
Le Parlement va examiner une loi spéciale pour poursuivre les dépenses publiques « indispensables » en l’attente d’un nouveau budget. Mais il n’est pas garanti que celles liées à la transition écologique en feront partie.
Entretien réalisé par Fabienne LOISEAU.
Pour 2025, la France n’a pas de budget. Le projet de loi de finances (PLF) 2025 qui était en discussion a été abandonné suite à la démission du gouvernement Barnier. En attendant que le nouveau Premier ministre François Bayrou forme un gouvernement et relance un projet de loi de finances, l’État a recours à une loi spéciale. C’est la seconde fois seulement au cours de la Vᵉ République.
Cette loi est examinée lundi 16 décembre en séance publique à l’Assemblée nationale, puis le 18 décembre au Sénat. Elle va permettre à l’État, aux administrations et collectivités de continuer à fonctionner en attendant l’adoption d’une loi de finances pour 2025. Mais cette situation quasi inédite laisse les collectivités territoriales dans l’incertitude, notamment sur les projets liés à la transition écologique, nous explique Nicolas Garnier, délégué général d’Amorce, l’association nationale des territoires engagés dans la transition écologique.
Reporterre — Le gouvernement démissionnaire a présenté une loi spéciale pour « assurer la continuité de la vie nationale et le fonctionnement régulier des services publics ». Quelles vont être les conséquences pour les collectivités locales ?
Nicolas Garnier — Le problème de la loi spéciale, c’est qu’on a beaucoup de mal à savoir ce que seront les dépenses « indispensables » [pour poursuivre l’exécution des services publics], telles que le prévoit la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
L’idée, c’est un fonctionnement par douzièmes : on reprend les budgets de l’année dernière qu’on divise par douze et, chaque mois, on finance l’Agence nationale de l’amélioration de l’habitat (Anah), l’Agence de la transition écologique (Ademe), le Fonds vert, etc. Si on retenait cette option, ça sous-entendrait qu’on appliquerait cette règle du 1/12ᵉ sans tenir compte de la notion de service indispensable qui est dans la LOLF.
Il y a une autre option qui est beaucoup plus dangereuse, qui fait un peu peur à tout le monde : le ministère de l’Économie déciderait en son âme et conscience ce qui est un besoin essentiel, un service indispensable. Or, il pourrait très bien dire : « Pour nous, les énergies renouvelables, la gestion des déchets… ce n’est pas essentiel. Donc on ne verse pas les crédits pour le moment. » Je bataille avec Bercy depuis maintenant 25 ans et je sais que l’écologie, ce n’est quand même pas toujours leur tasse de thé.
Malgré tout, je pense qu’il va y avoir une convergence de vue de tous les acteurs pour qu’il y ait une forme de continuité. D’autant que des engagements ont déjà été pris. Si on prend l’Ademe, elle s’est déjà engagée contractuellement, par exemple, à verser de l’argent dans les prochains mois à telle ou telle collectivité locale pour faire son réseau de chaleur. L’État ne peut pas dire « non, vous n’êtes pas prioritaires ». Il pourrait y avoir des recours au Conseil d’État, au Conseil constitutionnel, sur la définition de ce qui est indispensable ou pas.
Le projet de loi de finances 2025, tel qu’il était proposé avant la chute du gouvernement, était quand même loin d’être favorable à la transition écologique.
Oui, dans ce budget, le grand perdant, c’était la rénovation énergétique des bâtiments publics puisque le Fonds vert était réduit de plus de 60 %. Le dispositif MaPrim’Rénov aurait aussi potentiellement été touché. Même si, pour Amorce, la question est surtout comment redimensionner celui-ci de manière à ce qu’il oriente vraiment vers des solutions vertueuses. Nous estimons qu’on a indécemment aidé ces cinq dernières années les pompes à chaleur air/air et air/eau alors qu’il s’agit d’appareils avec un très mauvais rendement énergétique.
« On a le sentiment que l’État s’assoit complètement sur son ambition d’économie circulaire »
L’autre perdant, c’était le Fonds pour l’économie circulaire, piloté par l’Ademe. Il était question de diviser les crédits presque par deux par rapport à l’année dernière, de 300 à 160 millions d’euros. On a le sentiment que l’État s’assoit complètement sur son ambition d’économie circulaire, et sur la loi Agec, sur la capacité à financer, par exemple, la collecte des biodéchets à la source.
Plus d’aide non plus pour le développement des solutions de valorisation énergétique des déchets résiduels sous la forme de combustibles solides de récupération. Ça fait quatre ans qu’on attend les fonds pour créer ces unités de production. On attendait aussi des aides sur la modernisation des déchetteries. Là encore, pas d’aides prévues.
Quelles sont les mesures budgétaires que vous aviez défendues ?
On a beaucoup bataillé pour sauver le Fonds chaleur, dédié au financement des réseaux de chaleur urbaine. Son budget précédent était de 820 millions d’euros. Il a failli se retrouver à 400 ou 500 millions, ce qui aurait été une catastrophe. Il termine finalement à 800 millions, très proche de l’année d’avant. Sauf que ce ne sera pas suffisant.
Pour financer tous les projets en stock, l’Ademe aurait besoin de plus de 1,3 milliard d’euros. Elle a donc choisi de réduire le niveau d’aides de chaque projet. Sinon, elle aurait été obligée de dire non à un certain nombre de collectivités locales qui voulaient proposer des solutions de chaleur renouvelable à leurs habitants.
« Réhabiliter la fiscalité écologique »
Selon nous, c’était aussi le moment de réhabiliter la fiscalité écologique, même si on était dans une séquence difficile budgétairement. Plutôt que de demander encore plus aux gens qui payent déjà beaucoup, on aurait pu demander à ceux qui ne financent rien qu’ils contribuent à l’effort de guerre au regard du principe pollueur-payeur, cher à Monsieur Barnier.
Par exemple, la moitié des déchets qu’on met en décharge aujourd’hui sont constitués de produits qui n’ont aucune solution de recyclage. Il s’agit d’objets du quotidien : les éponges, les brosses à dents, les couches-culottes, les DVD… Tout ça ne se recycle pas. C’est vraiment une prime aux cancres. L’idée d’une taxe générale sur les produits non recyclables [à hauteur de 5 centimes d’euros par produit sans filière à responsabilité élargie] a été adoptée par le Sénat, juste avant l’abandon du PLF.
Quelle est selon vous la mesure à conserver impérativement dans le prochain projet de loi ?
On espère vraiment que cette taxe sur les produits non-recyclables sera maintenue dans le futur projet de loi. C’est le Sénat qui a voté la mesure, pas l’Assemblée Nationale, plus instable actuellement. A priori, si on repose la question aux sénateurs dans trois mois, ils devraient revoter la même chose, à moins que les lobbies ne soient passés par là.
Pour nous, cette disposition est vraiment le chaînon manquant de la politique d’économie circulaire. Comme je le disais plus tôt à propos du Fonds sur l’économie circulaire, on est face à une démission totale sur le sujet. Par exemple, l’actuelle taxe sur les décharges rapporte 1 milliard d’euros à l’État, mais dans cette recette, moins de 15 % vont à l’Ademe.
Il y a 20 ans, la recette lui était entièrement attribuée pour financer la bonne gestion des déchets. Aujourd’hui, les 85 % restant abondent directement le budget de l’État qui, d’un côté, dit que ce n’est pas bien de mettre en décharge, mais de l’autre n’utilise pas l’argent de la taxe pour accompagner les solutions de prévention et de recyclage. Or, moins on recycle, plus on met en décharge, et plus on met en décharge, plus ça génère de taxe pour l’État. Celui-ci a finalement intérêt à ce que l’économie circulaire ne fonctionne pas.
C’est scandaleux, car ce sont les collectivités, et donc les contribuables à travers la taxe des ordures ménagères qui paient. Et vous pouvez augmenter la taxe sur les décharges autant que vous voulez, les industriels ne feront pas plus de produits recyclables puisqu’ils ne sont pas sanctionnés. On ne punit pas le bon acteur.
Comment percevez-vous la situation budgétaire actuelle ?
On est face à de nombreuses incertitudes. C’est notamment le cas avec les taxes sur l’énergie. Il était prévu dans un premier temps de taxer un peu plus l’électricité et le gaz pour générer des ressources, mais surtout pour rendre les énergies fossiles moins compétitives.
« Il est temps de créer un prix plancher des énergies fossiles »
Nous défendons le principe d’une fiscalité carbone flottante. Il est temps de créer un prix plancher des énergies fossiles. Mais cette augmentation de la taxe gaz a été supprimée du projet au moment où il y a eu un deal entre Barnier et Le Pen pour supprimer la hausse de la taxe électricité. Est-ce qu’il y aura, dans un prochain projet de texte, une fiscalité sur les énergies non renouvelables, qu’elles soient fissiles ou fossiles, à la hauteur des enjeux ? La question reste posée.
Cette loi spéciale révèle la nécessité d’avoir une loi de programmation pluriannuelle du financement de la transition écologique. C’est là le paradoxe de la situation : on était dans une séquence dite « de planification écologique » de moyen terme ou de long terme, avec les COP régionales, etc. qui oblige à se projeter à cinq ans. Mais sur la question du financement, on nous dit rendez-vous chaque année. Ce qui manque pour les acteurs, c’est de la visibilité et de la stabilité. Il nous faut un système de financement de la transition écologique calqué sur la durée de la planification écologique.
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