
Dans le Vaucluse, le versement du RSA est désormais conditionné à 15 heures hebdomadaires de « remobilisation vers l’emploi ». Un dangereux non-sens pour les paysans qui le touchent et en dépendent pour vivre.
Par Pierre ISNARD-DUPUY & Anthony MICALLEF (photographies).
Saumane, Pernes-les-Fontaines, Le Beaucet, Mazan (Vaucluse), reportage
À quelques encablures du très touristique site de Fontaine-de-Vaucluse, Nathalie Wouters, 54 ans, s’accroche pour continuer de cultiver ses plantes aromatiques. Principalement des roses, mais aussi de la verveine ou de la sauge sclarée. Ce 12 novembre, coiffée d’un bonnet turquoise, la paysanne irradie de son optimisme, lors de la visite de la parcelle d’un peu plus d’un hectare qu’elle loue sur la commune de Saumane-de-Vaucluse.
Son humeur tranche avec sa situation professionnelle compliquée. Elle a lancé son activité en 2021, et pour l’heure, elle dépend du RSA et de l’épicerie solidaire locale. « Mes 400 euros, c’est juste pour manger », dit Nathalie Wouters, qui préférerait vivre de la vente de ses produits bio.

Et voilà que le département de Vaucluse menace de lui retirer son RSA si elle ne s’inscrit pas dans un « contrat d’engagement réciproque ». Elle serait contrainte à 15 heures par semaine de formation et de mise en situation professionnelle, et cela sur six semaines. Sans quoi son revenu serait suspendu.
Comme Nathalie Wouters, 150 foyers paysans dépendent du RSA dans le département, selon la mutualité sociale agricole (MSA) Alpes-Vaucluse, l’organisme qui gère les prestations sociales des agriculteurs. Selon la loi « pour le retour au plein emploi » promue par le gouvernement, ce conditionnement du RSA est actuellement en expérimentation dans quarante-sept départements et deviendra obligatoire pour tous les bénéficiaires en France à partir de janvier 2025.

Ce « dispositif de remobilisation positive », tel que le présente le Département dans un courriel à Reporterre, prévoit quatre premières semaines « d’ateliers collectifs et d’entretiens individuels autour, notamment, de la confiance en soi, des techniques de recherche d’emploi, de l’intégration dans l’entreprise ». Puis les deux dernières semaines à « une mise en situation en milieu professionnel ou à un parcours de formation ».
Objectif du Département : « une baisse des allocataires »
Le Vaucluse, cinquième département le plus pauvre de France métropolitaine, compte 15 100 personnes au RSA. Dans sa réponse à Reporterre, l’institution assume de rechercher un « retour sur investissement à long terme », qui se traduirait par « une baisse des allocataires ».

« On me propose de faire des ménages alors que je suis déjà en activité. J’ai autre chose à faire. Je suis en train de préparer les marchés de noël », déplore Nathalie Wouters qui travaille déjà plus de 45 heures par semaine. En plus de la culture, elle transforme elle-même ses plantes en hydrolats et eaux florales. Son besoin : du temps pour pérenniser son activité.
« Il faut que mes rosiers poussent pour que je puisse répondre à toute la demande que j’ai », explique-t-elle. Les Biocoop de la région, mais aussi un chef étoilé ou encore un spa de Gordes, prestigieux village du Luberon, l’ont sollicitée.

La Confédération paysanne et l’association Solidarité paysanne dénoncent les nouvelles règles et apportent leur soutien aux agriculteurs touchés. Les deux organisations ont interpellé le gouvernement pour que les agriculteurs soient sortis de cette forme de « RSA conditionné ». En vain.
« Il n’y a pas d’autre solution pour les agriculteurs »
« La réponse a été : il n’y aura pas de cas particulier », expose Julie Peyrot, médiatrice rurale à Solidarité paysanne Provence-Alpes. « À part le RSA, il n’y a pas d’autre solution pour les agriculteurs qui démarrent et qui ont un problème de revenu », affirme pourtant Laurent Thérond, coporte-parole de la Confédération paysanne 84.

Parfois ce sont des accidents de vie qui poussent des paysans déjà installés depuis plusieurs années à demander le RSA. Sous son chapeau de cow-boy et sa barbe fournie, Jean-Christophe Raffin, 59 ans, a fait une demande de RSA après s’être séparé en 2019. Il a dû quitter la ferme de sa compagne et racheter du matériel agricole.
Il est désormais installé dans un mas agricole au confort sommaire, loué à prix d’ami à Pernes-les-Fontaines. Ses transformations de plantes aromatiques et médicinales issues de ses cultures bio et de ses cueillettes sauvages sont vendues sur place, dans des commerces locaux et sur les marchés.

Jean-Christophe Raffin a vécu sa convocation pour le conditionnement du RSA comme un couperet sur son espoir de sortie de galère. « Je voulais partir » — comprendre mettre fin à ses jours —, pose-t-il sans détour.
« On se donne corps et âme tous les jours et on vient nous dire “vous êtes fainéants” »
« C’était un entretien des plus humiliants, se remémore de son côté Nathalie Wouters à propos de son entretien individuel. Mon interlocutrice était un pitbull en mode guerrière. Elle a essayé de me forcer à l’arrêt du RSA. On n’a absolument pas parlé de mon activité. » De retour chez elle, « pendant trois jours j’étais au fond du lit. Je me suis dit, soit tu plonges soit tu te bats », raconte-t-elle.
« On se donne corps et âme tous les jours et on vient nous dire “vous êtes fainéants, allez faire des ménages” », dit avec colère Sarah Vigogne, 46 ans, à la tête d’un centre équestre et d’un élevage de malinois à Mazan. Faute d’avoir participé à certaines des journées d’ateliers, car occupée auprès de ses animaux, Sarah Vigogne s’est fait couper son RSA depuis octobre.

Idem, depuis cet été, pour Florian Morel, producteur de semences paysannes et maraîcher sur sol vivant au Beaucet. « J’ai répondu que je n’irais pas travailler. J’ai déjà un travail », dit-il calmement en cueillant des graines de ricin.
« Tous les gens qui ont le RSA en ont besoin »
Pour le quadragénaire, « le problème dépasse l’agriculture. Je pense que tous les gens qui ont le RSA en ont besoin. Quelle que soit la raison : parce que ce sont des femmes seules, des personnes en situation de handicap… peu importe. Le gouvernement considère qu’il y a des secteurs en tension dans lesquels veut forcer les gens à être au boulot. Ce que chacun veut faire dans sa vie, ça n’existe pas pour lui. »

Suite aux interpellations des organisations agricoles, le Département a décidé d’expérimenter la gestion des « contrats d’engagement » des agriculteurs par la MSA. Cela devrait être effectif en janvier 2025. La forme et le contenu de ce que mettra en place la MSA sont « en cours de discussions techniques », précise Céline Argenti-Dubourget, la directrice de la MSA Alpes-Vaucluse.
Injonction à la viabilité
Elle imagine des solutions pour « lever les freins sociaux, comme les problèmes de garde d’enfants ou de santé ». Et puis de s’associer avec la chambre d’agriculture pour « mettre en place des accompagnements sur l’écoulement des productions ou la diversification. »
Une injonction à la viabilité des exploitations agricoles est toujours exigée. « L’objectif du Département est d’aider les personnes à avoir une activité qui leur rapporte assez pour ne pas les contraindre à recourir dans la durée aux minima sociaux », écrit la présidente Dominique Santoni dans un courrier à la Confédération Paysanne 84, que Reporterre a consulté.

La pression mise par le nouveau dispositif pourrait inciter nombre d’exploitants agricoles à ne plus chercher à obtenir le RSA. Selon une enquête de Reporterre menée en 2023, plus d’un agriculteur français sur dix était bénéficiaire d’une allocation de solidarité : RSA et prime d’activité. Et déjà, le taux de non-recours à ces prestations sociales était estimé entre 50 et 60 % par la MSA.
Pour Laurent Thérond de la Confédération paysanne 84, « les agriculteurs en difficultés devrait être bénéficiaires d’une aide officielle, pas du RSA ». Le syndicat reste en alerte au sujet de l’adaptation mise en place par le Département. Son coporte-parole met en garde, dans le contexte de mouvement social des agriculteurs qui redémarre : « Ce n’est pas le moment de nous emmerder, parce que ça va bouger. Il n’est pas exclu que l’on s’invite au conseil départemental. »
°°°°
Source: https://reporterre.net/On-me-demande-de-faire-des-menages-la-reforme-du-RSA-fragilise-les-paysans
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/on-me-demande-de-faire-des-menages-la-reforme-du-rsa-fragilise-les-paysans-reporterre-23-11-24/