
70 militants et paysans de la Confédération paysanne ont bloqué un hypermarché Auchan près de Tours, le 14 décembre. Douze caddies de produits liés à l’agro-industrie ont été obtenus pour de la distribution alimentaire.
Par Léa GUEDJ.
Saint-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire), reportage
Lait Lactel, huile d’olive Puget et Lesieur, fruits, légumes et miel importés… Dans les rayons de l’hypermarché Auchan de Saint-Cyr-sur-Loire, près de Tours (Indre-et-Loire), une dizaine de militants remplissent incognito leurs caddies de produits qui ne sont pas choisis au hasard : tous participent aux pertes de revenus des paysans. C’est alors qu’une musique festive résonne à l’entrée du magasin. Brandissant des drapeaux de la Confédération paysanne, environ 70 militants bloquent les caisses avec une rangée de caddies. « On est déter’ contre les actionnaires ! » scandent-ils.
« On vient récupérer notre blé »
Romain Henry, apiculteur en Touraine et l’un des porte-parole de la Confédération paysanne 37, prend le micro : « On vient récupérer notre blé, car c’est ici qu’une partie du revenu paysan est capté, alors que nous on travaille à 5 euros de l’heure. » C’est toute la chaîne de l’agro-industrie, « qui met les paysans et paysannes sur la paille », qui est pointée du doigt, en particulier des entreprises comme le géant laitier Lactalis ou le groupe Avril, dirigé par le président de la FNSEA, syndicat agricole productiviste.
À l’extérieur, des tracteurs bloquent les entrées du parking. Des managers du magasin viennent à la rencontre des paysans et leur indiquent que le directeur n’est pas présent. Le syndicaliste, déterminé, annonce la couleur : « Si on n’arrive pas à un accord, on occupera le magasin jusqu’à ce soir. » L’objectif : faire sortir les caddies qu’ils ont remplis pour en faire don à des associations.
La difficile convergence avec les salariés
Les négociations s’engagent. Si les clients accueillent majoritairement l’action avec philosophie, voire soutien, des caissiers et les managers adhèrent au fond du message, mais pas au mode d’action. « Quinze jours avant Noël, vous imaginez le prix que ça coûte pour notre magasin ! Je suis moi-même fille d’agriculteur et je fais le maximum de vente directe et de saison dans le rayon fruits et légumes. Vous vous trompez de cible », regrette une manageuse.
« On n’est pas là contre vous spécifiquement. On dénonce le système agroalimentaire qui fait son beurre sur le dos des agriculteurs et des salariés. On aimerait qu’il y ait une convergence des luttes avec les salariés d’Auchan », lui répond Christine, productrice de légumes et œufs bio.

Dans cet hypermarché, neuf salariés vont perdre leur emploi, dans le cadre d’un vaste plan de près de 2 400 licenciements d’Auchan. Mais la convergence est visiblement laborieuse. Au niveau national, une intersyndicale a été formée entre la Confédération paysanne et les syndicats CGT, FSU et Solidaires. « L’enjeu est désormais de la concrétiser dans les territoires, et ce n’est pas simple », admet Romain Henry.
4 000 euros de produits récoltés
« OK pour douze caddies », tranche finalement le directeur par texto. L’annonce du passage de ces caddies gratuits en « don banque alimentaire » est faite sur les haut-parleurs du magasin. Romain Henry récupère des dizaines de pots de miel des marques de la société Famille Michaud. « Des apiculteurs français sont contraints de vendre à des prix inférieurs à leurs coûts de production, parce que ces groupes ont structuré une filière d’importation avec du miel importé qui entre à des prix cassés », soupire l’apiculteur.
Le 5 décembre, il était présent à l’action menée à Paris par la Confédération paysanne contre l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur.
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Après une heure de blocage, les militants embarquent plus de 4 000 euros de produits qui sont chargés dans des camionnettes. Ils sont donnés à une association et des étudiants dans le besoin. Une autre partie sera distribuée à des salariés du site Michelin de Cholet (Maine-et-Loire), en grève depuis début novembre contre la fermeture de l’usine. Le 12 décembre, la Confédération paysanne 37 avait distribué des produits locaux aux cheminots grévistes d’Indre-et-Loire.
Pour le syndicat agricole, l’action à Auchan s’inscrit aussi dans la campagne des élections professionnelles de la chambre d’agriculture en janvier prochain, « principal outil du verrouillage actuel du système », en communiquant sur ses revendications, telles que l’interdiction d’achat des produits paysans en dessous de leurs coûts de production, assortie de la mise en place d’un prix minimum d’entrée des produits importés.
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