Retraites : l’inquiétante méthode François Bayrou (H.fr-29/01/25)

Les syndicats craignent que les synthèses de la Cour soient « orientées » politiquement. © Firas Abdullah/ABACAPRESS.COM

Le premier ministre a saisi la Cour des comptes pour dresser un diagnostic financier des régimes privé et public. Cette « mission flash » fait craindre le pire aux organisations syndicales.

Par Cyprien BOGANDA.

Quelle mouche a piqué François Bayrou, qui a décidé de confier à la Cour des comptes le soin de dresser un audit express (on appelle ça une « mission flash ») de la situation financière de nos régimes de retraites ? Le rapport doit servir de base de discussion aux syndicats et au patronat, chargés par l’exécutif de renégocier la réforme des retraites d’avril 2023 (recul de l’âge légal à 64 ans). Au sein de la Cour, certains tombent des nues ; et chez les organisations syndicales, on soupçonne qu’il y ait anguille sous roche.

Le 19 février, l’organisme devra rendre une photographie de l’état financier de nos régimes de retraite (privé et public). Et en avril, il aura pour tâche (bien plus floue) d’expliquer en quoi la modification des différents paramètres (âge de départ, niveau des cotisations…) joue sur « la compétitivité de notre économie ». Rue Cambon, siège de l’institution de contrôle, certains s’étonnent que François Bayrou se soit tourné vers elle pour obtenir ces données, plutôt que vers le Conseil d’orientation des retraites (COR), dont c’est justement la fonction.

Bayrou méfiant

« Il est très rare que l’exécutif nous commande des rapports, nous explique un fonctionnaire travaillant à la Cour des comptes. Et il est un peu étrange que François Bayrou s’adresse à nous pour dresser un état des lieux du système de retraites, alors que le COR rend un rapport tous les ans sur le sujet. Pour tout vous dire, la plus-value de la Cour me semble nulle : on est moins bons que le COR là-dessus ! »

En réalité, François Bayrou a toutes les raisons de se méfier du COR, dont les rapports ont plutôt tendance à désamorcer les discours alarmistes servis par les libéraux, du moins avant le remplacement à sa présidence de Pierre-Louis Bras par l’économiste Gilbert Cette fin 2023.

À l’inverse, le premier ministre surdramatise la situation en maniant la thèse du « déficit caché », théorisée par Jean-Pascal Beaufret. Selon cet ancien haut fonctionnaire proche des milieux patronaux, les régimes de retraite publics, que l’on dit à l’équilibre, accusent en réalité un déficit abyssal que l’État employeur vient renflouer à coups de surcotisations. En réalité, il n’y a là rien d’indu, puisque l’État ne fait que compenser d’une main le déséquilibre démographique qu’il crée de l’autre, par le gel du point d’indice et le refus d’embaucher des fonctionnaires.

La Cour des comptes va-t-elle reprendre le raisonnement à son compte ? « Aucun risque, affirme notre source au sein de l’institution. La thèse de Beaufret ne tient pas debout. » Pierre Moscovici a semblé, lui aussi, se désolidariser de la fable du « déficit caché ».

Risque d’orientation politique

En revanche, les syndicats craignent que les synthèses de la Cour soient « orientées » politiquement. « Ce qui nous inquiète, c’est le rapport que doit rendre la Cour en avril, explique Denis Gravouil, négociateur pour la CGT. La lettre de mission (envoyée par François Bayrou à Pierre Moscovici – NDLR) laisse entendre que la Cour devra plancher sur divers scénarios sur l’avenir de nos régimes de retraite : ce qu’on craint, c’est qu’on nous serine que la seule solution pour équilibrer le système sera de travailler plus longtemps… »

« On ne fera pas de recommandations », jure de son côté Pierre Moscovici sur Public Sénat. Mais, en bon libéral, il reste inflexible quant au cadre de réflexion dans lequel s’inscrira la mission de la Cour. « Il est hors de question que les préconisations qui peuvent être issues de nos travaux dégradent les finances publiques », martèle-t-il. Il rejoint en cela les préoccupations de François Bayrou, qui réclame un « retour à l’équilibre de notre système de retraites dans un délai raisonnable ». Mais il y a plusieurs manières de rééquilibrer le régime de retraites, qui obéissent à des choix politiques différents : travailler plus longtemps (l’option défendue notamment par le Medef) ; diminuer le niveau des pensions (la thèse des plus libéraux) ou trouver des ressources financières nouvelles, notamment en augmentant les taux de cotisations (les revendications de certains syndicats).

La Cour des comptes, dont on connaît les positions fort peu hétérodoxes en économie, chiffrera-t-elle ces différentes hypothèses en les traitant sur un pied d’égalité ? « Si elle raisonne à taux de cotisations constant, en partant du principe que le ”coût” du travail est déjà trop élevé, elle risque d’aboutir à une présentation très idéologique », prévient Benoît Teste, secrétaire général de la FSU. « Bayrou dit qu’il est ouvert à toutes les hypothèses, mais à condition que ça ne coûte rien, s’agace Christelle Thieffinne, cheffe de file de la négociation pour la CFE-CGC. Nous sommes ouverts aux négociations, mais attention : si les règles du jeu sont à ce point fermées, on ne va pas jouer longtemps… »

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/cour-des-comptes/retraites-pourquoi-la-methode-bayrou-inquiete-les-syndicats

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/retraites-linquietante-methode-francois-bayrou-h-fr-29-01-25/

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