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Selon le dernier bulletin hebdomadaire, mercredi 15 janvier, de Santé publique France, l’épidémie s’est intensifiée en ville dans l’Hexagone et a généré 611 décès entre le 6 et le 12 janvier. Dans les CHU, les professionnels sont à bout de souffle et pointent le sous-investissement dans les établissements publics.
Par Samuel EYENE.
C’est la goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà rempli d’amertume pour les salariés de l’hôpital public. Alors que les lits sont saturés et que le personnel est déjà sous haute tension, dans la quasi-intégralité des établissements de France, l’épidémie de grippe qui sévit met rudement à contribution les professionnels de santé.
D’après le dernier bulletin de surveillance des infections respiratoires aiguës (IRA) publié le 15 janvier par Santé publique France, l’infection virale a généré une « activité hospitalière très élevée » et plus de 7 % des décès enregistrés entre le 6 et le 12 janvier ont été provoqués par cette maladie, soit 611 décédés. Et la part des personnes mortes à la suite de la grippe augmente davantage en Bourgogne-Franche-Comté (12,4 %), dans le Grand-Est (9,4 %), la Provence-Alpes-Côte d’Azur (9,2 %), les Hauts-de-France et l’Auvergne-Rhône-Alpes (7,9 %).
« Les ambulances devaient attendre deux heures avant de pouvoir déposer un patient »
« Les urgences sont très dégradées. On vit des situations qui dépassent l’entendement avec des patients qui font leurs besoins sur des brancards », s’indigne Nathalie Loinsard, secrétaire CGT du CHU de Rennes. La cégétiste a déposé un droit d’alerte, le 6 janvier, au sein de sa structure pour dénoncer la dégradation des conditions d’accueil des personnes. Comme l’établissement breton, ils sont nombreux à pâtir de cette situation : le vendredi 10 janvier, le ministère de la Santé a annoncé que 87 hôpitaux avaient activé le plan blanc – dispositif qui permet de déprogrammer certaines opérations ou de rappeler des soignants de la fonction publique hospitalière pendant leurs congés.
« Tous les hôpitaux ont atteint un seuil critique. Les patients stagnent aux urgences car les soignants ne peuvent pas les prendre en charge. Résultat : certains finissent par décéder sur place car il n’y a personne pour les surveiller », s’alarme Mustapha Sebbane. Arrivé au service des urgences en 2006, ce praticien hospitalier et délégué SNHM FO au CHU de Montpellier, n’avait jamais connu une grippe aussi sévère. « D’ordinaire, les ambulances arrivent et déposent les patients en un quart d’heure. Mais lors de la semaine du Nouvel An, il y avait tellement de malades que les ambulances devaient attendre deux heures avant de pouvoir déposer un patient, faute de places », explique le salarié.
Le manque de moyens, un facteur aggravant
Pour autant, la sévérité seule de cette grippe ne saurait expliquer les difficultés des soignants qui voient aujourd’hui avec l’épidémie une façon de mettre en lumière les maux traversés par le secteur. « Avant cet épisode, les délais d’admission, d’hospitalisation et de prise en charge au bloc opératoire étaient déjà catastrophiques », constate amèrement Claire Ara Somohano, médecin praticienne hospitalière et déléguée SNMH FO CHU de Grenoble.
Pour elle, sa structure n’a pas les moyens de résister à de potentiels futurs virus en raison d’un sous-investissement chronique en équipements médicaux. Le 8 janvier, une intersyndicale SNMH FO, USP, FO et CGT a d’ailleurs adressé une lettre ouverte à la directrice de l’établissement afin de dénoncer un « immobilisme opérationnel » de leur hôpital et l’absence de recrutement de personnels.
Un scénario qui semble se reproduire à l’échelle nationale alors que, rien qu’en 2023, près de 4 900 lits d’hospitalisation ont été supprimés. Depuis fin 2013, 43 500 lits ont été perdus au total, selon une étude de la direction statistique des ministères sociaux (Drees). Soit une diminution de l’offre de 10,5 % en dix ans. « Cela fait vingt ans qu’on réduit les lits pour réduire les dépenses de l’hôpital. Malheureusement, nous payons aujourd’hui les frais de cette politique d’austérité », regrette Mustapha Sebbane.
Si la situation est de plus en plus critique pour les hôpitaux du Nord et de l’Est, pour l’heure, en Île-de-France, elle ne semble pas d’avoir atteint celle des autres CHU de région. Les structures de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris n’ont pas activé le plan blanc, selon leur directeur général Nicolas Revel, interrogé sur France Inter le 14 janvier. Le dirigeant s’est félicité de traverser cette crise, grâce à la réouverture de « beaucoup de lits, 600 depuis deux ans », en rappelant toutefois que les antennes de l’AP-HP restent « extrêmement fragiles ».
Il a notamment rappelé que l’une des réussites dans la couverture de cette épidémie résulte du recrutement de personnel, soit « 1 150 effectifs supplémentaires » depuis 2023. Voilà sans doute un début de réponse à la crise vécue par les hôpitaux publics dont les problèmes systémiques devraient urgemment revenir sur le devant de la scène avec la prochaine réouverture des débats du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
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