Libération de Brest. « C’était le royaume de la débrouille ! » (OF.fr-4/01/25)

Les volontaires de la Défense passive et des civils assurent la distribution de soupe dans les ruines. | ARCHIVES MUNICIPALES DE BREST

Brest au lendemain de la Libération (2). Pour manger, pour reconstruire, à une époque où l’on manque de tout, il faut se débrouiller et faire de la récupération. Entre tickets de rationnement et système D, les Brestois font face. Un « casse-tête » !

Par Laurence GUILMO.

Témoignages

« Au tout début, à notre retour à Brest, il n’y avait pas d’eau. Ma grand-mère n’arrivait jamais chez nous sans un broc d’eau. Et on mangeait des pommes de terre matin, midi et soir », se souvient Mme Polard, 93 ans aujourd’hui, 13 ans en 1944.

« Pour le ravitaillement, c’était rationné. Il fallait des tickets », rappelle Bertrand Kubelko, 91 ans, 11 ans alors. Ils sont attribués selon l’âge : J2 (6-12 ans), J3 (13-14 ans), J4 (15-19 ans), etc. Cela permet de calculer les rations en cette période de pénurie alimentaire. Soit trois tickets de pain pour les J3, quatre pour les J4, etc. Chacun donne droit à tant de grammes pour le pain, même chose pour le sucre, et pour toute l’alimentation.

De la soupe « au café » !

« C’était un vrai casse-tête pour se nourrir ! » Paul Kerrien, 96 ans, qui a 15 ans en 1943, précise : « Même le vin était contingenté par des tickets ! » Il ajoute : « Les charpentiers, dont le métier était considéré comme davantage physique, avaient plus de tickets que les menuisiers

Bertrand Kubelko, 91 ans aujourd’hui, avait 11 ans en 1044. | DR

Pour se ravitailler, il y a les halles du Pilier-Rouge et de Saint-Martin, ou des petites épiceries comme celle d’Abilly, au coin des rues Jaurès et Navarin, ou les marchés. « Les tickets de rationnement ont duré jusqu’en 1949 », précise Bertrand Kubelko.

Certains produits manquent, indique Mme Tymen. Des paysans viennent en ville avec leur carriole pour vendre du lait. Des pêcheurs proposent des maquereaux et autres poissons de la rade. « On allait parfois en car se ravitailler à Plougastel, mais, plus tard, les légumes ont été expédiés à Paris et c’est donc devenu plus rare et plus cher. »

Certains ont souffert de privations. « À l’école, à midi, certaines copines mangeaient de la soupe « au café ». Chez nous, au moins, on avait de la soupe aux légumes », se rappelle Gilberte Polard, 93 ans, qui a 13 ans en 1944.

La pêche pour subsister

Dans la famille Polard, chacun s’active pour trouver à manger ou à se chauffer. La pêche est un bon moyen de subsistance et de revenu. « En bas de Saint-Marc, il y avait trois bancs de sable où les gens, dont mon frère, descendaient souvent à la pêche aux crabes, coquilles Saint-Jacques, crevettes, etc. » Sa mère aussi s’y est mise. « Elle vendait ses plus belles crevettes, ce qui lui permettait de nous habiller. Nous, nous n’avions droit qu’aux petites crevettes et aux étrilles à sucer. »

« Découper un poulet en dix parts »

Pour arrondir les fins de mois, la grand-mère de Gilberte travaille aussi comme aide dans les maisons et les commerces du quartier. « Avec la guerre, les femmes avaient été habituées à tout faire pour faire bouillir la marmite. » Son aïeule, qui avait appris à « découper un poulet en dix parts », allait chercher du bois pour faire la cuisine, souvent de la purée et des crêpes, ou chauffer le poêle. « C’était le royaume de la débrouille ! »

Les astuces des ouvriers de l’arsenal

« Il y avait beaucoup de marché noir : tissus, pierres, et l’équipement pour la maison », se souvient Paul Kerrien, 96 ans. Il a 15 ans en 1943 et est apprenti à l’arsenal. Les apprentis se réfugient d’abord à Pont-de-Buis. Mais, étant donné qu’il y a un besoin d’ouvriers à l’arsenal, il doit passer son CAP à 17 ans au lieu de 18. Il devient menuisier à l’arsenal. Durant le siège, il se réfugie chez sa grand-mère, à Milizac.

Paul Kerrien, 96 ans, montre fièrement l’une des rares photos d’autrefois qu’il conserve encore chez lui (les autres sont chez sa sœur). On y voit le café que tenait son grand-père à Lesneven, avant la guerre | OUEST-FRANCE

Sa mère tient une épicerie-bistrot. Son père travaille à l’arsenal où l’on ne manque pas d’imagination Sous l’occupation allemande, un employé sortait chaque jour avec une brouette remplie de foin et de paille, sans inquiétude. Pour nourrir des lapins ? « En fait, c’était une brouette fabriquée dans la journée qu’il allait ensuite échanger dans des fermes, contre du ravitaillement. » Pour la même raison, un autre « fabriquait en douce des socs de charrette en inox et des casseroles en cuivre, sortis sous les vêtements ».

Il y a les tickets de rationnement pour l’alimentation… et les bons du ministère de la Reconstruction pour reconstruire les maisons, acheter des pointes, du plâtre et tous les matériaux du bâtiment.

Un oncle de Paul Kerrien a reconstruit le toit d’une petite maison à l’aide de tuyaux en aluminium récupéré à l’arsenal. « Il a aplati les tuyaux pour remplacer les ardoises. » Le fameux système D, comme débrouille.

Pour s’habiller aussi, c’est compliqué. La mère de Mme Tymen s’est mise à la couture. « On avait chacune une jupe ou deux. Les pulls étaient tricotés à la main. C’était tout. »

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Source: https://www.ouest-france.fr/bretagne/brest-29200/liberation-de-brest-cetait-le-royaume-de-la-debrouille-df7377c4-ad95-11ef-9f0f-abd6acfb270c

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