Scandale à la RATP : des agents accidentés, parfois reconnus handicapés, forcés à réintégrer leur poste (H.fr-26/12/24)

Fin décembre, un collectif de 80 agents s’estimant victimes de la CCAS ont écrit à l’inspection du travail.
© Alain JOCARD / AFP

La CCAS (Caisse de coordination aux assurances sociales), organisme qui gère la sécurité sociale de la régie des transports parisiens, aurait-elle instauré un système de reprise forcée du travail pour ses agents accidentés, malgré des avis médicaux contraires ? C’est ce que dénoncent plusieurs salariés.

Par Naïm SAKHI.

La vie d’Hassan Akouri a basculé le 13 juillet 2020. Au volant d’un bus de la ligne 32 de la RATP, ce machiniste receveur – conducteur, dans le jargon de la régie des transports parisiens – ne parvient plus à faire usage des freins. « J’ai été obligé de heurter les véhicules stationnés pour arrêter le bus », se remémore-t-il. Plus de quatre ans après l’incident, les séquelles sont encore présentes.

Reconnu handicapé à plus de 50 %, avec un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 45 %, cet agent de 37 ans est contraint à des cures de médicaments – Bromazépam, kétamine, Théralène, etc. – pour calmer des « douleurs inexpliquées » au dos, accompagnées de hernies discales gauche et droite. Surtout, il est dans l’attente des résultats de son diagnostic pour un syndrome de fatigue chronique. « Je ne dors plus la nuit », reconnaît-il.

« La CCAS est bien le bras armé de la RATP »

La faute à son accident du travail ? Pas seulement. Depuis juillet 2020, l’autre bataille d’Hassan Akouri se concentre contre la Caisse de coordination aux assurances sociales (CCAS) de la RATP. Contactée par l’Humanité, la régie « rappelle que la CCAS a pour mission la gestion du régime spécial de sécurité sociale de la RATP. Elle garantit à ses assurés la couverture des risques maladie, maternité, invalidité, accidents du travail, maladies professionnelles, décès. Elle applique la réglementation du Code de la Sécurité sociale, complétée par les dispositions du régime spécial. » Et d’ajouter : « Toutes les décisions rendues par la CCAS sont prises en toute indépendance. »

En revanche, pour Hassan Akouri, « la CCAS est bien le bras armé de la RATP ». Alors que son arrêt faisant suite à son accident de travail prenait fin le 15 octobre 2021, l’agent est convoqué courant septembre. « Le médecin-conseil m’a donné l’ordre de me lever, sans me dire bonjour. Puis m’a demandé de marcher sans mes béquilles. J’ai décliné. Une semaine plus tard, je reçois un document, estimant que je suis apte à reprendre mon travail. » Après une grève de la faim de six jours, sous une tente, devant le dépôt de bus Belliard, dans le 18e arrondissement parisien, cette décision est finalement annulée.

Le cas d’Hassan Akouri est loin d’être isolé. « La chasse est ouverte, sous couvert de lutte contre la double activité (la RATP a mis en cause mi-mai dernier certains agents pour avoir travaillé comme chauffeurs VTC durant leurs arrêts – NDLR) lancée par le PDG, Jean Castex, ou pour rendre la société la plus belle possible en vue de l’ouverture à la concurrence », estime Claude Voisin, élu CGT retraité à la CCAS. « Comme les caisses de régime général, la CCAS contrôle les prestations versées par la Sécurité sociale et met en place des actions de lutte contre la fraude. Les médecins-conseils ont pour mission de vérifier que les arrêts de travail sont justifiés, comme les médecins de la Sécurité sociale », rétorque la RATP.

Une reprise forcée après une agression, malgré une contre-indication psychiatrique

Ancien membre du conseil d’administration et lanceur d’alerte sur le sujet des défauts de frein, Luc Wallop dénonce un « système bâti lors des consultations par les médecins-conseils, allant toujours à l’encontre de l’intérêt des salariés ». Début 2023, un collectif d’agents a lancé un appel à témoignages. « Très rapidement une quarantaine de collègues nous ont fait remonter des problèmes avec la CCAS à la suite d’accidents du travail, des mi-temps thérapeutiques ou des congés spéciaux refusés, ainsi que suite à des arrêts maladie », note le lanceur d’alerte. Et ce alors que, dans la filière du transport conventionné, le taux d’absentéisme est de 12 %, contre 4 % en moyenne nationalement, du fait de la pénibilité des conditions de travail.

Ainsi, Farah1 se remet tout juste d’une agression subie au premier semestre 2021. « Ce jour-là, un voyageur voulait descendre à un arrêt qui n’était pas sur le parcours de ma ligne. J’ai décliné. J’ai reçu des coups de poing et des crachats. Un grave accident a été évité de justesse. » Une plainte est déposée, classée sans suite. L’agression de cette machiniste receveuse est reconnue en tant qu’accident du travail, avec à la clé un suivi psychologique. « Mais, un an plus tard, la CCAS me force à reprendre le travail », s’indigne l’agente.

« Les médecins-conseils peuvent interrompre des prestations sociales qui ne sont plus justifiées d’un point de vue médical, dans un contexte où de nombreux cas d’arrêt longue durée ne sont plus justifiés au regard des éléments médicaux concernant l’assuré », insiste la RATP. Pourtant, pour Farah : « Je n’étais pas apte. J’avais une contre-indication de mon psychiatre, compte tenu de mon état psychologique et de mes traitements médicamenteux. Cette décision est intervenue sans avoir été auscultée par un médecin-conseil. »

Selon Claude Voisin (CGT), « il arrive que les consultations se fassent derrière un ordinateur. Les agents voient tout juste les initiales des médecins-conseils. Parfois, les salariés ne sont pas au courant qu’il s’agit d’une visite médicale ». Démunie et toujours sous le choc de son agression, Farah est « placée en maladie sans solde » durant deux ans.

« Pour les salariés, il est difficile de répondre à une reprise du travail imposée »

Interrogée sur ces cas de reprises imposées, la RATP fait savoir qu’il « existe pour les assurés des voies de recours prévues par le Code de la Sécurité sociale en cas de désaccord ». Mais pour maître Antoine Lorget, avocat de plusieurs agents en conflit avec la CCAS, « la reprise du travail dès le lendemain de la visite médicale est voulue. Pour les salariés, il est très difficile d’y répondre. Leur recours ne peut être suspensif. L’agent est obligé de se mettre en arrêt maladie ordinaire ou de poser des jours de congé, au risque d’être en abandon de poste ».

Selon le rapport d’activité de la CCAS de 2023, les poursuites sont marginales. Ainsi, alors que la commission des recours amiables a réceptionné, en 2023, 475 dossiers, dont 195 au titre du risque accident du travail et maladie professionnelle (AT/MP), les tribunaux judiciaires n’en ont traité que 27. « Pour les agents victimes de ce système, c’est une vraie traversée du désert. Sans revenu, ils doivent entamer des poursuites longues de plusieurs mois », note Luc Wallop.

Mahamadou 2, lui, n’a toujours pas réintégré les effectifs. « Alors que je conduisais, le bus a subi des secousses à cause de l’état de la route. Je ne sentais plus ma jambe droite. J’ai effectué un arrêt d’urgence. » Après une journée à l’hôpital, les documents à la suite de cet accident sont remplis sans difficulté dans son dépôt. « Le dossier part à la CCAS et les complications arrivent, raconte Mahamadou. La Caisse n’a pas reconnu mon accident du travail. La finalité est de nous obliger à reprendre le travail, alors que nous ne sommes pas en état. »

Des rapports médicaux… sans signature des médecins-conseils

L’agent a vu sa demande de congé refusée, malgré un courrier de son rhumatologue. Le machiniste receveur était pourtant, avant l’accident, en mi-temps thérapeutique à la suite des complications à sa jambe droite. Dans le rapport médical du praticien-conseil, Mahamadou est présenté comme « machiniste apte ». « Il déclare la pratique de la musculation en salle de sport et de sports de combat », peut-on y lire. « C’est totalement faux. Je me suis présenté en béquille. L’entretien a duré sept minutes. On a touché ma jambe, fait deux ou trois mouvements. Jamais il n’a été question de pratiques sportives », tranche l’agent, contraint de se déclarer en arrêt maladie, avec à la clé, une perte de 35 % de son salaire.

Le rapport médical, que l’Humanité a pu consulter, n’est pas signé. Aucun nom de médecin-conseil n’y figure. L’Humanité s’est également procuré plusieurs autres actes de la CCAS démunie de signatures. Interrogée, la RATP n’a pas souhaité répondre. « Ces pratiques sont récurrentes depuis mi-2021. Cela a été progressif. La CCAS agit comme cela depuis que des collectifs d’agents mécontents se sont montés. Cela démontre une crainte », tance Luc Wallop.

Une fois en arrêt, les agents sont soumis à des contrôles réguliers à leur domicile. La RATP fait savoir que « la CCAS réalise également des contrôles à domicile par des enquêteurs internes ou des médecins mandatés à cet effet ». Ce que décrypte un syndicaliste FO : « Outre Médica Europe, un cabinet de médecins, des enquêteurs RATP, agents de la CCAS assermentés, effectuent des contrôles, pour vérifier que les personnes en arrêt sont bien présentes à leur domicile. Cela relève d’un harcèlement continu de la CCAS à l’encontre des agents sous statut. » Ainsi, Farah, la conductrice agressée, confie avoir reçu des visites de contrôle chaque mois.

Ce 19 décembre, le collectif de 80 agents s’estimant victimes de la CCAS maintenait la pression, en écrivant à l’inspection du travail. Contactée, la direction de la CCAS n’a pas donné suite à nos propositions d’échange. Au mail conjoint que nous avons adressé au service presse de la RATP et de la CCAS, seule la régie a répondu.

  1. et 2. Les prénoms ont été modifiés.  ↩︎

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/accidents-du-travail/scandale-a-la-ratp-des-agents-accidentes-parfois-reconnus-handicapes-forces-a-reintegrer-leur-poste

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/scandale-a-la-ratp-des-agents-accidentes-parfois-reconnus-handicapes-forces-a-reintegrer-leur-poste-h-fr-26-12-24/

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