
François Bayrou espère élargir son socle pour éviter la censure. Alors qu’il a promis, jeudi 19 décembre sur le plateau de France 2, que son gouvernement sera dévoilé avant Noël, le premier ministre a multiplié les annonces allant à l’inverse des demandes du Nouveau Front populaire (NFP).
Par Tom DEMARS-GRANJA.
L’histoire sans fin se poursuit. Invité de l’émission politique l’Événement (France 2), dans la soirée de ce jeudi 19 décembre, le premier ministre fraîchement nommé, François Bayrou, a rejoué une partition déjà utilisée par son prédécesseur, le républicain Michel Barnier. Son intervention fut ainsi ponctuée de saillies alarmistes – « si on ne réussit pas dans cet essai, c’est la dernière station avant la falaise » – comme d’appels du pied envers le moindre parti prêt à se compromettre en participant au gouvernement – « des communistes à la droite républicaine, je leur dis : nous ne pouvons pas nous en sortir si nous ne sommes pas ensemble ».
François Bayrou, qui a promis qu’un gouvernement sera annoncé « avant Noël » (voire « dans le week-end »), a cependant réussi à se mettre à dos la gauche, en multipliant les annonces maladroites et rédhibitoires. Par exemple lorsque le centriste – sous pression du parti les Républicains, dont il a besoin pour s’assurer un avenir à Matignon – avoue souhaiter que Bruno Retailleau reste en poste au ministère de l’Intérieur, car il « a montré ces dernières semaines et derniers mois qu’il avait trouvé des décisions et des orientations qui répondaient à une partie de ce que l’opinion demande ».
« La macronie en déroute »
De quoi pousser la secrétaire nationale des Écologistes – EELV, Marine Tondelier à rappeler, sur le plateau de BFMTV, que « Bruno Retailleau est un motif de censure à lui tout seul ». Interrogé sur les divergences qui séparent l’homme de droite – dont les idées politiques n’ont rien à envier à celles de l’extrême droite – et la gauche, l’écologiste explique que « ce n’est pas que sur l’immigration », mais aussi que « si vous êtes un militant écologiste ou un syndicaliste, un ministre de l’Intérieur comme Bruno Retailleau n’est pas anodin ».
Autre tentative de main tendue à l’adresse de la gauche, le locataire de Matignon a promis de ne pas utiliser l’arme du 49.3, « sauf s’il y a blocage absolu sur le budget ». Un budget qu’il « espère » faire aboutir « à la mi-février », un délai très ambitieux compte tenu des impératifs parlementaires. Problème, les représentants de partis politiques invités à Matignon, jeudi 19 décembre, n’ont pas semblé convaincus par les arguments du Béarnais. « Nous n’avons pas trouvé de raisons de ne pas le censurer, a tancé le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure, interrogé à la sortie de la réunion. Il faut vraiment que le premier ministre, que celles et ceux qui l’entourent, se réveillent. »
Même son de cloche pour la France insoumise, alors que Jean-Luc Mélenchon affirme, sur X (ex-Twitter), que le mouvement dont il est le fondateur est « heureux d’avoir refusé d’entrer dans le jeu des palabres avec la macronie en déroute ». Il ajoute : « Fin de l’école buissonnière pour nos partenaires. Il serait sage de revenir à la maison : opposition sans concession et censure pour ne pas perdre notre temps à des débats sans issue. » Le dépôt d’une motion de censure insoumise semble ainsi acquis à partir du 14 janvier, après la déclaration de politique générale de François Bayrou.
Le président du MoDem, fidèle allié d’Emmanuel Macron depuis 2017, s’est aussi dit prêt à « reprendre sans suspendre » l’inflammable réforme des retraites, en direct sur France 2. Une énième tentative à peine cachée d’attirer l’attention du Nouveau Front populaire – hormis la France insoumise, toujours diabolisée par le camp macroniste. « Suspendre pour reprendre », a immédiatement rétorqué Olivier Faure, sur X. « La démocratie est exigeante, a quant à lui rappelé le secrétaire national du Parti communiste français (PCF), Fabien Roussel. Nous sommes dans l’opposition pour porter les exigences du monde du travail. » Le sénateur et porte-parole du PCF, Ian Brossat, ajoute : « Si cette réforme des retraites mérite d’être reprise, c’est qu’elle est mauvaise. Si elle est mauvaise, alors elle doit être suspendue… La base. »
Toujours sur les retraites, François Bayrou a proposé de réfléchir à « une organisation différente » du régime d’ici au mois de septembre 2025. Si le premier ministre affirme « croire » en une alternative à l’âge légal à 64 ans, il a martelé son refus d’une abrogation définitive de la réforme. « Cela veut dire que les syndicats vont aller négocier avec une forme de chantage, s’est désolée Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, auprès de l’Humanité. On leur dit donc : si vous n’acceptez pas les conditions du Medef, la réforme continuera à s’appliquer. »
Ce à quoi la CGT et l’Unsa ont réagi en demandant que la réforme des retraites soit abrogée avant toute nouvelle discussion avec un François Bayrou déjà acculé de toutes parts. Alors que le centriste croule déjà sous les polémiques – notamment son déplacement en avion à Pau pour assister à un conseil municipal alors que Mayotte a été ravagée par un cyclone à l’ampleur inédite – et que les tensions avec l’Élysée se ressentent déjà, François Bayrou peine définitivement à créer un semblant d’élan.
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