
Depuis le 1ᵉʳ janvier, 30 nouvelles agglomérations doivent établir une zone à faibles émissions. Mais de nombreuses collectivités mettent en place des dérogations et s’abstiennent de contrôler les potentiels contrevenants.
Par Nina GUERINEAU de LAMERIE .
Avec l’année 2025 revient le casse-tête des ZFE. Depuis le 1ᵉʳ janvier, 30 agglomérations françaises de plus de 150 000 habitants ont l’obligation d’instaurer des zones à faibles émissions. Pour les quatre métropoles les ayant déjà adoptées (Lyon, Grenoble, Paris et Montpellier), ce mois de janvier est aussi synonyme de changement. Alors que les voitures non classées, Crit’Air 5 et 4 (soit immatriculées avant 1997) étaient déjà exclues, s’ajoutent désormais les modèles Crit’Air 3 (soit avant 2010).
Inscrites dans la loi sur la mobilité en 2019 et renforcées par la loi Climat et résilience en 2021, les ZFE visent à interdire progressivement la circulation des véhicules thermiques dans les villes dépassant les seuils de qualité de l’air — ce qui est encore le cas de 95 % des agglomérations françaises concernant les particules fines et de 69 % s’agissant du dioxyde d’azote, selon l’Organisation mondiale de la santé.
« Une mesure en faveur des plus pauvres, qui sont les plus exposés à la pollution de l’air »
L’idée, simple en apparence, relève du véritable défi lors de sa mise en place. Face à la gronde des automobilistes et à la peur avancée par des élus locaux de créer des « zones à forte exclusion sociale » — les vieilles voitures appartenant le plus souvent aux ménages les plus modestes — les collectivités locales rechignent à instaurer des ZFE efficaces.
« Elles sont créées en ordre dispersé avec, souvent, des ambitions limitées », relate Aurélie Jehanno, chercheuse en urbanisme et mobilités à Sciences Po Rennes. Pourtant, « la ZFE est utile. C’est une mesure en faveur des plus pauvres, qui sont les plus exposés à la pollution de l’air », appuie Frédéric Héran, économiste et urbaniste.
En France, près de 40 000 décès seraient attribuables chaque année à une exposition aux particules fines, d’après Santé publique France. Mais, soucieux de ne pas renforcer les inégalités ou d’éviter de nourrir le ressentiment des conducteurs, certains élus locaux font tout pour retarder l’échéance.
Dérogations et exemptions
À Perpignan, le maire Rassemblement national a obtenu une dérogation de l’État et a repoussé la création de sa ZFE d’un an. De même dans le Nord, où plusieurs communautés d’agglomérations ont expliqué ne pas se sentir « concernées » et ont demandé des exemptions au préfet, relève France Bleu.
La majorité s’y résigne tout de même, et accompagne l’implantation des ZFE de multiples dérogations afin d’éviter les levées de boucliers. La métropole de Nantes, pourtant socialo-écologiste, s’est par exemple toujours opposée aux ZFE. « Les études ont montré que celles-ci ont peu d’impact sur la qualité de l’air », justifiait son vice-président en charge du climat sur France 3 en 2023.
Et d’ajouter que « le plan de déplacement urbain mis en place, qui encourage le covoiturage, les transports en commun ou le vélo », était plus efficient. Aujourd’hui, forcée par la loi, cette métropole a instauré une ZFE très peu restrictive, où seuls les véhicules non classés sont interdits de circulation, soit 1 % du parc automobile, et seulement pendant les heures de pointe.
Très peu de verbalisations
Ailleurs, la quasi-totalité des villes utilise une diversité d’astuces pour préserver les conducteurs. Parmi les plus populaires : le passe ZFE 24h. Prévu pour les petits rouleurs, il permet d’avoir droit, chaque année, à 24 jours (à Paris) et 52 jours (à Rennes et Lyon) de déplacement autorisé dans ces métropoles sous ZFE.
Enfin, très rares sont les collectivités qui verbalisent les potentiels contrevenants. Dans la ZFE du Grand Paris, seules 558 infractions ont été relevées sur l’année 2022. Pour y remédier, des radars, promis par l’État depuis deux ans, devraient être déployés entre 2026 et 2027.
Toutefois, le montant des amendes (68 euros pour les voitures et 135 pour les camions) reste le plus bas de l’Union européenne : à Bruxelles ou à Madrid, il faut débourser entre 200 et 350 euros pour une mauvaise vignette. « Les collectivités résistent à un outil imposé par l’État et pour lequel il n’y a aucun moyen financier, analyse Aurélie Jehanno. Parler des ZFE, c’est parler de la réduction de la voiture. C’est un sujet source de fortes tensions et les élus locaux sont à hauteur de baffes. »
« On a revu nos ambitions à la baisse »
Pour Matthieu Theurier, délégué à la mobilité à Rennes Métropole, ces aménagements sont surtout nécessaires car la « loi nationale ne comporte pas de mesures d’accompagnement. D’ailleurs les conservateurs et l’extrême droite en profitent pour alimenter leurs campagnes anti-écologie ».
Celui-ci l’assure, il est favorable aux « ZFE, qui ont fait leurs preuves en matière de réduction de pollution de l’air ». Mais l’appliquer telle quelle aurait entraîné « une fracture sociale » au sein du territoire rennais, abonde l’écologiste.
« C’est pourquoi on a revu nos ambitions à la baisse », précise-t-il. Pour autant, tout n’est pas négatif : ces mises en place maladroites ont le mérite de préparer la fin des voitures thermiques dans dix ans, pointe, en conclusion, Aurélie Jehanno.
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Source: https://reporterre.net/Pourquoi-la-mise-en-place-des-ZFE-patine
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/pourquoi-la-mise-en-place-des-zfe-patine-reporterre-8-01-25/