RÉCIT. Il y a un siècle, la victoire des sardinières de Douarnenez (OF.fr-4/01/25)

Pour le centième anniversaire de la grève des sardinières, la photo historique d’une manifestation des ouvrières des sardineries a été reconstituée à Douarnenez (Finistère). | OUEST-FRANCE

Un siècle plus tard, personne n’a oublié les ouvrières sardinières de Douarnenez (Finistère). Au début de l’année 1925, leur longue grève s’achevait avec la victoire et une augmentation de leurs maigres salaires.

Par Didier GOURIN.

Têtes hautes et regards fiers. Les rues de Douarnenez (Finistère) leur appartiennent, comme depuis plusieurs semaines. Les ouvrières des conserveries tiennent le haut du pavé.  Le cortège s’ébranle. En tête, des jeunes filles portant des gerbes de fleurs cravatées de rouge. Une première bannière syndicale en tête, une seconde devant les hommes. Deux pistons et un saxophone entraînent les manifestants qui chantent à tue-tête. On fait ainsi le tour de la ville et on se masse sur le Champ-de-Bataille , décrit L’Ouest-Éclair, l’ancêtre d’Ouest-France, à la une le 8 janvier 1925. On va aussi chanter l’Internationale.  En se serrant les coudes, vous avez triomphé ! Groupez-vous, syndiquez-vous, la force du prolétariat dépend uniquement de l’action syndicale , leur lance un orateur.

En prime, il fait plutôt beau. Le journaliste de L’Ouest-Éclair se laisse même aller à un petit commentaire bucolique.  Le soleil resplendit donnant à la campagne si variée un charme tel qu’on cherche à s’imaginer les beautés estivales de ce pays privilégié , glisse-t-il au fil de son article. Le travail ne va visiblement pas manquer.  Cinquante bateaux environ sont rentrés avec de bonnes pêches qui vont permettre à sept usines de reprendre leur fiévreuse activité , note encore le journal. Pour les autres, il va falloir attendre une journée de plus. Il n’y a pas assez de poissons pour tout le monde et en attendant « les chômeurs, malgré eux cette fois, se promènent ».

Des défilés en chantant l’Internationale

C’est jour de fête à Douarnenez. Après plusieurs semaines de grève, les ouvrières des usines de sardines ont obtenu gain de cause et une augmentation de leurs si maigres salaires. Elles ont aussi gagné de la considération. Depuis la fin du mois de novembre, elles avaient dit stop à leurs conditions de travail. Elles ont arpenté les rues du port finistérien jusqu’à ce dernier défilé qui a la saveur de la victoire. La veille déjà, le journal avait annoncé à sa une la fin de la grève des sardinières :  La grève de Douarnenez est terminée. Patrons et ouvriers se sont mis d’accord hier soir et les grévistes ont décidé la reprise du travail à bref délai. 

C’est l’une des photos historiques de la grève des sardinières avec ce défilé immortalisé sur les quais de Douarnenez. | CEDIAS / MUSÉE SOCIAL

Pourtant, au tout début de la grève, le conflit est encore loin de monter à la première page du journal et d’y faire les gros titres. Dans l’édition du 25 novembre, les sardinières n’ont alors droit qu’à une brève de onze lignes.  Un cortège a parcouru les rues en chantant des chants révolutionnaires , relève L’Ouest-Éclair. Seulement, la grève s’installe et les ouvrières finistériennes affichent toute leur détermination.

Le 7 janvier 1925, L’Ouest-Eclair annonce la fin de la grève des sardinières et un accord avec le patronat des conserveries.

Pour les appuyer, des collectes alimentaires sont organisées dans les environs de Douarnenez. On envoie aussi de l’argent pour leur permettre de durer tandis que le ton monte. On parle en ville de l’envoi massif de gendarmes supplémentaires tandis qu’un camion transportant des boîtes de conserve est arrêté par les grévistes. Les meetings sont leur point de ralliement et de la population qui les soutient. Le 5 décembre, L’Ouest-Éclair évoque la nouvelle réunion publique qui s’est tenue aux halles avec deux mille personnes. Entre les grévistes et les patrons des sardineries, les négociations patinent au point d’envisager un arbitrage du ministère du Travail.

L’intransigeance des patrons des conserveries

Deux délégations vont donc prendre la route de la capitale, celle des patrons et celle du comité de grève. Les représentants des sardinières ne sont pas seuls pour aller prendre le train.  Une manifestation à laquelle ont pris part 2 500 personnes les a conduits au train au son de l’Internationale , souligne L’Ouest-Éclair le 15 décembre. Mais ce sera sans résultat dans un premier temps même si le dossier est sur le bureau de Justin Godart, le ministre du Travail, qui reçoit les délégations.

L’exemple de la lutte des sardinières résonne toujours un siècle après, comme le montre cette manifestation de l’union locale de la CGT de Douarnenez organisée à l’occasion du centenaire de la grève pour faire écho aux revendications actuelles du monde du travail. | OUEST-FRANCE

Le conflit des sardinières est bien devenu un enjeu de taille. Lorsque la Confédération générale de la production française, une organisation patronale, reproche au gouvernement de pencher du côté des grévistes, la réponse d’Édouard Herriot, le président du conseil (le Premier ministre de l’époque) ne tarde pas. Il dit clairement les choses, et déplore le peu d’empressement du patronat à trouver un terrain d’entente. « Le gouvernement n’a, à aucun moment, pris parti dans le conflit. Il a jugé opportun de proposer un arbitrage qu’il a eu le très vif regret de voir refusé par les patrons alors qu’il était accepté par les ouvrières », réplique Édouard Herriot.

L’écho de la révolte des sardinières retentit ainsi bien au-delà des frontières bretonnes. À l’Assemblée nationale, les députés du Parti communiste, qui est à la manœuvre à Douarnenez pour faire de ce conflit une illustration emblématique de la lutte des classes, montent au créneau.

Des coups de feu contre le maire

Sur place, Daniel Le Flanchec, maire communiste de la ville, est tout autant en première ligne jusqu’à la journée paroxysmique du 1er janvier 1925. Dans un café de la ville, des briseurs de grève, venus de Paris, tirent sur lui alors qu’une dispute a complètement dégénéré. Il est blessé, son neveu aussi. Ce jour-là, la tension grimpe de plusieurs crans. Il faut des renforts de gendarmerie pour rétablir le calme. Des gendarmes sont blessés. La foule se rassemble ensuite devant l’hôtel de France où elle pense que les auteurs des coups de feu se sont réfugiés.

Le 5 janvier 1925, les coups de feu tirés contre le maire de Douarnenez, Daniel Le Flanchec, occupent une large place à la une du journal.

C’est le face-à-face, et puis l’affrontement. « Une manifestation assez violente eut lieu. Ce furent d’abord des cris. Le barrage d’une trentaine de gendarmes impassibles s’opposant à l’envahissement de l’hôtel fut bousculé, bientôt rompu », observe L’Ouest-Éclair. Le lendemain, on manifeste encore dans les rues de la ville en chantant l’Internationale. Lorsqu’il revient dans sa ville quelques jours plus tard après avoir été hospitalisé, c’est en héros que la population accueille Daniel Le Flanchec à la gare. « À 19 h, une foule considérable se trouvait à la gare, la musique municipale était là. Après que les acclamations se furent calmées, un cortège se forma et gagna le centre de la ville », décrit L’Ouest-Éclair.

Quant à la grève, elle vit ses dernières heures. Les patrons acceptent enfin d’entendre les revendications des sardinières. « À Douarnenez des pourparlers sont engagés directement entre patrons et ouvriers », titrait déjà L’Ouest-Éclair le 6 janvier. Les sardinières ont gagné.

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Source: https://www.ouest-france.fr/culture/histoire/recit-il-y-a-un-siecle-la-victoire-des-sardinieres-de-douarnenez-f6bfc34e-c693-11ef-bba2-f7c457be7f94

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/recit-il-y-a-un-siecle-la-victoire-des-sardinieres-de-douarnenez-of-fr-4-01-25/

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