier, en attaquant les mesures de gauche, l’extrême droite cherche de fait à s’accréditer auprès d’une bourgeoisie qui a de plus en plus de mal à maintenir son hégémonie perdue à coups de mesures de casse sociale. Quant à la Macronie, elle s’est réjouie de voir le budget amendé par la gauche être repoussé grâce à l’extrême droite. Soit une situation inédite dans toute l’histoire de la Ve République.

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Source: https://www.humanite.fr/politique/article-49-3/rehabilitation-de-limpot-majorite-minoritaire-alliance-barnier-rn-ce-que-nous-apprend-lexamen-du-budget

URL de cett article: https://lherminerouge.fr/rehabilitation-de-limpot-majorite-minoritaire-alliance-barnier-rn-ce-que-nous-apprend-lexamen-du-budget-h-fr-22-11-24/

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