Les sans-abri, en première ligne des inondations à Rennes (reporterre-29/01/25)

Des affaires de sans-abri sous l’eau après les inondations à Rennes. Ici, le 28 janvier 2025. – © Quentin Bonadé-Vernault / Reporterre

Les sans-abri ont été les premiers touchés par les inondations historiques en Ille-et-Vilaine. Les conséquences d’une politique de non-accueil « à contre-courant du contexte climatique actuel ».

Par Scandola GRAZIANI & Quentin BONADE-VERNAULT (photographies).

Rennes (Ille-et-Vilaine), reportage

« On a perdu toutes nos affaires. Nos vêtements, nos matelas, nos tentes… L’eau a tout emporté. » Maxime et Léo [*] vivaient sous le pont des Prairies Saint-Martin, à Rennes, quand l’eau est brusquement montée les 25 et 26 janvier. « Les pompiers et la police nous ont dit d’évacuer en nous indiquant des lieux d’hébergement d’urgence », témoignent les deux rescapés. Alors que Rennes connaît ses pires inondations depuis quarante ans, c’est la double peine pour les sans-abri : leurs campements de fortune ont tous pris l’eau.

Un des sans-abri les plus connus de la ville, Jean-Pierre, voisin de Maxime et de Léo, a perdu tous ses effets avec la crue, selon ActuRennes. Sous le pont, les maigres affaires qui restent ont été surélevées à l’aide de palettes. Maxime et Léo, eux, ne reconnaissent pas leurs sacs sur les clichés qu’on leur montre. Ils font partie des 1 000 personnes évacuées en Ille-et-Vilaine depuis le 26 janvier. Le pic des inondations n’étant toujours pas atteint, le département reste placé en vigilance rouge.

Des agents de la Croix-Rouge s’occupent d’un gymnase où sont accueillis des sinistrés. © Quentin Bonadé-Vernault / Reporterre

Café et gâteau à la main, ils tentent d’oublier leur frayeur au gymnase Jean Prouff, dans le centre-ville, où la Croix-Rouge accueille les sinistrés. « Au moins là, on est au sec, il y a du soleil et on a la vue sur l’esplanade Charles de Gaulle ! » plaisante Maxime, qui ne perd pas son sens de l’humour. Ce sosie du célèbre youtubeur Mister V est à la rue depuis six ans, et dit vivre depuis un an sous le pont qui a été inondé. « L’hiver est rude, on a froid aux pieds, mal aux mains… Le pire, c’est l’humidité. Même avant les inondations, on sentait l’eau s’infiltrer partout », peste le jeune homme.

Avec Léo, ils sont amis depuis le lycée où ils ont étudié à Marseille. Depuis, ils ne se quittent plus, même dans la galère. « C’est la police qui nous a dit d’aller sous le pont quand nous sommes arrivés à Rennes », assure Léo avec son fort accent marseillais. Une allégation difficilement vérifiable, qui en dit pourtant long de l’accueil réservé aux sans-abri.

Sous le pont du périphérique rennais, un espace historiquement occupé par les sans-abri. © Quentin Bonadé-Vernault / Reporterre

À Rennes, beaucoup d’entre eux vivent sur les berges de la Vilaine ou de l’Ille, sous des ponts ou des abris de fortune, parfois à quelques mètres du niveau de l’eau. « Ils vont dans des endroits discrets, des ponts, des sous-sols, des caves, des parcs… Donc par nature, ce sont des endroits inondables, dit un bénévole de la Croix-Rouge, qui souhaite rester anonyme. En conséquence, ils sont souvent obligés de changer d’endroit. »

Au parc de Saint-Cyr, à l’ouest de la ville, une dizaine de tentes a été inondée, laissant place à un marécage où barbotent des canards. « Il y avait surtout des hommes seuls, mais aussi quelques femmes et des familles qui vivaient là », témoignent Marie Chapelle et Suzanne Mamet, coordinatrices d’antenne pour Utopia 56 Rennes. Certains d’entre eux ont trouvé refuge au gymnase Jean Prouff, où une trentaine de personnes dorment chaque nuit depuis le début des inondations.

Des sauveteurs fixent des péniches aux arbres pour les empêcher de dériver. © Quentin Bonadé-Vernault / Reporterre

« Une politique à contre-courant du contexte climatique »

Parmi eux, des réfugiés comme Rahmat, venu d’Afghanistan. Assis sur un lit pliable fourni par la Croix-Rouge, il noircit mécaniquement un calepin. « C’est un journal, dans lequel je raconte mes mésaventures », sourit-il doucement. L’Afghan dormait dans une auberge de jeunesse — payée grâce à ses maigres économies — quand il a reçu l’ordre d’évacuer. « Je ne sais pas où je vais aller ensuite, j’en ai un peu marre de bouger sans arrêt », s’inquiète le jeune homme de 26 ans.

Troublant le silence paisible du gymnase, un groupe de trois sans-papiers soudanais débarque, en conversant bruyamment : « Ça fait deux semaines qu’on dort dans des sous-sols non loin d’ici. Avec la pluie, l’eau est montée et on a été inondés. On a eu un peu peur, et nos affaires sont trempées, mais heureusement on n’a rien perdu. Par contre, on a eu de la chance de pouvoir venir dormir ici », racontent-ils, avant de filer à un rendez-vous à la préfecture.

Parmi les rescapés, Rahmat, venu d’Afghanistan. © Quentin Bonadé-Vernault / Reporterre

« Il n’y a que des personnes précaires dans ces gymnases ouverts en urgence, car les autres vont chez des amis ou de la famille. Ils ne sont pas aussi isolés socialement », expliquent les coordinatrices d’Utopia 56. Pour elles, « ces personnes sont en première ligne face aux événements climatiques, et pas seulement l’hiver ! L’été, qu’elles vivent dans des squats, des campements ou sous des ponts. Les personnes à la rue subissent de plein fouet la canicule, et n’ont pas facilement accès à de l’eau potable ».

Le plus choquant pour elle, c’est le deux poids, deux mesures qui s’applique : « Pour cent maisons rennaises inondées, on voit qu’il y a une capacité à ouvrir des lieux d’hébergement d’urgence comme ce gymnase [tout neuf], alors pourquoi ne pas le faire pour héberger ces personnes tout le reste de l’année ? » D’autant que 150 personnes, notamment des familles, s’entassent dans un gymnase squatté et autogéré au nord-ouest de la ville. « Imaginez si ces 150 personnes n’avaient pas eu de toit au moment des inondations ? »

Les coordinatrices d’Utopia 56 estiment à environ 300 le nombre de sans-abri actuellement à Rennes. Pour elles, « l’État pratique une politique de non-accueil à contre-courant du contexte climatique actuel ».

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Source: https://reporterre.net/Les-sans-abri-en-premiere-ligne-des-inondations-a-Rennes

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